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« Ces Bleus peuvent être comparés à ceux de 1995 »
Marcel Desailly, qui apparaît dans la campagne Révolution de Carlsberg, partenaire officiel de l'Euro en France, était de passage à l'hôtel Méridien près de la porte Maillot. Entre deux vols, avec deux heures de retard à cause des embouteillages parisiens, le compagnon de Didier Deschamps pendant la Coupe du monde 1998 se livre. Sur l'Euro 2016, sur Éric Cantona et sur l'avenir de Laurent Blanc au PSG. Amen.
Vous la sentez comment l’équipe de France avant cet Euro ?Quand on a fait le premier amical à Nantes, j’expliquais que c’était trop tôt, qu’il fallait attendre le dernier match de préparation. Puis là, on voit, sans être expert du football – je n’ai pas vu le full contenu du match, seulement les highlights – qu’on a une forme de confiance à nouveau. On s’est sécurisés. Adil Rami avait encore du sable dans les chaussuress car il était à la plage avant d’être rappelés donc il a voulu trop bien faire et n’a pas pu s’exprimer au niveau qu’on attendait. Maintenant, la complémentarité est bonne. Avec le système que Didier a mis en place, avec N’Golo Kanté – c’est ça ? -s c’est très bien. Il y a besoin d’avoir un bon bloc défensif. Il y a juste une incertitude sur deux joueurs offensifs… Que ce soit Payet, Coman, Martial… Tout cela se vaut. Ce sera en fonction du positionnement et de la philosophie de jeu. Après, on va essayer de mettre en jambes et en position idéale Griezmann, qui, selon moi, doit être la star de cette équipe de France. On doit le mettre en conditions pour qu’il puisse exceller dans la performance. Mais l’autre point d’interrogation, c’est Pogba. On veut un Pogba à 100%, un Pogba effectif, un Pogba prêt à se sacrifier pour le collectif. Un Pogba décisif… On attend beaucoup de choses de Pogba.
On n’en attendrait pas trop ? On oublie qu’il n’a que 23 ans…Ben non, ça y est, il est dans sa quatrième saison, ou la troisième ? Il a trois belles saisons derrière lui, une Coupe du monde. On peut considérer qu’il est arrivé à un âge où il a acquis suffisamment d’expérience pour pouvoir prétendre à être un leader de ce milieu. Non, non, il n’y a pas de soucis, faut arrêter avec la jeunesse. Il a l’expérience. Vous imaginez les matchs qu’il joue avec la Juve depuis trois ans ? La gestion d’image, la gestion du stress ? Il a assumé.
Griezmann, quant à lui, ne risque pas d’arriver carbonisé ? La star offensive de l’équipe qui n’arrive pas à 100%, le Portugal le vit tous les deux ans avec Cristiano Ronaldo…(Il s’étire vers l’arrière du siège et prend une longue inspiration.) Vous comparez Cristiano Ronaldo à Griezmann. (rires) Dans l’intensité de la saison ? Je crois qu’il faut savoir rebondir. Il y a régulièrement des échecs dans la carrière d’un footballeur, il a la chance de pouvoir rebondir très vite. C’est son premier Euro, non ? Il a fait une Coupe du monde, ben voilà. C’est son premier Euro, c’est une expérience nouvelle. Il a une forme d’insouciance, car à l’Atlético, il ne fait pas partie des joueurs majeurs présents aux réunions, qui s’intéressent aux budgets, à qui on donne des informations sur le recrutement de l’année prochaine… Un joueur doit être un peu égoïste quelque part : « C’est passé, j’ai donné mon maximum, j’ai loupé un penalty, certes, mais maintenant, c’est mon moment de« shine ». »
De briller…Oui, de briller. « L’Euro me donne la possibilité de briller à nouveau. Tout est oublié. » Souvent, on se pose beaucoup de questions pour rien. Le joueur ne se pose pas autant de questions. C’est pour cela que j’avais beaucoup souffert quand j’étais joueur, car vous, les journalistes, vous nous posez beaucoup de questions qui ne nous viennent même pas à l’esprit. Forcément, j’en veux quand je suis joueur. Après, il faut que Didier sache régénérer psychologiquement Griezmann. Il y a un petit travail à faire quand même, parce qu’il a 60 matchs dans les jambes, c’est ça ? C’est surtout psychologique, parce que les jambes, il les a. (Il chuchote.) Il est là, il est là, il les a. Trois ou quatre jours de repos et c’est reparti. (Il reprend une voix normale.) C’est surtout la tête, et la tête c’est facile à travailler. J’ai vu sur les différents journaux Didier qui lui parlait, il n’y avait personne autour. Ces petits déclics là… Il a dû lui parler de ses expériences de finales perdues, qu’à chaque fois il a su rebondir à l’approche d’une compétition. Même si Griezmann, c’est un créatif, on ne peut pas le comparer à Didier. (rires) Ce n’est pas le même rôle sur le terrain. Il suffit de le piquer un peu, de lui dire « un dribble, une frappe, un but, tu es à nouveau sur le toit du monde, c’est Griezmann de tous les côtés. » (Il chuchote à nouveau.) C’est facile.
