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Cesena, le petit poucet
A l'heure où l'on se bat pour savoir qui dépensera le plus de millions cet été, le petit club de Cesena, dont le budget est de loin inférieur à celui des autres équipes, trinque pour fêter sa deuxième année parmi l'élite. Avec du champagne premier prix, promis.
Igor Campedelli contemple. Son œuvre. Sa réussite. Son équipe. En décembre 2007, lorsqu’il débarque à la tête de Cesena, l’équipe joue en Serie B mais n’a pas un rond. Curiosité, dans l’équipe joue Nicola Campedelli, son frangin. Une curiosité qui ne sert à rien. Au terme de la saison, Cesena est relégué en Serie C1, quatre ans seulement après l’avoir quittée, en terminant bon dernier du championnat. Campdelli comprend que cela va être compliqué. Son club n’attire ni les stars, ni les anciens joueurs en quête de rachat. Le président se gratte la tête. Regarde autour de lui. Cherche à reconstruire avec un budget réduit. Comme souvent dans ce genre de situation un peu désespérée, il tente un coup de poker, et confie l’équipe au jeune Pierpaolo Bisoli, 42 ans, qui n’avait jusqu’ici entraîné qu’en quatrième division. Le début de saison n’est pas exaltant, mais après quelques mois, la mécanique se rode et Cesena se met à enchaîner les victoires. Le club termine la saison à la première place, et remonte immédiatement en Serie B. La belle histoire est lancée.
Pour sa deuxième année au club, Bisoli demande à ce que son effectif ne bouge quasiment pas. Campedelli le contente. Bien huilée, la machine Cesena se montre immédiatement très organisée. En quelques semaines, les tifosi comprennent que cette équipe pleine de cœur peut lutter pour autre chose que pour le maintien. Et de fait. Lors de la deuxième partie de saison, elle se retrouve en lice pour la promotion directe en Serie A. Une victoire sur le terrain de Lecce, à trois journées de la fin, permet aux supporters romagnoli de rêver les yeux ouverts. Lors du dernier tour, Cesena s’impose à Piacenza, passant devant Brescia et obtenant la promotion directe, sans besoin de passer par les play-offs. Bisoli devient un demi-dieu et, au sommet, annonce qu’il ne restera pas l’année suivante. Qu’importe. Vingt ans après sa dernière apparition, Cesena est de retour en Serie A. Un véritable miracle.
« David » Giaccherini vs « Goliath » Ibrahimovic
Même Igor Campedelli n’y croit pas. Que va-t-il bien pouvoir faire, lui, le petit entrepreneur, face à des monstres comme l’Inter, la Juventus ou le Milan AC ? La réponse lui est donnée sur le terrain. Dès la première journée, Cesena, désormais coaché par Massimo Ficcadenti, créé la sensation en venant prendre un petit point (0-0) sur la pelouse de l’AS Roma. Comme une victoire. Sept jours plus tard, le stade Manuzzi poursuit le conte de fées : le petit poucet terrasse l’ogre milanais (2-0). Le petit Giaccherini et ses potes jouent un remake de David contre Goliath, avec Ibrahimovic dans le rôle du géant vaincu. Après trois journées, Cesena est en tête de la Serie A, à égalité avec l’Inter. Campedelli prend en photo le classement, et l’affiche dans un cadre au-dessus de son lit. Sa plus belle victoire est déjà là. Évidemment, les blancs et noirs ne conservent pas un tel rythme. Malgré l’explosion de certains joueurs talentueux, parmi lesquels Parolo (convoqué pour la première fois par Prandelli le 20 mars 2011), Ceccarelli et Lauro, Cesena passe son hiver dans le bas de tableau, se retrouvant même en pleine zone de relégation. Mais Ficcadenti n’a pas peur. Si les autres ont les millions, lui et ses joueurs ont le cœur. Le caractère. La hargne. Et l’entraîneur compte bien le prouver.
Le 10 avril, Cesena réalise le grand coup. Le déclic. Relégables, menés 2-0 sur la pelouse de Palerme, réduits à 10, les petits lutins se battent jusqu’à la mort. Une mort évitée. Parolo réduit l’écart à la 92ème, et Giaccherini égalise à la 96ème. 2-2. Un retour de nulle-part, des abysses balayés d’un coup de griffe. Cesena veut vivre. Encore. Ce casse réalisé en Sicile ne donne que plus de conviction aux joueurs d’Émilie-Romagne. Et la magie opère : lors des cinq journées suivantes, Cesena décroche quatre victoires (et une rocambolesque défaite face à l’Inter, dans les arrêts de jeu). La chute concomitante de la Sampdoria sanctifie l’impensable : à une journée du terme, le plus petit club de Serie A obtient sa survie mathématique parmi l’élite, et même une plus qu’honorable 15ème place. Ficcadenti devient un demi-dieu et, au sommet, annonce qu’il ne restera pas l’année suivante. Du déjà-vu, mais qu’importe. Cesena vit. Cesena vivra encore.
Qui veut gagner de la bravoure?
Igor Campdelli a désormais une certitude, aussi inconcevable puisse-t-elle paraître : son équipe est taillée pour la Serie A. Oui. A l’image du « Chievo des miracles » au début des années 2000, Cesena, débarqué à l’improviste des étages inférieurs, a toutes les cartes pour s’imposer comme l’une des nouvelles certitudes de la Serie A. Surtout, ce fantastique parcours va indubitablement donner des idées à d’autres clubs. Il ne suffit plus d’avoir de l’argent et de l’investir, sans stratégie aucune. Il faut des idées, de la bravoure et de l’abnégation, des qualités prônées haut et fort par le patron de Cesena. Lui a su renouveler des joueurs qui comptaient déjà leurs points retraites (Antonioli, 42 ans, qui vient de prolonger son contrat d’un an, Bogdani, Colucci), relancer des anciennes promesses (Jimenez, Rosina) ou donner une chance à des jeunes en manque de temps de jeu (Santon, l’ancien monégasque Malonga, l’ex stéphanois Benalouane). Des recettes risquées, mais gagnantes, pour le moment. La saison prochaine, Cesena les appliquera encore, avec Marco Giampaolo, l’ancien de Catane, en chef cuistot. La fable peut continuer de s’écrire. Avec un stylo Bic.
Eric Maggiori
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