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Ces Bleus ne sont pas normaux
Que ce soit dans la presse, sur les réseaux sociaux ou dans les bars, la victoire des Bleus en Allemagne a globalement été célébrée comme un succès parmi d'autres pour la bande de Deschamps. Car ces dernières années, les Français ont été gâtés à tel point que battre les Allemands chez eux dans un championnat d'Europe leur paraît normal.
Mardi soir, l’équipe de France de football a battu l’équipe d’Allemagne – de football également – chez elle, lors d’un championnat d’Europe. Et tout le monde semble trouver cela normal. Pour le diffuseur en clair, M6, ce n’est rien d’autre qu’un résultat « qui conditionne la suite de la compétition », « une victoire qui fait du bien ». Alors on répète : la France a battu l’Allemagne et la carriole de mythes qu’elle trimbale – le genou de Schumacher, la citation de Lineker, le bras de Neuer, les 4 titres de champions du monde, les 3 de champions d’Europe, etc. – chez elle. Lors d’une grande compétition internationale. L’Allemagne. La Mannschaft. L’ennemi intime. Et même si les forces en présence étaient bien connues, que la France est championne du monde et l’Allemagne pas au mieux, et que les Bleus restent sur 6 résultats positifs face aux gars de Löw, non, battre l’Allemagne chez elle n’est jamais quelque chose de normal. C’est en tout cas bien plus qu’un simple résultat « qui conditionne la suite de la compétition ».
Penser que battre l’Allemagne est une péripétie parmi tant d’autres lorsqu’on a plus de 35 ans, c’est avoir la mémoire courte. Car être né français dans les années 1980, c’est avoir connu des équipes de France avec Florian Maurice, Mickaël Madar, Nicolas Ouédec, Fabrice Divert ou Amara Simba en attaque, quand aujourd’hui on colle des titulaires du Barça ou du Bayern sur le banc, ou qu’on se demande comment faire évoluer Mbappé, Benzema et Griezmann ensemble tout en cantonnant Giroud et ses 46 buts à un rôle de joker. Mais le Français s’est habitué à l’extraordinaire, car cette équipe l’est depuis un moment. La France est ultra-favorite de la compétition ? « Normal. » Quasiment tous ses joueurs figurent parmi le top 5 mondial à leur poste ? « Normal » aussi. Eh bien non, ce n’est pas « normal ». C’est exceptionnel, incroyable et tous les superlatifs dont les journalistes abusent souvent sont ici valables.
Les amateurs de beau jeu, de tactique ambitieuse et surtout d’identité de jeu bien marquée trouveront certes matière à discuter. Et ils peuvent. L’équipe de France n’a pas une manière bien à elle de pratiquer le football et il est peu probable qu’un intellectuel du foot publie un jour un essai sur les principes de jeu de Didier Deschamps. Mais ça, le Basque et ses joueurs s’en foutent. Car peu importe que leur pragmatisme froid les pousse à pratiquer un jeu de possession ou à évoluer en contre, le résultat est le même : ces Bleus sont quasiment injouables, même pour les meilleures formations et même si leurs victoires paraissent parfois poussives, peu abouties, ou « à l’arrache ». Immuablement, à la fin, ils gagnent. Et ça, ce n’est pas banal. Et surtout pas « normal ».
Cette équipe de France si fournie en talents divers que les enfants de l’Hexagone ne savent plus quel poster afficher pour tapisser leur chambre, quand leurs parents n’avaient d’autre choix que de s’infliger JPP et ses cuissards au-dessus de leur lit, est en vérité si forte que seul un coup du sort comme le football en réserve peut l’éliminer. Car on l’imagine mal se saborder toute seule. Ces Bleus-là ne sont pas ceux de 2010, et Deschamps n’est pas Domenech, comme le prouve la vitesse à laquelle le début de minipolémique entre Giroud et Mbappé s’est éteint. Parce que ces Bleus nouvelle génération sont obnubilés par une seule chose : gagner à tout prix. Cela tombe bien, ils ne savent faire que ça. Comme si c’était « normal ».
Par Mathias Edwards