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- Reportage à Lisbonne
Ces 6 jours qui auraient pu changer l’histoire du PSG
Le PSG aurait pu devenir le deuxième club français à remporter la Ligue des champions lors d'une édition, disons, particulière. On était à Lisbonne pendant ces six jours, du 18 au 23 août, de la demi-finale à la finale. Et si la ville n'était pas spécialement en ébullition pour ce Final 8, on a quand même fait quelques belles rencontres. Voici notre carnet de voyages.
Jour 1 – Mardi 18 août
Il ne fait pas bon être parisien ou étiqueté comme tel dans les rues de Lisbonne. Un harcèlement presque continuel. « Alors, Cavani, il signe quand à Benfica ? » Les Lisboètes, enfin les Benfiquistas, n’en peuvent plus de ce feuilleton, des rumeurs de transfert qui envoient sur les rives du Tage le meilleur buteur de l’histoire du club parisien. Ils veulent savoir ; on doit bien savoir du côté de son ancien club. A Bola, l’historique quotidien sportif portugais, a mis en une l’attaquant uruguayen dans sa posture de l’archer avec le titre « L’aigle va chercher Cavani à Paris » . Il faut aller page 16 pour avoir une page dédiée à cette demi-finale de Ligue des champions entre le PSG et Leipzig. Un peu de contexte, une déclaration de Nagelsmann, une autre de Tuchel en conférence de presse et hop ! on passe à la qualification de la veille de l’Inter. Expédié.
Les rues de Lisbonne se sont, elles, transformées en chasse au trésor. Des équipes de médias français, sportifs et généralistes, en quête de supporters, de Parisiens, de Français, désespèrent de trouver n’importe quoi qui porte un maillot du PSG pour faire « sujet » avant le coup d’envoi. Manque de bol, les premiers sont presque plus nombreux que les seconds. Et ça rame sec pour trouver quelqu’un à qui poser la question : « Alors, confiant(e) pour ce soir ? »
Lisbonne se bat contre un retour du Covid-19. Comme on scrute d’un œil inquiet les nuages qui annoncent l’orage à venir. Alors la vie, dans ce qu’elle a de petites futilités essentielles – regarder un match entre amis en buvant des bières –, a été mise en sourdine. Dans le monde d’avant, les supporters des deux équipes se seraient donné rendez-vous sur la place du Rossio avant d’arpenter les collines d’Alfama pour en descendre, beaucoup moins droit, quelques Sagres ou Super Bock plus tard. Là, il n’y a rien qui témoigne de l’espoir aveugle, de l’adrénaline qui monte ou de l’attente angoissante qui accompagnent habituellement la mise en orbite des matchs couperets. Lisbonne enregistre avec plaisir la baisse des contaminations et le retour des touristes étrangers depuis quelques semaines. C’est déjà ça. Le foot passera après. Pour une fois.
Pour palper du bout des doigts quelque chose qui ressemble à un avant-match, il faut aller devant l’hôtel des Parisiens, le Myriad by Sana, posé au bord du Tage. À moins de trois heures du coup d’envoi, quelques dizaines de personnes se pressent contre la double rangée de grilles, installée devant l’entrée pour protéger la délégation du monde extérieur. Depuis leur arrivée à Lisbonne, les joueurs et le staff vivent en quarantaine dans leur 5 étoiles. De peur qu’un joueur attrape le Covid-19. La seule chance de les apercevoir reste l’interstice de quelques secondes pendant lequel ils quittent le lobby pour se rendre à l’entraînement ou aux matchs. C’est peu, mais c’est déjà ça. Diego et Enzo portent un T-shirt « Ultra Paris » et un drapeau de Paris sur les épaules. Ils sont de Pontault-Combault, en Seine-et-Marne, et d’origine portugaise. Diego est un héritier. Son père était dans la tribune Boulogne dans les années 1990. Ce dernier est resté en France ; le fils a voulu être là. Parce que, comme il le dit : « Pour moi, Français d’origine portugaise, il n’y a pas de meilleur endroit pour la gagner que Lisbonne. » Et puis, pour la dernière finale, en 1993, il n’avait qu’un an. En 2020, il rêve de pouvoir présenter la coupe le 13 septembre à l’occasion du match de Ligue 1 contre Marseille au Parc, « et leur mettre 5-0 » .