La grande équipe de France de 98-2000 avait une base défensive solide qui permettait à des créatifs comme Zidane de s’exprimer pleinement. Vous voyez des points communs entre votre génération et celle de 2016 ?Non, non. (Il réfléchit.) Non, ou alors seulement sur des détails. Pour moi, techniquement, pas tactiquement, ils sont, en valeur individuelle – pas d’argent, mais de potentiel, hein -, peut-être plus forts que nous. Mais il faut arrêter de comparer. On est tous conscients qu’il y a un gros groupe, qui aurait été encore plus gros sans toutes ces blessures. On a surtout besoin de joueurs qui s’affirment. On a parlé de Pogba et Griezmann, mais dans cette colonne vertébrale, on a perdu Varane. On veut que Lloris monte un peu au créneau et prenne aussi sur lui s’il y a la pression. On veut que sur ce premier match, il fasse les premières pages des journaux pour expliquer que cela fait un mois qu’on attend ça. C’est la chance que l’on avait à l’époque… (Il est pensif.)
Des hommes dans le vestiaire ?Vous me demandez de comparer, mais ce n’est pas comparable. Vous pouvez les comparer à nous en 1995. Après la chute de 1994, avec la course au Mondial, il y a un groupe qui commence à se former. Et qui se rend à l’Euro en Angleterre. Vous pouvez les comparer à cette équipe-là, on était dans les mêmes dispositions. Et là, je peux vous dire qu’il y a plus de talent chez eux, beaucoup plus. Nous, on s’est vraiment affirmés sur le plan individuel à partir de là. À Milan, j’allais aux meetings avec Maldini, Baresi, Tassotti et Capello quand il fallait parler de trucs importants. Cela a été la même chose à Chelsea. Idem pour Lizarazu au Bayern Munich ou Thuram à Parme et à la Juve. Didier, on n’en parle pas. Zizou, il est au-dessus…
Didier Deschamps était votre partenaire de chambre en équipe nationale. Les propos de Benzema, et surtout ceux de Cantona, qui a considéré que les absences de Ben Arfa et Benzema étaient la conséquence de considérations racistes, cela vous inspire quoi ?(Il baille et s’étire, le début de sa phrase est étouffé.) Ben écoutez, cela fait combien de temps qu’il n’avait pas parlé, Éric ? (Tout doucement.) Cela fait un petit bout de temps. Je l’apprécie beaucoup en tant que joueur, mais est-ce qu’il a encore la sensibilité et le regard sur le football en général ? On a les réponses. (Il reprend sa voix normale.) Cela a fait l’effet d’une bombe, mais on a déjà les réponses. Pour Benzema, la Fédération s’est mise partie civile pour savoir ce qu’il y avait dans le dossier et pouvoir prendre une décision après. Valbuena n’est pas venu, on n’allait pas prendre Benzema aussi. Même si c’est un très grand attaquant. Ils ont dû regarder (il insiste sur chaque mot) l’impact potentiel juste d’un Benzema dans le groupe qui n’arrive pas à marquer ou fait une prestation moyenne. (Il reprend un débit normal.) Tout de suite, on va revenir aux histoires. « Ils » – moi, je ne suis pas responsable (rires) – ont décidé de ne pas le prendre. Le président de la Fédération est aussi dedans. Cela ne veut rien dire, on a déjà les réponses. Cela se révèle maintenant ? Cela sort maintenant qu’il est raciste, Deschamps ? Ça y est, ça sort, il a presque 50 ans comme moi ? (Il hausse le ton.) Il ne faut surtout pas expliquer qu’on était compagnons de chambre s’il vous plaît, ne le mettez pas !!! Parce que cela ne veut rien dire, il n’y a pas besoin d’explication. Cela ne veut rien dire ! Il y a bien évidemment en France des problèmes de racisme, mais on entre dans une autre discussion. C’est social, politique, c’est historique. Mais ce n’est pas footballistique. N’importe quel coach au monde, peu importe la couleur de son effectif, il mettra toujours le meilleur joueur. (Tout bas.) La meilleure équipe possible, s’il veut gagner. Donc… (Il tape dans les mains.)
