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Ce que Zidane doit à la Juve
C'est sans aucun doute là que Zinédine Zidane est devenu un autre : recruté par la Juventus après l'Euro 96, le Français a développé jusqu'en 2001, à Turin, son rapport à la gagne, à la tactique et au rôle du joueur à l'état brut. Il revient en ville mardi soir dans son costume d'entraîneur du Real Madrid.
Un tableau délirant vu de 2018. La scène a maintenant un peu plus de vingt ans : c’est la fin des années 1990, il y a la gare centrale de Turin, mais surtout la place Carlo-Felice. Un soir, Marcello Lippi, sorte de Paul Newman des entraîneurs de foot alors installé sur le banc de la Juventus, se balade en ville et croise l’un de ses joueurs. Il est en train de jouer avec des potes algériens. Lippi l’interpelle : « On fait quoi si tu te blesses ? » Réponse du joueur : « Je sais bien Mister, mais ce sont mes amis, je suis bien avec eux. » Sur l’instant, il y a tout : le footballeur professionnel ramené à l’essence de sa passion, l’humilité d’un homme qui n’aurait rien à faire à cet endroit, mais aussi peut-être la plus belle définition de ce qu’est vraiment Zinédine Zidane. Soit un mec qui se sent plus à l’aise à couvert. Ce qu’il aime, c’est le jeu, rien d’autre. L’histoire raconte que la scène captée ce soir-là par Lippi s’est jouée à deux reprises et que Zidane enfilait un bob pour éviter d’être reconnu. Il s’en est expliqué une fois, dans un entretien donné à So Foot en 2013 : « C’est Edgar Davids qui me motivait pour ça. Lui, il était fou, il faisait ça hyper souvent : il prenait sa voiture, et quand il voyait des mecs jouer sur un parking, bam, il s’arrêtait et il jouait avec eux. Il me disait toujours :« C’est pour eux qu’il faut jouer, c’est ces matchs-là qui sont importants », et moi, je lui disais :« OK, mais on a des entraînements, on joue dans un club de haut niveau, on ne peut pas se blesser. »Et en même temps, je l’admirais d’être capable de faire des trucs comme ça. »
La fin de la fête
Mardi, c’est le Zidane entraîneur qui revient à Turin avec le Real Madrid, mais surtout un homme qui joue sa saison sur un quart de finale aller-retour de Ligue des champions contre la Juve, pour qui il aura cavalé durant cinq saisons (1996-2001), remportant sur ce tremplin deux championnats d’Italie (1997, 1998), une Supercoupe (1997), une Coupe intercontinentale (1996), gagnant un Ballon d’or et disputant deux finales de C1 (1997, 1998). Que reste-t-il de la Juve dans Zinédine Zidane ? « Il aura toute sa vie un peu d’Italie en lui, a répondu cette semaine Lippi. Il s’y est perfectionné, il y a affiné sa façon de comprendre le foot.(…)Je n’ai aucun doute sur le fait que l’Italie a été essentielle pour lui, dans sa progression de joueur, puis d’entraîneur. » On tape dans le mille : dans ce qu’il nous laisse voir depuis qu’il a enfilé le costume d’entraîneur du Real en janvier 2016, où il a déjà remporté deux C1 et un titre de champion d’Espagne, entre autres, Zidane est un coach italien, un affamé de tactique, du détail et du coaching à l’état brut. Le jeu ? Oui, mais avant tout la gagne : « Pour moi, longtemps, le foot a été un truc entre copains, pour s’amuser. Jusqu’à la Juve, en fait. En Italie, j’ai appris la gagne. Et dans ma carrière, voilà, j’ai gagné, mais parfois, je ne me suis pas amusé. C’est comme ça, il y a un moment, il faut faire un choix, et moi, dans ma tête, ça a toujours été clair : je voulais gagner des titres, je jouais au foot pour ça, et j’en ai gagné. » Et ça n’a pas changé.
L’interrupteur Lippi
Le souvenir laissé par Zidane à Turin, c’est aussi autre chose : un numéro 21, un joueur pour qui Lippi accepta progressivement de mettre de côté son 4-3-3 – conséquence surtout de la rupture des ligaments croisés d’Antonio Conte lors d’un match face à la Géorgie – pour installer un 4-4-2 plus adapté aux qualités techniques du maestro français, et un décollage à retardement. C’est surtout une méprise : le passage de Zinédine Zidane à la Juve est souvent sous-évalué. C’est pourtant bien en Italie que le Français est devenu un monstre, refusant notamment de céder lors des séances physiques imposées par le préparateur physique Giampiero Ventrone (un homme qui avait fait installer une cloche de la honte à côté du terrain d’entraînement et qui demandait à chaque joueur qui abandonnait un exercice de la faire sonner, ce que Zidane n’a jamais fait, ndlr) et retournant en personne la veste d’une presse sportive italienne l’ayant rapidement montré du doigt après des débuts compliqués. Après la blessure de Conte, Zidane a pourtant pris les platines du jeu turinois, s’est allumé lors d’un match face à l’Inter et a touché son sommet en demi-finale retour de la Ligue des champions 1997 face à l’Ajax (4-1).
Lippi venait alors de réussir son pari avec un joueur dont la vie sociale, à Turin, était réduite au néant. Zidane, toujours : « Lippi a été comme un interrupteur pour moi. Il m’a changé et j’ai compris ce que cela signifiait de travailler pour quelque chose qui comptait.(…)Après mon arrivée à Turin, le désir de gagner des trophées a pris le dessus et il ne m’a plus jamais quitté. »
« Tu es le plus fort de tous »
Zidane a surtout développé une posture : celle du mec qui voit le joueur comme le point de départ et le point d’arrivée de la victoire. L’entraîneur, lui, ne devient alors que le metteur en scène de l’ensemble. Tout cela aussi vient de Lippi. Comme le style, probablement : à Turin, Zinédine Zidane a été accueilli par le découpage de ses chaussettes Achille – « basses et flashy » – dans le vestiaire, histoire de lui faire comprendre qu’en Italie, c’est uni, et à mi-mollet, point barre. Depuis ce passage dans les bras de la Vieille Dame, le Français ne coupe plus ses pâtes, non plus, Dieu merci. Et il a gardé aussi les mots lâchés par son second entraîneur à la Juve, Carlo Ancelotti : « Tu verras, parce que c’est ce qui va t’arriver, tu le mesureras toi-même, gagner en tant qu’entraîneur est beaucoup plus beau, beaucoup plus dur. » À distance, Zidane garde ce lien avec la science ouvrière qu’il a connue en Italie, là où le Real restera surtout son Graal sportif. Mardi soir, c’est ce cocktail qui va être servi à Turin. Lippi ne sera probablement pas loin, et repensera certainement à ce qu’il disait avec une fréquence élevée à son ancien joueur : « Tu es le plus fort de tous. Tant que je serai là, tu seras toujours titulaire. Tu vois combien je crois en toi ? » Au point de lui laisser porter le bob, donc. C’est grand.
Par Maxime Brigand