À côté, ça se tourne autour entre un groupe de supporters du PSG du Val-d’Oise et un autre de Brésiliennes qui chantent à la gloire de Neymar. On se présente :
« Comment tu t’appelles ? demande l’une des adoratrices du meneur de jeu.
– Grégory, répond Grégory, torse nu, tatouage Fred Perry sur l’omoplate.
– Et toi ?
– Ayden, répond le deuxième du groupe de Parisiens.
– Comment ? Tu t’appelles tudo bem ?
Tout le monde se marre. – Laisse tomber, c’est un Arabe » , conseille le troisième pote.
Grégory raconte ensuite l’expédition Lisbonne : « On était en vacances en Croatie, où on a regardé le match contre l’Atalanta et là, on a décidé de rentrer pour venir ici. » Pour cette demi-finale, ils ont réservé une table à The Spot, un « sports bar » tenu par un Français, Stéphane, et devenu le lieu de rendez-vous des supporters lyonnais et parisiens depuis le début de ce Final 8.
18h15, la délégation du PSG sort au compte-gouttes de l’hôtel. Tuchel en béquille et en premier. Puis Zoumana Camara. Derrière son masque, on le confond avec Mbappé : il a droit à des « Kylian, Kylian ! »Tous les téléphones montent en l’air pour le passage de Neymar. Bonheur bruyant des Brésiliennes. Le bus démarre. Tout le monde vérifie la qualité de la vidéo sur son téléphone.
19h30, Stéphane est obligé de filtrer. Tous les médias français présents sur place attendent de pouvoir rentrer au Spot. Il s’excuse : « J’ai déjà l’AFP, France 2, désolé. » Alors, les envoyés spéciaux envoient des pastilles en direct devant le bar. Les clients qui n’ont pas réservé se rabattent sur le Couch Sports Bar, à quelques centaines de mètres, un pub d’étudiants étrangers devenu la deuxième bouée de sauvetage des Français en quête d’ambiance. On ne voit qu’eux dans les rues désertes de la capitale portugaise. Le gouvernement oblige les bars à fermer à 20h30.
Le Couch Sports Bar est bondé, alors les supporters se massent dans l’escalier qui descend vers son entrée où a été installé un écran géant sur lequel Cristiano Ronaldo fait la réclame pour un shampoing. Le premier plan sur Nagelsmann provoque la première rigolade générale. « Il a mis son plus beau costard, la haute-couture allemande. »1-0, puis 2-0. Depuis le début, Lola enchaîne tous les chants des ultras de Paris en famille, avec enfants et mari. Elle est la sœur de James Rophe, ancien supporter du club devenu porte-parole de l’Association nationale des supporters, décédé en avril dernier. Elle est rejointe par des amis de son défunt frère, qui chantent en son honneur. Un journaliste de RMC les prévient : direct dans 30 secondes. Ils changent de registre :« Les Marseillais, allez-vous faire enculer. » Puis une dédicace à Momo, autre supporter mythique du club, décédé aussi d’un cancer.
3-0. La police débarque. Elle fait éteindre tous les écrans et évacuer le bar. Ça chante« allumez la télé », puis ça gueule « tout le monde déteste les keufs ». Finalement, les clients sortent au goutte-à-goutte. Dans un anglais niveau 6e, un Français grogne contre les policiers :« Ça fait des années qu’on attend ça, c’est un jour spécial, putain, vous pourriez comprendre ! » Il se calme : « Bon, ça va qu’on gagne. »Il regarde le dernier quart d’heure sur son téléphone.
90e minute. Tout le monde commence à chanter : « On est en finale ! »Pas mieux que les supporters des Bleus après France-Belgique, en somme.
