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« C’est beaucoup plus dur d’entraîner des filles »
Cinq défaites en autant de matchs, dont une nouvelle rouste ce dimanche infligée par Montpellier (8-0). Quatre buts inscrits pour vingt-cinq encaissés. Les chiffres parlant d’eux-mêmes, on se contentera donc d’une litote : les débuts d’Issy en D1 féminine ne sont pas idylliques. David Rémisse, l’entraîneur des « Chouettes », revient sur ce début de saison maussade et en profite pour causer foot féminin.
Les deux hommes s’étaient habillés « classe » . Visiblement, leur conception du mot diffère. Le premier avait donc opté pour une veste et des bottes en cuir montant jusqu’aux genoux, un ruban bleu resserrant en une queue-de-cheval ses longs cheveux bruns. L’autre portait majestueusement son crâne lisse et avait préféré le costard cravate et la chemise rayée bleu et blanc. Dimanche 7 octobre, Francis Lalanne et André Santini, dans un savoureux mélange des genres, ont donné le coup d’envoi de la rencontre Issy-Saint-Étienne, retransmise sur Eurosport. Ambiance familiale garantie, juste après l’heure du goûter, avec 400 spectateurs dans les tribunes pour ce premier match à domicile, au stade Jean Bouin d’Issy-les-Moulineaux. Une réussite pour le club francilien, habitué à jouer sur synthétique devant une dizaine de personnes la saison dernière. Changement de monde pour les banlieusardes, qui découvrent le monde de la D1. Un penalty foiré et une défaite logique plus tard (2-0 pour Sainté) – à laquelle aura assisté Francis, mais pas André -, le FF Issy poursuit son calvaire. Quelques jours plus tard et juste avant un déplacement compliqué à Montpellier, dimanche 14 octobre, on a demandé à David Rémisse, coach à Issy depuis six ans, si la marche n’était pas trop haute. Eléments de réponse :
Après quatre journées, le maintien s’annonce déjà compliqué…Il est hors de question de penser à la descente. Pour l’instant, on pense à bien travailler, à se mettre au niveau, notamment tout ce qui concerne les détails : la préparation invisible, la ponctualité, le respect des consignes. Ne pas penser que les choses peuvent être faciles. Les détails, c’est aussi, par exemple, avoir des chaussures vissées sur un terrain glissant.
Justement, en matière de terrain glissant, votre début de saison se pose là…Il y a une marge assez énorme entre la D2 et la D1, puisque même en ayant bien progressé par rapport à la D2, on se rend compte que les résultats ne sont pas encore là. Onze joueuses sont arrivées au club. Maintenant, combien on en a fait venir ? J’en ai approché huit. On est très petits et si on prend des joueuses qui jouent plus haut, il faut les traiter de façon à ce qu’elles soient au moins aussi bien que là où elles auraient été. Sachant qu’on est en Ile-de-France, que pour se loger ce n’est pas la même chose que dans le centre de la France… En plus, en région parisienne, il y a Juvisy et le PSG, où les joueuses sont plutôt bien loties, en tout cas moins mal qu’une équipe qui monte. Trois capitaines d’équipe de D2 sont arrivées, c’est intéressant. Est-ce que c’est suffisant après quatre journées de D1 ? On s’approche de l’exigence requise, mais aujourd’hui c’est encore insuffisant.
Comment est-ce que tu as découvert le football féminin ?C’était il y a quinze ans. Je suivais mes études de Staps. J’avais une élève qui aimait le foot. Elle m’a dit : « David, est-ce que tu peux venir nous coacher un an, le temps que notre entraîneur passe ses diplômes ? » J’ai dit : « Pourquoi pas essayer ? » Dès la première année, on est montés. Après, j’en suis jamais parti. Jeune, j’avais joué en Nationaux puis en CFA chez les garçons. Pour ma toute première séance avec les filles – ça se passait dans le 7e arrondissement – il y en a qui étaient habillées presque en tenue de ville pour l’entraînement, pas de protège-tibia. J’ai vu arriver des filles qui gardaient leurs boucles d’oreille. Nous, dès qu’un mec avait une bague, il devait se strapper le doigt. Je leur ai dit d’enlever tout ça, de le mettre dans le vestiaire. Quand les filles sont revenues, je leur ai dit : « Bon, on va courir un petit peu. » Et là, je vois des gros yeux qui me regardent et elles me disent : « Attends, on va courir ? » Mais il y avait quand même cette envie de bien faire qui me reste en mémoire… Après, je suis passé par le club de Boulogne Billancourt, où on est montés deux fois, jusqu’à ce qu’on nous dise, « y a pas de terrain correct pour les filles » . Je suis parti dans un club féminin, à Issy. On a commencé en DH, on est monté en D3, puis en D2.
Quand t’es pas sur le banc ou au bord d’un terrain, tu fais quoi ?Je donne des cours de sport dans un lycée privé.
En regardant la D1 féminine, on se dit que c’est une formule trois en un. Les écarts sont tellement importants qu’on a l’impression qu’il y a plusieurs championnats qui se jouent…C’est tout à fait ça. T’as des clubs où les joueuses n’ont qu’à penser au football, elles évoluent dans des structures pros. Et tu as des équipes, comme nous, avec des filles qui travaillent ou qui sont à l’école, mais qui ne sont pas encadrées comme dans les clubs où il y a des pôles. J’ai formé des joueuses qui ont connu, pour pas mal d’entre elles, tous les niveaux. Elles ont commencé dans les petites divisions, aujourd’hui elles découvrent la plus haute et il faut se mettre au niveau.
