- Coronavirus
- Interview
- Cédric Anselin
Cédric Anselin : « Je ne vais jamais au lit avec du négatif en tête »
Passé par Bordeaux, Lille et Norwich, Cédric Anselin (42 ans) a vu sa carrière s'effondrer d'un coup au début des années 2000. Jusqu'à plonger l'ancien international espoir et finaliste de la Coupe de l'UEFA 1996 dans la dépression. Aujourd'hui soigné, mais pas guéri, il témoigne et donne quelques conseils aux gens qui vivent particulièrement mal le confinement.
Si la carrière de Cédric Anselin était une série, elle ressemblerait à Prison Break : des débuts tonitruants, avant de sombrer dans l’oubli et l’indifférence quasi générale. À la différence près que contrairement à celle de Michael Scofield, la vie de Cédric Anselin n’est pas une fiction. Et les conséquences auraient pu être bien plus tragiques que celles d’un scénario approximatif. Formé à Bordeaux, Cédric croque neuf apparitions en équipe première. Dont une en finale de la Coupe de l’UEFA 1996, lors de laquelle il remplace un Liza esquinté d’entrée de jeu par Kostadinov. Après un passage au LOSC et quelques sélections chez les Bleuets, le natif de Lens rejoint Norwich City qui l’accueille comme une star en 1999. Voilà pour l’équivalent de la S01 de la série carcérale. Et le début des ennuis : écarté des terrains par une tendinite, il se rend compte que l’entraîneur ne compte plus sur lui. Cédric Anselin rompt alors son contrat avec les Canaries, certain de retrouver rapidement un contrat. Mais le mauvais scénario se met en place : son téléphone ne sonne pas, et les journées se font de plus en plus longues. Inexorablement, la dépression s’invite. Cédric erre dans des clubs anglais de seconde division, avec un intermède bolivien d’où il ne ramènera comme unique trophée que la malaria. Et comme unique cadeau de retour un découvert de 400 000 euros, après avoir été escroqué par un membre de sa famille. Obligé de tout vendre, Cédric travaille dans un camping, vit dans une caravane avec sa copine et boit un peu trop. Après une première tentative de suicide en 2012, rebelote en 2016 après que sa compagne l’a quitté. La corde est autour de son cou, lorsqu’un coup de fil d’un ami le sauve. Acculé, Cédric n’a d’autre choix qu’enfin se faire soigner. Aujourd’hui, Cédric Anselin sait comment vivre le moins mal possible avec la maladie.
Qu’est-ce qui a déclenché ta dépression ?Mon départ de Norwich City, à un an de la fin de mon contrat. Je ne faisais pas partie des plans de l’entraîneur. Ça arrive, c’est le football. Mais je n’étais pas préparé, j’ai été mis sur un piédestal très tôt. « Tu es un grand joueur, etc. » Parce que j’avais joué une finale de Coupe d’Europe très jeune, gagné la Coupe de France, été international espoir… Donc ce départ de Norwich m’a fait très mal, j’étais perdu. C’est comme si vous aviez rencontré votre femme très tôt, et qu’elle vous quittait subitement : vous êtes forcément perdu.
Tu as eu l’impression que le football t’abandonnait ?Quand vous faites partie d’un groupe de 20-25 joueurs que vous voyez tous les jours, avec qui vous mangez tous les jours, cela devient une famille. Et du jour au lendemain, vous ne prenez plus le chemin de l’entraînement, vous ne faites plus partie de cette famille. Tout s’arrête, vous êtes seul. Vous passez de footballeur professionnel à plus rien, votre téléphone ne sonne plus.
La dépression est une maladie répandue, dans le milieu du football ?Beaucoup de joueurs en sont atteints, mais vu qu’ils jouent, ils ne peuvent pas en parler. Ils en parleront plus tard, en écrivant un livre ou en donnant des interviews.
Comment expliques-tu que les footballeurs soient particulièrement sujets à cette maladie ?On gagne beaucoup d’argent en faisant un métier public, tout ce que l’on fait est relaté par la presse. On est encensés, donc quand ça va moins bien et que tout cela disparaît, c’est très dur. Et puis, c’est un métier très machiste. C’est compliqué d’en parler, de peur d’être vu dans le vestiaire comme quelqu’un qui ne va pas bien. Parce qu’il y a des gars qui jouent au même poste que toi, et qui ne rêvent que de te piquer ta place. Surtout dans les clubs anglais, qui ont des budgets leur permettant de tripler ou quadrupler les postes.
La vie de footballeur est faite de beaucoup de moments de solitude…Je détestais les stages de pré-saison et les mises au vert. Tu vis à l’hôtel, tu ne sors pas de ta chambre… En Angleterre, tu joues tous les trois jours, donc c’est en permanence.
On peut guérir de la dépression ?Non. Pas du tout. Tu vis tous les jours avec. On me dit souvent que j’ai réussi à surmonter ça, que je suis passé de l’autre côté du pont. C’est faux, il n’y a pas d’autre côté du pont. Mais maintenant, j’ai les outils pour mes moments de doute ou mes idées noires. Je suis bien entouré, j’en parle. Je ne m’intéresse pas aux gens négatifs, je les ai éliminés de ma vie. C’est très important d’être entouré de gens positifs, qui vont t’entourer et te protéger.