Marquinhos face à Leipzig
Jour 2 – Mercredi 19 août
À Lisbonne, la nuit, tout le monde tire la langue. Alors c’est retour au Spot, l’une des seules sources qui coulent après 20h dans une ville presque soumise à la prohibition. Ce soir, c’est au tour des Lyonnais de se presser devant la porte de ce bar tenu par des Franco-Portugais et devenu, depuis le début de ce Final 8, l’épicentre des supporters des clubs encore en vie. Dès 19h, ça commence à s’impatienter : « La compo, la compo ! » Caqueret est titulaire, alors « tout va bien ». Commence une suite d’épreuves : se mettre sur la liste ; attendre d’être accompagné(e) jusqu’à une table avec son masque ; payer en avance le combo « assiette de petiscos, deux bières ou un cocktail ». Ça manque de spontanéité et d’insouciance, mais voilà, c’est la vie des supporters sous protocole Covid.
À quelques minutes du coup d’envoi, zéro stress palpable du côté des supporters lyonnais. Il y a Guillaume et Patricia. Il vient de la région Rhône-Alpes, elle est portugaise et, chaque été, ils se retrouvent ici, à Lisbonne. On comprend que pour Guillaume, cette qualification improbable de l’OL ajoute une couche de chantilly à son habituel amour estival. « C’est que du plus, cette demie. J’ai déjà eu ma dose d’émotions fortes et de bonheur avec la Juve et Manchester City. » Attablé au fond du bar, David, un Lyonnais expatrié là depuis un an, voit dans le parcours de son équipe la rédemption des mal aimés. « C’était quand même mal barré en début de saison. Et puis, après le limogeage de Sylvinho, on n’était vraiment pas contents de l’arrivée de Rudi Garcia qui, d’après ce qu’on me dit, n’est pas un type sympa. Là, la déception du classement en Ligue 1 est déjà effacée, et Garcia s’est racheté un statut. »Il est assis à côté d’un pote picard qui admet, lui, « ne rien connaître au foot ».
Du côté du PSG, on semble avoir la gueule de bois sereine. « Ramenez-nous qui vous voulez », lance le chef barman, originaire du Val-de-Marne, supporter du PSG et de Benfica. En tout cas, la probabilité d’une finale 100% « Farmers League » ne révolutionnera pas la nomenclature des meilleurs ennemis des uns et des autres. David : « On se chambre beaucoup plus avec les potes marseillais qui, d’ailleurs, ne supporteraient pas que le PSG la gagne. Avec Paris, c’est pas non plus à la vie à la mort. »L’ami parisien acquiesce : « Si les deux clubs sont en finale, ça fait un peu Coupe de la Ligue. C’est pas prestigieux… »
Première occasion manquée par Depay. « Mais comment il peut louper ça, bordel ?! » L’attaquant néerlandais a même droit à quelques« caralho ».
Poteau de Toko-Ekambi. « On les bouffe ! » Pas pour longtemps.
Gnabry marque. Une fois, deux fois. Les premières remontées d’aigreur d’estomac se font sentir. « Thomas Müller, c’est vraiment l’archétype de l’Allemand, il est moche et super-efficace », gueule un trentenaire en maillot Hyundai. Mi-temps. Dehors, deux Lyonnaises se font déjà consoler par un groupe de trois Marseillais.
Le premier :« Vous avez pris la foudre, là, mais ça va aller en deuxième. »
Le deuxième : « Faut miser, la cote est à 27 pour Lyon, et Dembélé va marquer. »
Le troisième : « Vous habitez où ? Faut tout donner, hein… »
Elles fument nerveusement et n’ont pas l’air convaincues.
La deuxième mi-temps est une longue démonstration de la supériorité allemande. Puisqu’il faut s’en remettre à un miracle, quelqu’un hurle : « Choupo, Choupo ! » Müller en reprend une couche. « Müller, dans Tintin, c’est pas le méchant ? »Les Allemands en collent un troisième par Lewandowski. On ressort les vieilles antiennes : « Le football est un jeu qui se joue à onze et à la fin… »À la 90e minute, un spectateur « neutre » espère toujours : « C’est pas fini, il va peut-être y avoir une panne de courant. » Ce sera PSG-Bayern.
