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« Ce qu’il s’est passé avec Eriksen, les Danois peuvent en faire une force »
Psychologue du sport et préparateur mental, Clément Le Coz évoque les conséquences psychologiques du malaise de Christian Eriksen pour les joueurs danois, dont l'Euro se poursuit ce jeudi face à la Belgique (18h à Copenhague). Très touchés par la situation, Simon Kjær et ses coéquipiers devront surmonter le traumatisme pour tenter de créer la surprise face à la Belgique et faire un pas vers les huitièmes de finale. Une situation propice à faire naître un acte fondateur pour la Danish Dynamite ?
Pour les joueurs, comment se remet-on d’un choc psychologique comme celui-là ?Déjà, il y a plusieurs phases après un choc psychologique. On a le choc, le déni, la colère, la négociation et enfin, l’acceptation. La difficulté des sports collectifs, c’est que tout le monde ne passe pas par ces cinq étapes. Mais tant qu’il n’y a pas d’acceptation, c’est difficile d’aller de l’avant.
Concernant la décision de reprendre le match, était-il plus facile au niveau émotionnel de jouer le jour même ou plutôt le lendemain ?Psychologiquement, c’est très difficile de reprendre le match immédiatement. Ils étaient dans l’inconnu par rapport à son état, même s’ils ont vu qu’il était à peu près conscient à sa sortie du terrain. Il y a une totale perte de repères par rapport à ce qu’on appelle la cohésion opératoire, c’est-à-dire la cohésion tournée vers la performance. Ensuite, à titre individuel, chaque joueur va percevoir cet événement comme potentiellement dangereux, certains vont même l’associer à des antécédents de santé qu’ils ont pu avoir eux-mêmes. Un joueur comme Daley Blind a déjà évoqué le sujet.
Peut-on penser qu’il y ait un lien de cause à effet avec certaines erreurs individuelles en seconde période, comme celle de Schmeichel ou le penalty raté par Højbjerg ?Bien sûr. Pour être concentrés dans le sport de haut niveau, on a tendance à dire que les sportifs doivent gérer plein de stimuli différents en même temps. Pour pouvoir prendre les bonnes décisions, ils ont automatisé beaucoup de choses. Là, le problème, c’est que dans la situation de choc intense qu’ils ont vécue, cette automatisation ne se fait plus, parce que cela leur prend toute leur énergie mentale.
Est-ce qu’ils ont conscience d’être moins performants mentalement ou ont-ils l’impression d’être prêts à jouer ?C’est une bonne question. Cela dépend des joueurs, s’ils ont fait un travail mental personnel, s’ils se connaissent suffisamment eux-mêmes. Je pense que certains ont dû en prendre conscience, et pour d’autres, sous le coup de l’émotion, cela n’a pas été le cas. Simon Kjær, on peut supposer qu’il ait voulu rendre honneur à Eriksen en poursuivant le match, mais une fois l’adrénaline un petit peu redescendue, il a pris conscience qu’il n’était pas en état d’être performant.
On a vu les joueurs danois très soudés samedi soir sur la pelouse. Peuvent-ils faire de cet événement une force pour la suite ?Tout à fait, ils peuvent en faire une force, mais cela peut aussi devenir une faiblesse. La gestion de cet événement va être vraiment cruciale. On le voit après des événements très difficiles, certains joueurs reviennent meilleurs. J’ai le souvenir de Nicolas Pallois après être allé en Argentine pour l’enterrement d’Emiliano Sala. Pour son premier match à son retour, il marque (le 24 février 2019, victoire 1-0 contre Bordeaux à La Beaujoire, NDLR). Il avait ce supplément d’âme qui l’a poussé.
Comment se passe la préparation mentale entre les deux rencontres dans un contexte comme celui-ci ?Contrairement à ce qu’on peut penser, il n’y a pas tant de préparateurs mentaux que ça dans les équipes de haut niveau. Ce n’est pas sûr qu’ils en aient. C’est un peu le paradoxe : il y a un réel besoin de travail, mais faire venir quelqu’un qui ne connaît pas les joueurs dans une situation d’extrême urgence, c’est assez délicat. Dans tous les cas, il est important de faire verbaliser toute l’équipe, comment chacun vit la situation. Et après, il faut définir ensemble un objectif commun de performance et un objectif social dans leur groupe.
Quelle peut être l’importance des leaders comme Simon Kjær ou Kasper Schmeichel, que l’on a vu très proches de leurs coéquipiers samedi soir ?Les leaders sont très importants. En psychologie, c’est très lié à ce que l’on appelle la clarté des rôles, c’est-à-dire définir des leaders opératoires et sociaux. Simon Kjær et Kasper Schmeichel se sont imposés comme des leaders naturels, peut-être par rapport à leur expérience, mais aussi du fait qu’ils connaissent bien Christian Eriksen.
Voir les joueurs échanger régulièrement avec Eriksen et même lui rendre visite peut-il leur permettre de surmonter la situation ?Plus il peut y avoir d’échanges, plus son état de santé va être clair aux yeux de ses coéquipiers, et mieux c’est. Plus on a d’informations, plus cela réduit la part d’inconnue qui est à l’origine du stress et de l’anxiété.
La Première ministre danoise a parlé de « choc national ». Les joueurs peuvent-ils avoir l’impression de vivre un moment à part avec leur pays derrière eux ? Il y a un sentiment d’unité derrière eux et ça ne peut que les aider. La difficulté et la douleur créent l’union, donc cela devrait renforcer le lien entre l’équipe et ses supporters.
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