Ces écarts de niveau tuent le suspense. Les victoires de l’OL par dix buts d’écart, ça peut devenir lassant…T’as huit-neuf filles d’une équipe qui jouent en équipe de France (OL), cinq internationales jouent dans l’autre (Juvisy) et tu as une troisième équipe, le PSG, qui prend les meilleures dans le monde, presque comme les garçons, forcément… Si les entreprises veulent soutenir une cause, redorer leur blason, le foot féminin c’est un bon créneau. En mettant un peu d’argent dedans, on pourrait faire en sorte que le championnat de D1 ressemble plus à un championnat de D1, avec des scores qui ne seraient plus des 8-0, des 9-1, mais des matchs avec enjeu.
Le 22 septembre dernier, contre Juvisy, vous perdez 9-1. Et il y avait déjà 6-0 à la mi-temps. À ce moment précis, qu’est-ce que tu dis à tes joueuses dans le vestiaire ?J’arrive assez fâché et je touche l’orgueil des filles en leur disant : « Est-ce que vous pensez que c’est des gladiateurs en face ? Est-ce qu’on n’a pas été bousculé parce qu’on s’est dit : il y a telle ou telle fille de l’équipe de France en face ? Répondez-moi sérieusement parce que sinon, on arrête de jouer, puis on s’en prend dix-sept ! » En deuxième période, on a montré qu’on pouvait faire douter une équipe comme ça. Je leur ai dit : il faut marquer un but, que l’on se prouve que c’est possible. Juvisy n’a pris que deux buts depuis le début de la saison, dont un contre nous (samedi 13 octobre, Juvisy s’en est pris 4 de plus, contre l’OL, ndlr).
Qu’est-ce qui a changé, niveau préparation, de la D2 à la D1 ?Les années précédentes, je m’occupais de tout. Là, on a un préparateur physique et un entraîneur des gardiens. Mais on est tous amateurs, en tout cas on cumule. Si on veut aspirer à quelque chose, tout le monde devrait être professionnel. Quand tu as deux joueuses à mi-temps sur un groupe de 21, c’est très compliqué. Aujourd’hui, le budget du club, c’est autour de 120 000 euros. Les filles sont passées de deux et demi-trois entraînements la saison dernière à quatre-cinq cette année. Pendant les matchs amicaux de préparation, cet été, on a fait de grosses performances. Mais à un moment donné, après le stage et les grandes vacances, les filles ont repris leur travail. Elles font parfois 8h-18h à l’autre bout de Paris, 18h-19h45 dans les bouchons, et elles arrivent sur le terrain émoussées. Et en fin de semaine, le moment où elles ont un peu de temps par rapport à l’aspect professionnel, il faut qu’elles soient performantes au foot.
Si tu avais le droit de recruter n’importe quelle joueuse pour renforcer ton équipe, tu prendrais qui ?Laura Georges (défenseure de l’OL), parce que j’ai un besoin, en défense, d’expérience. Elle a une bonne attitude dans le jeu.
Les mauvaises langues disent que c’est plus facile d’être coach chez les filles, en haut niveau…Ça me fait sourire.
Pourquoi ?Je pense que c’est beaucoup plus dur d’entraîner des filles. Il y a une psychologie qui est complètement différente. La gestion d’un groupe féminin, ça demande un très gros investissement, une grande disponibilité. Chez les garçons, on dit : « C’est comme ça, tu joues pas, point. » Chez les filles, ça peut pas marcher. Il faut expliquer pourquoi l’autre est meilleure, sans pour autant s’attarder. Entre elles, elles sont très, très dures. Plus dures que les garçons qui, quand il y a un problème, vont peut être se mettre un coup de poing, et puis après c’est bon… Les filles gardent plus les choses. Il y a des très bons côtés, mais aussi des côtés très chiants.
Peu de moyens, peu de reconnaissance : entraîner une équipe féminine peut ressembler à du masochisme. Qu’est-ce qui te plaît là-dedans ?Les garçons ont l’impression, même dans les catégories de jeunes, de beaucoup connaître le football. Il sont à l’écoute, mais ils assimilent moins vite ou moins facilement que les filles. Chez les filles, on voit vraiment les progrès, tout ce qu’on peut apporter à une fille, on le voit beaucoup plus rapidement. En tant que coach, on se dit qu’on fait avancer les joueuses. En France, il y a des très bons formateurs. Bruno Bini fait du très bon travail, Lyon aussi. M. Aulas – je l’appelle vraiment « M. Aulas » – a mis les moyens et a permis de rapporter deux Coupes d’Europe. La formation avance. Aujourd’hui (samedi 13 octobre), les moins de 17 ans ont gagné la Coupe du monde devant des nations qui pratiquent le foot féminin depuis longtemps.
Pour l’instant, tes joueuses n’y ont pas goûté, mais juste pour info, c’est combien la prime de victoire, au FF Issy ? Je me suis beaucoup « battu » avec le club à ce sujet. C’est 100 euros.
Et pour un match nul, rien ?Non. Mais attention, elles sont dédommagées, elles ont une petite prime d’assiduité, on va dire, qui leur permet de réduire la note d’essence pour certaines. C’est encore petit, mais c’est un avancement.
Bon d’accord, le championnat a mal commencé. Mais une saison réussie, ce serait quoi pour toi ?Le maintien, et une ou deux surprises. Oui, le maintien, j’y croirai jusqu’à la dernière journée… Si mathématiquement c’est encore possible.
Propos recueillis par Yann Bouchez