Bayern – OL : 3-0
Jour 3 – Jeudi 20 août
Depuis sa retraite, Valdo a peut-être pris, en étant méchant, 500 grammes. À 56 ans, l’ex-meneur de jeu du PSG (1991-1995) a toujours la silhouette d’un temps disparu où le football était surtout un jeu d’adresse avec les pieds. Il joue encore, de temps en temps, et court tous les matins, à côté de son domicile d’où, depuis sa terrasse, il aperçoit le stade de Benfica. Des joggings quotidiens très, très matinaux. « Parce que sinon, tout le monde s’arrête pour un selfie. J’aime bien faire des photos, mais avec l’effort et la transpiration, j’ai une de ces tronches… » Valdo est aujourd’hui sélectionneur du Congo. Mais à cause des reports des matchs des éliminatoires de la CAN 2021, il n’y aura rien à jouer avant l’automne. Alors, il reste surtout chez lui, à Lisbonne, avec sa femme qui s’occupe du marketing de son ancien club.
Valdo est d’une époque où le PSG et Benfica faisaient beaucoup d’affaires ensemble. Il était parti vers Paris avec Ricardo et Artur Jorge, l’entraîneur, sous pavillon Canal +. Il a laissé dans la mémoire collective le souvenir du troisième des quatre buts qui avaient permis d’éliminer le Real Madrid en quarts de finale de la Coupe UEFA 1993. Avant la tête de Kombouaré, il y avait eu la feinte de frappe et le plat du pied de Valdo: un moment d’histoire d’un PSG déjà en quête de reconnaissance continentale.
Vingt-sept ans plus tard, il est assis à une table du musée de la bière, posé au bord de la grande Praça do comérçio, qui donne sur le Tage. Il vient de donner une interview à une chaîne de télévision portugaise. Pour la finale qui s’annonce, un joueur qui a passé ses plus belles années entre Benfica, où se jouera le match, et le PSG, est forcément un bon client. Et puis, il a des choses à dire.« Je vois ce PSG comme la suite d’une succession d’étapes pour en faire un grand club. Il y a eu moi, Raí, puis Ronaldinho qui est un vrai tournant, puis Ibra, et aujourd’hui Mbappé, Neymar. Le PSG est parti de loin. Moi, quand je suis arrivé, on était presque une équipe de quartier. Tu disais à l’époque à des Italiens, qui dominaient le foot européen, que tu étais au PSG, on te répondait :« C’est quoi ça ? » » Depuis, selon lui, Paris a appris de ses échecs. « Quand tu es un club jeune, tu payes pour ton inexpérience. J’ai l’impression que toutes ces désillusions, je ne vais pas dire punitions, leur ont enseigné quelque chose. Qu’il fallait passer par toutes ces épreuves avant de parvenir en finale. » Il y a quelques jours, il a rendu visite aux joueurs retranchés dans leur Myriad Hotel, après avoir fait un test Covid. Il en a tiré de bonnes vibesà sentir l’ambiance entre les joueurs, parce qu’il en est convaincu : « Sans amour dans une équipe, tu n’arrives à rien. »
Valdo n’a que des bons souvenirs de son passage à Paris.« Ma fille y est née, c’est le plus important. Putain, quelle ville ! Je ne vais pas dire la plus belle parce que je vais me faire couper la tête ici… »Il a été l’un des maillons d’une longue chaîne de Brésiliens qui ont fait gagner Paris et s’y sont sentis en harmonie avec la réputation de la ville. « Pas seulement les Brésiliens ! Il y a toujours eu des artistes du ballon comme Sušić ou Dahleb, des fortes personnalités qui collent avec le côté glamour de la ville. » Et puis, malgré tout ce qu’on raconte, Paris n’était pas la ville de toutes les tentations.« Heureusement qu’il n’y a pas la plage, sinon les Brésiliens n’auraient pas été aussi sérieux. » Il est aussi content d’avoir retrouvé le « Neymar qui faisait rêver à Santos et au Barça », après une période d’adaptation qu’il résume au fossé qui sépare la France de ses voisins européens.« Je ne sais pas s’il voulait vraiment partir. Le PSG a payé la clause de 220 millions et ils ont été obligés d’accepter. Je pense que ça a été un choc quand il est arrivé ici. Il a vu la différence de niveau avec le championnat d’Espagne, le moindre intérêt médiatique accordé au football en France. Il a pu douter de son choix. »
Valdo, lui, n’aurait jamais dû venir au PSG.
