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Ces buts qu’on ne voit qu’en Italie
Les championnats européens ont tous leurs spécificités, leurs couleurs et leurs odeurs. Des mentalités, des schémas, des buts qui leur sont propres, et qui relèvent tous d'une culture footballistique. Premier rendez-vous en Italie, pays de la gagne et de la fine tactique. Encore aujourd'hui ? Un peu, oui. Mais pas tout à fait non plus.
L’Italie a un rapport singulier avec le but. Dans la Botte, on ne sait que trop bien que son accumulation n’est en aucun cas le signe d’une quelconque maîtrise. A l’heure où les statistiques font loi, et où l’Europe entière se paluche gaiement sur les 6-0 infligés par le Barça ou le Bayern à Grenade ou Düsseldorf, la Juve, l’Inter ou le Milan claquent rarement des cartons. A quoi bon ? Le 1-0 suffit amplement. C’est ainsi que la Serie A demeure l’un des championnats majeurs où l’on claque le moins de buts (2,67 par match en moyenne). Derrière l’Espagne, l’Angleterre ou l’Allemagne, juste devant la France. Paradoxalement pourtant, la fameuse « mentalité à l’italienne » , qui voudrait que l’on ferme le jeu à 2-0, n’est plus vraiment d’actualité, tant des équipes comme le Napoli ou la Fiorentina sont devenues des références en matière de jeu attrayant. Un changement de mentalité post-Calciopoli ? Peut-être. L’Italie a amorcé une mutation en termes de jeu, mais cette mutation est encore incomplète. Symbole fort, la Nazionale de Prandelli, saluée pour son jeu chatoyant, est statistiquement l’une des pires attaques de l’histoire de la Squadra Azzurra. On navigue entre révolution et conservatisme, et cela vaut aussi pour les buts.
L’axe comme nouveauté, la culture défensive pour l’éternité
Premier changement dans le rinascimento italien, le dispositif. Et le choix très en vogue des trois défenseurs centraux, bien plus répandu que dans les autres championnats. Il y a eu le 3-4-3 du Genoa de Gasperini, le 3-5-2 de Mazzarri, et enfin la référence du 3-5-2 de la Juve de Conte. Que ce soit dû à la difficulté de trouver des défenseurs à l’aise dans une défense à quatre (Lichtsteiner, Nagatomo, Bonucci, Ranocchia par exemple) ou alors une façon d’assurer le surnombre à la relance, toujours est-il que cela déplace le champ de bataille vers l’axe du terrain. De fait, l’Italie est le championnat où les offensives sont le plus menées dans la zone centrale du terrain (31,5% des attaques en moyenne, contre, par exemple, 26,65% pour l’Espagne).
Quand on évoque les buts « typiquement italiens » , on pense évidemment aux buts de renard. Et le réflexe est bien sûr d’imaginer Pippo Inzaghi agitant diaboliquement les bras après un but du tibia à deux centimètres des cages. Mais la réalité est toute autre : la Serie A est le championnat où l’on tente le moins dans la surface et les six derniers mètres (respectivement 45 et 5,4% des tirs). Et c’est là que la tradition tactique intervient. En Italie, la surface est une forteresse : les erreurs de marquage y sont rares et laisser des espaces est perçu comme une trahison familiale. Ainsi, aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Italie est bien le pays où l’on tente le plus sa chance de loin, avec un record européen pour Pescara et ses 58% de tirs tentés de l’extérieur de la surface (49,6% tentés au-delà des 16m50, contre 42,5 pour l’Allemagne par exemple).
Non seulement les buts sont rares, mais ils sont en plus réservés à une classe bien définie. En Italie, on ne mélange pas la viande rouge et les pâtes et ainsi, on n’utilise pas le couteau lorsque l’on mange les pâtes sacrées. Bref, on fait attention aux manières. C’est pareil dans le football : chacun son rôle. Il existe des joueurs pour marquer les buts, et ce sont les avant-centres. Entre défenses bien organisées et importance de l’axe, les longs ballons courbés pour sauter un ou deux rideaux sont légion. Pas rare, donc, d’entrevoir une tête plongeante ou encore une reprise de volée dans la course, à la Batistuta, Crespo, Pazzini ou encore Osvaldo. Mais le but qui symbolise le mieux cette nouvelle Serie A, tiraillée entre modernité et passé glorieux, n’est pas dans le jeu.
Le pénalty litigieux, spécialité polémique
Ce qui ne change pas, et qui ne changera jamais en Italie, c’est la continuelle polémique. La raison est simple : le football fait partie de la vie quotidienne des Italiens, et reste leur principal sujet de discussion. La passion y est immense pour les clubs, ce qui est en partie expliqué par un fort régionalisme, dû à l’unification récente du pays. A partir de là, les médias entrent dans le jeu, parlent calcio. Ils cherchent, trouvent, révèlent des scandales. D’où le confort qu’a trouvé le pénalty litigieux pour s’imposer comme une spécialité locale. Y a-t-il un autre championnat où l’on commente autant cette décision arbitrale en Europe ? Sûrement pas. Aujourd’hui, il semble même que le degré de polémique atteint un niveau record, ce qui s’explique par l’atmosphère ambiante, devenue si pesante depuis l’éclatement du Calciopoli en 2006, avec l’implication des arbitres qu’il sous-entendait. Depuis, il ne cesse de planer l’incertitude, voire la suspicion, autour des décisions des hommes en noir, fuchsia ou jaune fluo. D’autant plus lorsqu’il s’agit de la désignation du point blanc sacré, qui constitue un moyen si simple d’avantager une équipe.
Depuis 2006 donc, la Serie A est prise au piège dans un cercle vicieux : peu importe sur qui tombent les erreurs arbitrales, tout le monde crie au complot. Les petites équipes se sentent désavantagées par rapport aux gros, l’Inter fait confiance à l’histoire pour se poser comme une victime éternelle du « système » , le Milan disserte sur les avantages de la Juve, qui, quant à elle, estime payer encore les pots cassés pour le Calciopoli. Niveau des arbitres ou pas, les différents acteurs du foot de l’autre côté des Alpes participent grandement à l’alimentation du débat. Et on ne peut pas dire que les statistiques atténuent la tendance. Parce que la Serie A est le championnat majeur où l’on siffle – et où l’on marque – le plus de pénaltys (85 scorés à ce jour). Pas loin devant l’Espagne (80), mais très, très loin devant les autres (en L1, on en est à 51). Signe d’une roublardise, aussi, la Serie A étant le championnat où les arbitres réprimandent le plus les simulations. Il est certain que présenté ainsi, c’est dévalorisant. Dire de l’Italie que son but symbolique est un pénalty discutable, ce n’est pas bien sexy. Mais c’est pourtant une réalité. Et puis, c’est ce qui fait couler de l’encre, vendre du papier, et surtout, parler. L’Italie ne serait plus la même, sans son pénalty polémique. Et quelque part, c’est aussi pour ça qu’on l’aime tant.
Statistiques établies à partir du site WhoScored.com
Alexandre Pauwels, avec Markus Kaufmann