Et Deschamps encore plus qu’un autre ?C’est un killer, et il veut que du gagnant. Il est obsédé par le truc, c’est génial. Donc les accusations de racisme, cela ne veut rien dire.
Laurent Blanc sort de deux triplés avec le PSG. Depuis la sortie de Nasser Al-Khelaïfi dans Le Parisien, tout le monde le voit déjà viré… (Il baille encore.) Ses stats parlent pour lui, il n’a pas de souci à se faire. Maintenant, en interne, il se passe peut-être quelque chose. Il n’y a pas d’actionnaire, donc les décisions sont prises tout en haut et on ne sait pas ce qu’il se passe en interne. Il a son effectif, son schéma tactique, il n’y a pas de raisons… Il a soi-disant changé à un moment pas propice. J’ai bien dit soi-disant. Il y a peut-être un peu d’émotion. Doha jouait contre Abu Dhabi sur ce match-là, donc on n’est pas au courant de tout ce qu’il s’est dit et fait autour de ce match. Il a un challenge de positionnement économique et politique, il y avait plein de choses autour de ce match, que nous n’avons pas la sensibilité d’appréhender, mais qui ont peut-être déclenché certaines choses. Cela ne me fera pas plaisir si mon collègue perd son job, mais il rebondira ailleurs.
Ce n’est pas la même erreur qu’avec Carlo Ancelotti ? Il avait refusé de rester, car il ne s’était pas senti soutenu quand l’équipe était dans le dur ? (en 2013 ndlr) Cette direction ne sait pas développer une vraie relation de confiance avec ses entraîneurs ? Je ne sais pas ce qu’il se passe en interne, c’est trop pointu pour moi. Ce que je vois, en revanche, c’est qu’ils ont relevé l’intérêt du football français par l’intérêt médiatique, sur l’investissement, et la perception du football en France. Avant, c’était un jeu populaire, mais maintenant, on s’aperçoit en France que c’est un vrai business. Cela fait 20 ans que les autres clubs européens investissent à ce niveau-là. Il faut encore un peu de temps pour boucler toutes les zones d’ombre qu’ils peuvent avoir dans leur management. Mais patience, laissez-les faire dans leur manière de faire. Ils ont quand même travaillé d’une manière équilibrée depuis leur arrivée. J’ai joué au Qatar pendant deux ans, je connais leur comportement. Ils savent s’entourer, ils savent s’écouter. Quand Ancelotti est parti, ils ont fait venir Blanc et certains ont critiqué. Mais ils savaient ce qu’ils faisaient. Ils avaient envie de rester sur un mode de fonctionnement français. Politiquement, ils ont peut-être des pressions pour recruter plus de Français et moins à l’étranger.
Vous tournez dans la pub « If Carlsberg did The Revolution » . Si jamais vous deviez révolutionner un truc dans le football en 2016, ce serait quoi ? En France ? À l’échelle mondiale ? Il y a plusieurs thèmes. Déjà, dans le football amateur, essayer de créer de meilleures infrastructures, que les clubs amateurs bénéficient de plus d’argent. Il y a aussi la fiscalité. Je crois qu’il faut que l’on soit plus compétitif en France, et accepter que le football soit un spectacle et un business. Et réduire la fiscalité des clubs pour qu’ils puissent recruter et que l’argent continue de circuler. Pourquoi ? Monsieur Tout le monde voit uniquement le joueur qui gagne un gros salaire. Point final. Mais vous rigolez ? Les intermittents, les taxis, les hôtels, les agences de voyages… Tout cela bénéficie directement ou indirectement du flux d’argent que le football draine. On doit protéger le football. Il est hors normes. Dans la vie, il faut accepter que des gens vont gagner plus. Des gens qui se sont sacrifiés depuis l’âge de 12-13 ans pour atteindre un objectif. C’est comme un businessman qui a eu une idée d’abord, a su investir ensuite, prendre des risques. C’est pareil pour les footballeurs, faut arrêter avec les salaires. Je serais donc plus dans cette idée que le business du football continue d’augmenter pour que tout le monde en bénéficie autour. J’ai répondu à la question ?
Propos recueillis par Nicolas Jucha