En 1991, il avait signé un précontrat qui devait l’envoyer à l’AS Roma. Le président de l’époque, Dino Viola, décède en janvier 1991. On lui explique qu’il doit attendre sept mois avant de rejoindre le club romain ; pis, il ne peut pas rejouer entre-temps. À 27 ans, il n’a pas envie de prendre une pause, alors Valdo regarde ailleurs. Vers Paris, après que Michel Denisot lui a très bien vendu le projet. « Ce n’était pas une question d’argent », assure celui qui continue d’appeler « boss » l’ancien président délégué du PSG. Suivront quatre saisons couronnées d’un titre, d’une Coupe de France, d’une Coupe de la Ligue et le souvenir du bruit du Parc des Princes, le stade où il a « préféré jouer » dans sa carrière. Quelques coups d’éclat en Europe, souvent jusqu’en demi-finales, souvent contre des institutions centenaires – Juventus, AC Milan – qui savaient mieux apprivoiser ce genre de rencontres. Le plafond de verre contre lequel le PSG s’est cogné la tête et les ambitions, jusqu’à cette semaine du Final 8. Cette saison est autre. Valdo y croit plus que jamais. D’autant que, comme il le prévoit : « Ici, à Lisbonne, c’est tout le monde pour Paris. Ça va être le bordel s’ils gagnent. »
Valdo et un maillot culte du PSG
Jour 4 – Vendredi 21 août
Pendant des décennies, il y avait, accroché à l’angle de deux rues, dans le centre de Lisbonne, le célèbre emblème de Benfica. Une réplique scellée dans le mur, à la manière des carottes rouges qui annoncent les bureaux de tabac français. Il y a deux ans, ce symbole de l’histoire du club dans l’espace public a été retiré de son emplacement pour être restauré. Depuis, les supporters attendent son retour comme celui d’une relique des années 1960, la plus belle décennie du club avec les deux ligues des champions de 1961 et 1962.
Cela commence à dater.
Alors, l’arrivée imminente d’Edinson Cavani redonne un peu l’illusion que Benfica n’est pas condamné à offrir de la nostalgie pour oublier le présent. Dans l’édition du jour de Record, l’un des quotidiens sportifs portugais, il était néanmoins question de « négociation dans l’impasse ». En attendant la fin de l’interminable feuilleton, les Lisboètes s’intéressent à la finale de la Ligue des champions par procuration. Ils ont peu de chance de retrouver un jour une finale, la dernière date de 1988, mais regarde avec attention le destin croisé du PSG.
João, dans l’un des nombreux magasins de merchandising du club, estime que le club parisien « mérite d’être là au vu de tous ses investissements. Tout le monde a besoin d’argent aujourd’hui dans le foot, tu ne gagnes plus avec des budgets comme celui de Benfica ». Il a l’impression que tous les Portugais vont soutenir le club parisien. « La connexion entre les deux pays fait la différence. Elle s’est encore renforcée avec les années Pauleta au PSG. C’est moins un axe Lisbonne-Paris que France-Portugal. »
