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Cesc attend son heure
Francesc Fàbregas i Soler, dit Cesc Fàbregas, a finalement choisi d'écrire son histoire initiale en quittant Arsenal l'été dernier pour retourner dans la maison mère, Barcelone. Mais bloqué dans son club comme en sélection au milieu par les inénarrables Xavi et Iniesta, et transformé en joker de luxe ultra polyvalent, le surdoué attend son heure. En étant toujours aussi fort.
On a tous en mémoire cette tête d’enfant qui déboule à Highbury. L’air de rien. Et qui calme son monde. Août 2004, Patrick Vieira, impliqué dans des rumeurs de transfert au Real et blessé, manque le début du championnat. Les habitués d’Arsenal n’ont alors d’yeux que pour lui. Une coupe de mulet, 17 piges au compteur et déjà le geste juste permanent comme signature, Cesc Fàbregas fait ses débuts en championnat sous les ordres d’Arsène Wenger, enchaîne les matchs et rassure les fidèles les plus anxieux : Patrick sera bel et bien remplacé.
Combo guard
Huit ans plus tard, l’enfant a grandi, pris de l’épaisseur, est retourné à Barcelone et s’apprête à disputer une demi-finale d’Euro. Ce début de compétition illustre d’ailleurs tout le paradoxe qui entoure le joueur qu’est Cesc Fàbregas actuellement. Sans David Villa, avec un Fernando Torres un peu mieux, mais pas encore complètement sur le retour, l’autre choix de Del Bosque en pointe n’est pas Roberto Soldado, même pas retenu, n’est pas Álvaro Negredo, n’est pas Fernando Llorente, mais bien Cesc. Titulaire contre l’Italie en ouverture, il a égalisé. Remplaçant contre l’Irlande, il est entré et a marqué. Remplaçant contre la Croatie, il est entré et a distillé la passe lobée à Iniesta qui a décoincé un match moyen. Titulaire contre la France, il a sobrement participé à la passe à 10 humiliante. Alors, Cesc, attaquant par défaut ? Un peu. Mais devant des types qui facturent 17, 14 et 17 buts cette saison, le choix apparaît finalement ultra-rentable depuis le début de la compétition et symbolise le talent d’un joueur capable de presque tout sur un terrain. Quand il joue en pointe, Fàbregas ne cherche pas spécialement à changer son jeu. Il prend peu la profondeur et intègre plutôt l’édifice qui récite ses gammes devant la défense, en attendant la faille. Un peu comme à Barcelone, où Guardiola l’a fait jouer avec beaucoup de liberté, entre le milieu et l’attaque. Pour une première saison plus qu’honorable. 9 buts, 10 passes en championnat et une intégration rapide. Son avis sur la question ? Une réponse très politique finalement, à l’heure de négocier une place de titulaire pour finir la compétition : « Dans cette position, je me sens bien. Elle me plaît parce que j’y ai beaucoup de liberté, je peux monter depuis les lignes arrières, marquer ou délivrer des passes décisives. »
À Arsenal, Cesc Fàbregas, capitaine précoce, compilait déjà des saisons de malade avec une ligne statistique étourdissante pour un joueur de cet âge, et inhumaine pour un milieu. De 2006 à 2011, l’Espagnol a marqué une moyenne de 11 buts et délivré une petite vingtaine de passes décisives par saison. Un abattage monstre et toujours la bonne décision au bon moment, Cesc s’est très vite accaparé le statut de taulier de l’entrejeu du système Wenger, le système de jeu le plus approchant du toque barcelonais en Europe. Capable de jouer devant la défense ou derrière l’attaquant, comme d’évoluer en pointe, mais également de se décaler sur un côté, Fàbregas démontre alors qu’il a deux Bodmer dans chaque orteil. Si ce n’est plus. En fait, Cesc le polyvalent est un peu ce qu’on nomme en NBA un combo guard : un meneur pouvant scorer. Ou un buteur pouvant mener. Plus Allen Iverson que Steve Nash, donc : une efficacité redoutable à l’approche du but, à la passe ou pour marquer.
Retrouver son histoire
Le tournant de sa carrière, c’est aussi sa signature l’été dernier à Barcelone. Certains ont pu y voir une trahison à papa Arsène, à l’heure où il allait définitivement obtenir les pleins pouvoirs chez les Gunners. D’autres ont pu y voir une belle épopée, celle du retour du fils prodigue, parti s’émanciper et revenu porter son histoire : devenir le leader du milieu catalan, quitte à devoir patienter derrière les chefs d’orchestre du moment. Déjà barré en sélection, Cesc a choisi de se confronter à ses prédécesseurs au quotidien. Soigner le mal par le mal. Et préparer l’après-Xavi. Si Fàbregas lui succède au Barça, il sera incontournable avec la Roja. L’idée est simple. Comme énoncé plus tôt, Cesc a un profil plus tueur, mais moins organisateur, et donc un impact moindre sur le rendement de ceux qui l’entourent et sur la prestation d’ensemble de son équipe, mais nul doute que le Barça saura lui trouver une place de choix aux côtés d’Iniesta, quand Xavi, qui chiffre les 32 ans, commencera à décliner. Car on ne s’attend pas à revoir Cesc partir de Barcelone. Il le dit lui-même, il ne pouvait quitter les Gunners qui l’ont canonisé que pour s’inscrire dans le très long terme avec le Barça. Et y terminer sa carrière ?
Le hic, dans ce plan on ne peut plus cohérent, c’est de le voir se confronter, en sélection, comme en club, au retour à la normale. Le football est fait de cycles. On peut croire en Tito Vilanova, qui pourrait nous surprendre au même type que Pep, on a quand même un peu envie de se dire que le point culminant de ce Barça-là a été atteint sous les ordres de Guardiola et ses 13 titres en quatre ans. Le jour de la manita infligée au Real en novembre 2010 peut-être, ou lors de la victoire en Champions League contre Manchester en 2011. Un horizon indépassable qui surligne la victoire d’une idéologie. Il sera difficile de rééditer une telle performance, d’autant que Mourinho progresse pas à pas avec son Real. Si le garçon joue depuis presque une décennie, il n’a que 25 ans. Après avoir vécu la période creuse d’Arsenal, Fàbregas mériterait autre chose que de vivre une période de transition sous la tunique du Barça et d’être, un jour ou l’autre, intégré à part entière aux succès de son club ou de sa sélection.
Antoine Mestres