Hervé Renard fait partie de ces personnes positives qui t’ont beaucoup aidé…Hervé, ça a été un père. J’étais à la rue, je vivais dans une caravane, j’étais perdu… Et puis, ma femme m’a dit qu’un entraîneur français venait d’arriver à Cambridge. J’ai vérifié sur Google, et effectivement, Hervé Renard avait signé à Cambridge avec Claude Leroy. Ma femme me sommait de l’appeler, mais je ne savais pas quoi lui dire, ça faisait longtemps que je n’avais pas joué… J’avais peur qu’il me dise « Non », ça m’aurait enfoncé encore plus. Ma femme a fini par l’appeler, et m’a passé le téléphone quand il a décroché. Il a su trouver les mots justes, et j’ai signé à Cambridge (en 2004, N.D.L.R.). C’est un homme énorme, avec un cœur incroyable. Il m’a redonné l’envie de jouer, il m’a remis sur pied physiquement et mentalement… Je lui dois beaucoup. Il m’a protégé. Je faisais une heure et demie de route pour aller m’entraîner, j’aimais à nouveau le foot.
Aujourd’hui, tu dis que c’est un devoir de parler de ton histoire et d’éduquer sur les risques de la dépression. Cela se manifeste comment ?Je me sers de mon passé de footballeur pour me faire entendre, mais la dépression peut arriver à n’importe qui n’importe quand. Je donne des conférences pour des comités d’entreprise, et dans des lycées ou collèges. C’est important d’éduquer la nouvelle génération. Ils vont faire face à des obstacles, ils devront relever des challenges : il faut leur expliquer comment tirer le positif d’une expérience négative. Aux gens qui viennent me voir, je dis toujours qu’il y a une lumière au bout du tunnel. Je veux qu’ils repartent heureux. Je ne suis pas psychologue, mais si je peux aider quelques personnes, je le fais. Et pourquoi pas sauver des vies, comme je l’ai déjà souvent fait ?
L’obligation de confinement actuelle est particulièrement difficile pour les gens souffrant de dépression ?Les problèmes de santé mentale vont être un vrai sujet, surtout après le confinement. La vie de beaucoup de personnes va changer, des entreprises familiales vont faire faillite et des gens vont perdre leur boulot… Des gens vont être confrontés pour la première fois à la dépression. Ça va être horrible, des gens vont mettre fin à leur vie et d’autres ne vont pas s’en sortir. La première chose, c’est de parler. Il faut trouver la force de tendre la main à quelqu’un qui va t’aider. Mais cela demande beaucoup de courage, car quand tu es en dépression, tu trouves des excuses. Toujours. Il faut en parler, sinon ça va être délicat.
Tu es confiné seul ?Oui. Mais je n’essaie pas de me battre contre la situation, je ne me demande pas combien de temps ça va durer. Parce que si tu penses négativement, tu commences à cogiter, et la dépression commence à te grappiller. Je cours beaucoup, ça m’aide. C’est mon mécanisme, mais ce n’est pas une règle. Je ne cours pas pour la performance. Si j’ai envie de m’arrêter pour apprécier les champs et les chevaux qui m’entourent, je le fais, c’est important. J’ai la chance d’avoir un jardin, et des amis à qui parler par Facetime. J’ai une routine : avant de me coucher, j’organise la journée du lendemain et je pense à des choses positives. Je ne vais jamais au lit avec du négatif en tête.
C’est important de converser en vidéo ?Oui, il faut mettre un visage sur la personne qui te parle. Cela nous fait du bien de se voir. Le plus difficile pour moi est de ne pas pouvoir donner un câlin à mes enfants. Mais je l’accepte, je n’ai pas le choix. C’est difficile à vivre, mais j’ai déjà traversé des épreuves beaucoup plus difficiles que celle-ci. J’ai fait deux tentatives de suicide. Quand tu es passé aussi près de la mort, tu vois la vie différemment. C’est aussi une bonne période pour se reconnecter avec des amis perdus de vue, parce qu’on vit tous à 200 à l’heure. Là, on a le temps. Pareil avec les enfants. J’ai des amis qui s’arrachent les cheveux, parce qu’ils passent leurs journées avec leur femme et leurs enfants. Je leur dis qu’ils sont en train de se créer des souvenirs. Leurs enfants n’auront plus jamais l’âge qu’ils ont en ce moment, il faut en profiter. Apprécie d’avoir ta femme !
Tu retournes à Bordeaux, de temps en temps ?Je n’y suis pas retourné depuis quatre ou cinq ans, mais je suis toujours les Girondins, j’ai beaucoup d’amis qui y travaillent. Cela me brise le cœur de voir comment les repreneurs américains sont en train de détruire ce club emblématique, ils détruisent une culture qui a perduré pendant des années.
Propos recueillis par Mathias Edwards