Avant qu’il ne décède en 2014, Eusébio, le grand joueur portugais des années 1960, a longtemps eu ses habitudes dans un restaurant du quartier de Nossa Senhora de Fátima, au nord de la ville. À l’intérieur de l’établissement Adega da Tia Matilde, il y a une réplique du buste de l’attaquant aux 473 buts sous le maillot rouge des Aigles, le même que celui qui trône devant le stade de la Luz. Le reste du décor est un musée de la gloire passée du club benfiquista. Jorge Sampaïo, le chef de rang du restaurant, fait le guide et résume le sentiment général. « Déjà, sans le Covid, le restaurant serait plein pour suivre les matchs depuis les quarts. Là, les gens sont obligés de rester chez eux le soir. On a beaucoup de respect pour le Bayern de Munich, un club de la même caste que Benfica, avec une longue histoire, des trophées et une base populaire importante qui dépasse les limites de la ville. D’un autre côté, je crois qu’au nom des liens entre les deux pays, de l’importance de la diaspora portugaise en France, les Lisboètes ont envie de voir le PSG gagner. Ce serait le cas pour n’importe quel club français. On est deux pays proches et amis. »
Sur la place de Rossio, l’UEFA a fait installer une autre réplique, gonflée à l’hélium, de la coupe qui sera remise dimanche soir. Le seul signe visible de l’événement dans les rues de Lisbonne. Les vendeurs d’écharpes ont commencé à affluer en même temps que les premiers supporters venus pour la finale. Parmi eux, beaucoup de Français d’origine portugaise. Pour beaucoup habitants de l’Île-de-France et à la double allégeance. Comme Diego, venu de Seine-et-Marne.« Si je faisais un sondage autour de moi, je dirais que 80% des Franco-Portugais soutiennent le Benfica et 20% le Sporting. Les gens qui ont émigré, ce sont le peuple, et Benfica est un club populaire, contrairement au Sporting auquel reste collée cette image aristocratique et proche des élites. » Supporter des deux clubs, il trouve beaucoup de points communs entre Benfica et le PSG. « Les deux ont des soutiens dans toutes les classes sociales. Et depuis peu, surtout depuis l’arrivée de Mbappé et Neymar, il y a un réel effort de transmission de la passion pour son club au PSG. Ça fait quelques années que je vois des parents supporters du PSG offrir un maillot du club à leurs enfants dès le plus jeune âge. Ça, c’est très Benfica aussi. »
Si cela ne suffisait pas, le PSG bénéficiera aussi d’une petite cote d’amour auprès des nombreux Brésiliens expatriés dans la capitale portugaise. Vitor, assis avec deux potes dans un restaurant qui propose picanha et feijoada, espère une victoire du PSG « plus pour Neymar que Thiago Silva ou Marquinhos ». Il a pardonné à l’ancien joueur de Barcelone les mêmes travers que ceux dénoncés par les supporters parisiens avant cette saison. « Comme pour tous les Brésiliens qui suivent le foot, il a beaucoup perdu en popularité depuis 2014. On avait l’impression qu’il était resté un enfant, qu’il n’avait pas compris qu’il était un adulte. Ce qui me plaît cette année, c’est qu’on a l’impression qu’il a mûri, qu’il est plus dans une dimension collective. Il a toujours le même jeu, basé sur la provocation, mais on a la sensation qu’il est plus investi dans son équipe et qu’il respecte plus ses coéquipiers. Il suffit de regarder comment il célèbre avec eux les buts du PSG… » Vitor ne veut faire aucun pronostic. D’autant qu’il ne sait pas où il regardera la finale. C’est un peu un tiraillement pour lui : « À la même heure, il y a un match de Flamengo. »
Jour 5 – Samedi 22 août
Habituellement, l’été, sur les bords de la Méditerranée, on fuit les Allemands, sandales/chaussettes aux pieds ou non. Bon, ils ont toujours préféré faire du boucan et prendre des coups de soleil à Lloret del Mar que visiter la tour de Belém, mais tout de même.
On pose la question en cette veille de finale : où sont les Allemands ?
