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Cédric Bardon : « Le derby de Sofia, un match de dingue »
En 2005, Cédric Bardon peine à exister en Ligue 2 sous les couleurs du Havre. Plus trop enthousiaste quant à ses chances de percer dans l'Hexagone, il tente alors la grande aventure au Levski Sofia. Une décennie plus tard, il fait partie du panthéon du club bulgare. Entretien.
Comment vous prenez la décision en 2005 de partir jouer au Levski Sofia ?J’étais en contact avec Alim Ben Mabrouk (ancien international algérien, ndlr), qui m’appelle un jour et me dit : « Voilà, j’ai une opportunité, un club qui s’intéresse à toi en Bulgarie. » Moi, je n’y connaissais pas grand-chose à la Bulgarie, si ce n’est un club, le CSKA Sofia. J’étais au Havre, en seconde division, ce n’était pas la panacée, donc je n’étais pas contre un départ. Fin août, un agent serbe me rappelle et me dit qu’il a un club pour moi, le Levski Sofia. Je suis allé voir ce que c’était, j’y suis resté…
Et à cette époque, le Levski Sofia, cela ne vous dit rien, vous n’avez pas conscience qu’il s’agit du grand rival du CSKA ?Nous, Français, on ne connaît pas forcément. Mais quand je suis arrivé, j’ai compris que c’était un très gros club local, si ce n’est le plus gros malgré les revendications du CSKA Sofia. Le Levski Sofia, c’est le club avec le plus de fans, celui qui draine le plus de monde dans les matchs européens.
À quoi ressemblait le football bulgare ?Ce qui est paradoxal, c’est qu’il y a cinq, six équipes, les autres sont largement en dessous, plus des sparring-partners pour préparer les grosses rencontres. L’année où je suis arrivé, on avait une équipe intéressante, avec beaucoup d’internationaux, et on a fait une saison exceptionnelle, avec notamment un quart de finale de Coupe de l’UEFA.
Cela jouait très bien au foot. Mais c’était dix gros matchs dans la saison et pour le reste les affaires courantes. Comparable au Real-Barça en Espagne, mais à un degré différent, car le niveau espagnol est très élevé, c’est juste que les plus gros clubs sont à un niveau exceptionnel. La Bulgarie, les meilleures équipes étaient plutôt du niveau du milieu de tableau espagnol, pas plus.
Le derby de Sofia, cela devait être costaud…D’ailleurs, je suis directement entré dans le bain avec pour premier match le derby de Sofia, un match de dingue. Et la semaine suivante, je jouais Auxerre en Coupe d’Europe. Cela s’était bien passé, avec notamment un gros résultat à Auxerre (défaite 2-1 à Auxerre à l’aller, victoire 1-0 au retour, ndlr).
Les supporters bulgares peuvent se montrer violents. Cela vous est arrivé de vous sentir menacé ?Effectivement, cela nous est arrivé dans des périodes avec des résultats un peu bas. Dans un club qui joue le haut du tableau, la moindre petite crise de résultats, les gens ne comprennent pas. Je me souviens d’un match qu’on est allé jouer contre Litex Lovetch, un gros rival, et on avait perdu là-bas. À mi-chemin du retour, on s’était fait arrêter là-bas par des voitures de supporters qui nous avaient obligés à sortir du car pour nous expliquer. Cela avait été un peu chaud, mais il faut y être préparé, cela peut arriver.
En 2005-2006, il y a une épopée européenne qui s’achève contre Schalke 04 en quarts de finale…À l’aller, à la maison, on ouvre le score, on domine largement, puis il y a des faits de jeu. L’arbitre m’expulse au bout de 20 minutes, alors qu’il n’y avait aucune faute. On perd 3-1 à la maison et on va gagner 1-0 chez eux (1-1 en réalité, ndlr). Mais bon, ça n’avait pas suffi, on s’était fait sortir, ou plutôt voler je dirais. Quand vous êtes le Bulgare face au gros Allemand, vous êtes un peu défavorisé on va dire.
Ce parcours reste néanmoins le plus beau souvenir de votre carrière ?Ouais, quarts de finale, mais j’ai eu la chance de faire une campagne en Ligue des champions avec une équipe chypriote (Anorthosis Famagouste en 2008-2009, ndlr), on avait fait des résultats extraordinaires. Mais arriver en quarts de Ligue Europa avec notre équipe du Levski, c’était un exploit, c’est sûr. L’année d’après, on s’était qualifiés pour la Ligue des champions. Les Bulgares avaient une grosse attente par rapport à ça, pour eux c’était un grand moment, car c’était la première fois. C’est un pays qui veut vibrer à nouveau comme ils ont pu le faire avec leur équipe nationale ou le CSKA à une certaine époque.
En dehors du foot, vous gardez quels gros souvenirs de la Bulgarie ?En dehors du foot ? La première fois qu’on est arrivés, avec mon épouse, on s’est demandé où l’on mettait les pieds. C’est vrai que c’était encore en grands changements. Le communisme était terminé depuis longtemps, mais on ressentait encore les traces de cette époque avec des routes toutes cassées, des immeubles à moitié terminés un peu partout… Mais au niveau de la qualité de vie, on était privilégié avec le statut de joueur de foot. Quand vous gagnez bien votre vie, la vie à Sofia est plutôt sympa.
Trois ans en Bulgarie, cela vous a donné envie de continuer à découvrir en Israël, puis à Chypre ?J’ai fait deux ans et demi à Sofia, deux années exceptionnelles et six mois compliqués où on avait tous besoin d’une remise en question. Quand vous gagnez trop souvent, vous ne vous remettez pas en question. Les cadres, on avait un peu envie d’aller voir ailleurs.
Le club vivait aussi une période plus difficile financièrement, donc je suis parti faire six mois en Israël où cela m’a fait du bien. J’ai retrouvé un football plaisant, avec un professionnalisme différent du nôtre : le plaisir avant, le résultat après. J’ai enchaîné à Chypre dans un club qui venait d’être champion, qui montait une équipe pour tenir la route en Ligue des champions, et qui s’y est qualifié en battant le grand frère ennemi l’Olympiakos. Cela a été un autre super moment de football. Je me suis promené, j’ai pris du soleil aussi.
Le retour à Sofia en 2009, une erreur ?Non, le président, avec qui je m’entendais bien, m’a dit qu’il voulait que je revienne, qu’il avait besoin de cadres pour accompagner des jeunes. Il y avait une remise en question de la politique du club, car les moyens n’étaient plus les mêmes. J’ai fait un an, mais j’arrivais à trente-trois ans, je commençais à tirer la langue. Il me restait un an de contrat, mon épouse en avait marre de bouger tout le temps et mes enfants grandissaient, donc on a décidé de retourner en France.
Vous y retournez, en Bulgarie ?Ils m’appellent régulièrement pour participer à des matchs d’exhibition, mais mon travail ne me laisse pas le temps (il gère une agence d’intérim, spécialisée transports et logistique, L’équipe RH, ndlr). Donc je n’y suis toujours pas retourné.
Vous parlez bulgare ?Oui, couramment. Je n’avais pas trop le choix, en Bulgarie, peu de personnes parlent français, ni anglais d’ailleurs. Donc j’avais le choix entre parler bulgare ou ne pas parler du tout.
Propos recueillis par Nicolas Jucha