Où sont les fiers supporters du Bayern à Lisbonne, eux qui habituellement débarquent à quelques milliers pour chaque match de la Champion, comme on l’appelle ici ? Là, il faut les chercher, noyés au milieu de la nuée de têtes de cette saison touristique. Elle sonne bien latine. Il n’y a que des Français, Espagnols et Italiens en cet été de Covid. Alors, il faut guetter l’écharpe discrète qui pend à une chaise d’un bar de la Rua da Prata. Ils sont quatre, dont Kai et Sacha. Pour coller au cliché, ils s’enfilent des pintes de Super Bock à une vitesse relativement soutenue. Ils abordent l’événement aussi peu tendus qu’un père attend la naissance de son sixième enfant. Comme le dit Kai : « On la sent très bien cette finale. Je crois que le PSG a peur de nous. On a mis 3-0 à Lyon, alors que le PSG a galéré en finale de la Coupe de la Ligue. Cette année, tout est parfaitement en place. Une équipe de potes très concentrés. C’est la meilleure équipe depuis l’époque de Guardiola. » Il prend quelques secondes de pause et ajoute : « Bon, il faut toujours respecter l’adversaire. »
Il y a le fair-play, au moins de façade, pour le PSG, l’équipe de onze types qui cavalent sur le terrain. Et puis il y a le club, sa mise en orbite continentale, sportive, marketing, diplomatique, enclenchée il y a dix ans avec l’arrivée de QSI en actionnaire majoritaire. Et ça, c’est une autre histoire. Pour Sacha, le PSG est à peu près tout ce qu’il déteste dans le football d’aujourd’hui. « Je suis très traditionaliste. Je déteste tous ces nouveaux clubs en plastique qui ne cherchent qu’à vendre des maillots, qui prennent des gamins de douze ans dans leur académie. Cela me fait penser aux enfants-soldats qu’on recrute dans les guerres en Afrique. » Il avoue : « Le PSG était un club de foot dans les années 1990, mais aujourd’hui, je ne les aime pas. C’est comme le RB Leipzig ; pour moi, ils n’existent pas. S’ils sont un jour en tête de la Bundesliga, le classement comptera à partir de la deuxième place. » Kai tempère, encore une fois : « Bon, sur le terrain, c’est top niveau. »
Sacha n’a pas loupé un match du Bayern depuis 1997. Mais ce sera sa première finale devant un écran de télévision. Il n’aime pas les supporters du Bayern, surtout à l’Allianz Arena, qu’il trouve mous, peu inspirés et légèrement pantouflards. « Personne ne va venir, ils vont regarder ça chez eux, avec des chips. » Il a plus de respect pour ceux de Dresde, capables de débarquer à 20 000 au stade olympique de Berlin pour affronter le Hertha et mettre le feu avec leurs fumigènes. En marge de son amour pour le Bayern, il a longtemps suivi Manchester City. Dans sa période pré-émiratie.« J’allais à Maine Road, l’ancien stade, je devais être le seul supporter allemand de l’époque, quand ça jouait en troisième ou quatrième décision. Le foot était nul, mais quelle ambiance. Et puis, je suis allé à leur premier match quand ils ont déménagé à l’Etihad Stadium. L’atmosphère était nulle à chier. »
Depuis, un brin blasé, il rêve de déplacements dans des endroits improbables, retrouver les stades qui sentent la saucisse et la bière. « Le système de la Ligue des champions est pensé pour que ce soit toujours les mêmes clubs qui se retrouvent. J’en ai marre d’aller toujours dans les mêmes stades, même quand ils sont magnifiques comme à Bernabéu. Moi, j’aimerais qu’on joue le Dinamo Minsk pour aller voir leur stade. » Et puis, il y a les stades dont la simple évocation du nom blesse encore leur cœur de supporter. Le Camp Nou, champ de bataille du désastre de 1999, quand le Bayern avait laissé échapper une finale dans les arrêts de jeu face à Manchester United. Ils y pensent toujours. Sacha : « C’est le plus gros traumatisme de ma vie. Après, je crois que je n’ai pas fait l’amour pendant un an. »
Jour 6 – Dimanche 23 août
Et Lisbonne s’est rappelé qu’on était un dimanche. Qu’une défaite se consume seul et dans le silence. Qu’il ne sert pas à grand-chose de mariner en banc dans son amertume. Alors, au coup de sifflet final, les centaines de supporters qui s’étaient massés pour voir le match dans les restaurants et bars de la rive du Tage, à quelques centaines de mètres de l’hôtel de la délégation du PSG, se sont volatilisés en quelques minutes. Un vent de regret, mais pas grand-chose à échanger tant le PSG, surtout en deuxième mi-temps, a paru s’éteindre petit à petit dans cette finale face au Bayern et offert peu de moments d’enthousiasme à ceux qui croyaient en lui.
Ils étaient pourtant nombreux à Lisbonne. Quelques heures auparavant, deux mille personnes s’étaient regroupées devant le Myriad, l’hôtel occupé depuis le début de ce Final 8 par les Parisiens. Supporters parisiens, sympathisants portugais, fans de Neymar, tout ça avait créé une drôle de communauté transnationale depuis le début du tournoi. Comme les fois précédentes et depuis la nuit des temps, les Brésiliens sont toujours un cran au-dessus pour faire de rien une excuse pour danser, chanter et chambrer l’adversaire. Un groupe où se mêlent supporters de Flamengo, Palmeiras et Santos fait le show autour d’une enceinte qui crache des morceaux de musique bahianaise. À côté, les ultras parisiens ou apparentés comme tels ont l’air de trouver qu’on leur vole la fête et leur statut privilégié de supporters d’un club en finale. Alors quelqu’un s’improvise capo et tente de rameuter tous les Parisiens posés sur la butte qui surplombe la sortie de l’hôtel. Tous les chants du PSG y passent, avec toujours cette même habitude française d’accélérer le rythme et de perdre toute musicalité. Deux couches pour Paris et une couche contre Marseille. Il y a même quelqu’un qui chante « Marseille, on t’encule » avec l’accent marseillais. Tout le monde répète, comme un mantra, « que cette année, elle est pour nous ». Comme Christopher, venu avec son père et en urgence. Il est parti ce matin de Montpellier, où il habite. Ils ont fait la route pour être là. Par défaut. « On aurait préféré être dans le stade avec les ultras ou à Paris où ça risque d’être un sacré bordel si on gagne. Peu importe, on est chez nous partout. »
18h15 : Les joueurs sortent, toujours dans le même ordre. La hiérarchie inversée de celle du vestiaire. Mitchel Bakker, le latéral remplaçant, en premier et dans l’indifférence. Neymar et Mbappé en dernier, accompagnés de cris hystériques. Le car démarre en direction du stade de la Luz. Les supporters filent se tanquer en terrasse. Les Brésiliens ont leurs habitudes au bar Status, là où d’habitude ils viennent suivre les matchs du championnat brésilien. Un groupe a accroché une banderole du Sport Club do Recife qui joue à la même heure face à São Paulo FC. Peu importe l’affiche, c’est un dimanche de foot. Pour la première fois depuis le début de ce Final 8, Lisbonne ressemble à une ville hôte de quelque chose de central et essentiel à la vie sociale du monde.
19h : À une heure du coup d’envoi, Adam, Marseillais, mais supporter du PSG, se mord les lèvres et fixe son portable. « J’en peux plus là. »Sadia, en face de lui : « Le temps passe pas. Ils sont obligés de gagner, c’est pas possible. » Adam : « S’ils ne gagnent pas, je rentre pas à Marseille. » Une fille arrive avec le maillot du Bayern, la seule, et se prend vanne sur vanne dans toutes les langues.
20h : Le match commence. Les ultras se sont regroupés autour du comptoir du bar Torre. Le capo s’est muni d’un mégaphone. On recrée les échanges entre les tribunes Boulogne et Auteuil. Le premier tacle de bonhomme de Paredes est célébré comme un but. Pareil avec les arrêts de Navas ou les occasions manquées de Di María. « Il y a la place, bordel ! »
Mi-temps. Stéphane a émigré vers le bar des Brésiliens. Il ne tient plus. « On se fait manger au milieu. On ne met pas le pied sur le ballon, Verratti nous manque. » Pire que tout, « celui qui nous fait le plus mal, c’est Coman » .
Bien vu. Deuxième mi-temps. Le joueur formé au PSG claque sa tête dans le petit filet. Il a droit à des « Coman, Coman on t’encule » des ultras. Le capo tente de remobiliser les troupes. En vain. L’entrée de Verratti apporte un brin d’espoir. Vite déçu tant le milieu italien paraît à court de rythme et d’influence sur le terrain. Les minutes s’égrainent. La défaite semble écrite. Alors, le capo est déjà dans l’après : « Quel que soit le résultat, on encourage. On est Paris, c’est historique. On est en finale pour nos cinquante ans. » Choupo entre à son tour dans les habits du sauveur. À trois mètres des buts de Neuer, il manque la balle d’égalisation en regardant le ballon de Neymar lui passer au-dessus de la cheville. Il ne sera pas l’homme du miracle. Pas cette fois.
Par Joachim Barbier, à Lisbonne / Photos : IconSport