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Ce que le foot doit à la presse people
Aujourd’hui, le foot est devenu un sujet people comme les autres. Mais un sujet plutôt vendeur. Tout en s’en défendant, les stars du ballon rond savent que Voici contribue autant à leur médiatisation que L’Équipe. Analyse.
Voici fête ses 25 ans. Le joyau du groupe Prisma s’est imposé comme une référence (ce qui peut parfois sentir le sapin) parmi une presse people pourtant saturée de titres et désormais largement concurrencée par le web. Or, si quelque chose a bien changé depuis sa naissance, il s’agit sans contestation possible de la place grandissante et dévorante qu’occupent désormais dans ses pages les stars du foot, ainsi que leur compagne ou conquête du moment. De la sulfureuse Zahia au couple idéal Shakira/Piqué, les shorts et crampons parviennent désormais à voler la vedette aux smokings du cinéma et aux talons aiguilles des mannequins. Pourtant, rien ne serait plus erroné que de réduire cette situation aux inévitables conséquences exhibitionnistes de la renommée et du statut hors-normes la popularité planétaire du foot. Le phénomène people ne renvoie pas qu’un reflet malsain du voyeurisme de nos sociétés modernes, mais il forme un des nombreux rouages du capitalisme culturel 2.0. Et les footeux ne sont pas les derniers à savoir l’utiliser.
« Ils acceptent ces nouvelles règles du jeu médiatique »
« Je ne sais pas si les footballeurs constituent un objet people comme un autre, mais il est clair qu’on les voit de plus en plus souvent sur ce registre. Le public se passionne pour la vie des footballeurs, et je pense que, de leur coté, ces derniers ont très bien su anticiper cette évolution, qu’ils travaillent leur personnage davantage qu’avant. Ils ont parfaitement assimilé qu’ils devaient susciter de l’engouement au-delà des supporters. » Pascaline Potdevin, journaliste à Grazzia, sait de quoi elle parle, puisque, désormais, plus aucune plume de la presse féminine ou people ne peut s’autoriser l’impasse sur un minimum de culture G en foot. Mais au-delà d’une énième invasion de « beaux gosses » qui se détendent durant la trêve sur les plages des Bahamas ou en enfourchant un scooter des mers avec de belles naïades, les motivations profondes de cette footballisation du people s’avèrent beaucoup plus terre à terre. « Ils acceptent ces nouvelles règles du jeu médiatique pour des raisons économiques. Ils ont besoin de sponsors pour accroître leurs revenus, et les sponsors s’intéressent à ceux dont on parle. De Beckham à Zlatan, on se rend bien compte qu’ils ont appris à construire des personnages bankable » , assure Potdevin. « Des joueurs discrets et talentueux existent, mais ça rapporte moins de thune, moins de visibilité et de papiers pour les médias, donc on ne cause pas d’eux » , complète Vanessa, la « brune » du site footpouf. Face à un tel système, Yoann Gourcuff et Pierre-André Gignac auront donc d’autres choses à reconquérir que leur légitimité sur le terrain. Bonne chance !
Victimes consentantes et profiteuses des paparazzis, Balotelli ou CR7 savent donc surtout transformer leur folie, voire même leur mauvais goût, en social branding sur papier glacé et vidéo YouTube. La starification demeure avant tout un puissant mécanisme d’entraînement du capitalisme culturel. Dans la bataille du soft power, la vie privée peut ainsi se révéler une arme redoutable pour peu que l’on admette que les avantages du statut d’homme-sandwich haut de gamme vaillent la peine d’y renoncer. Sacrifice paradoxal quand on se rappelle par ailleurs la farouche opposition des pros à la géolocalisation (méthode ultra-contraignante de la lutte antidopage), une contrainte que leur imposent déjà pourtant, quelque part, pour les plus connus, les sites people, ou à laquelle finalement ils consentent parfois de leur plein grè sur leur compte Twitter ou Instagram. Fini donc l’époque des aimables pensionnaires de D1 qui épousaient la jeune fille rencontrée au bal. La bascule hype de 98 s’est amplifiée comme une onde de choc sismique. Désormais le moindre jeune en centre de formation qui entre dans la carrière rêve autant de but en or que d’actrices ou de chanteuses en robe de soirée (généralement dans son esprit, cela va de paire sous les flashs des appareils photos et des smartphones). Le footballeur doit composer son nouveau rôle quelque part entre Entourage et Gossip Girls. « Après, le revers de la médaille, poursuit Pascaline Potdevin, c’est qu’on se penche aussi sur leurs frasques, dans les moindres détails, à l’instar de n’importe quelle figure people. Vendre son personnage comporte des risques qu’il faut savoir gérer ou limiter. »
Le couple comme vecteur de médiatisation
Le couple est de la sorte devenu le centre de gravité de la construction de la légende éphémère du héros des stades, et surtout l’occasion de négocier des bonifications mutuelles. David Beckham et sa Spice Girl d’épouse en composent l’archétype, y compris au point d’éclipser, voire de déconsidérer, les qualités du joueur stricto sensu. « Aujourd’hui, tout est prétexte à peopelisation, reprend Vanessa de Footpouf. Regarde les politiques. Mais les footballeurs aiment beaucoup que l’on parle d’eux, ils n’ont pas attendu les Wags. Leur coupe de cheveux, leurs habitudes clinquantes, leurs vêtements, toute cette extériorisation, ce n’est pas très discret. Alors oui, certaines Wags aiment aussi se mettre en avant, du coup, on retrouve le duo dans la presse plus ou moins trash. » Le football ne s’avère donc pas franchement la victime de magazines dont il aime prétendre, quand ça l’arrange, qu’ils n’ont pas à s’inviter dans le petit et sain univers du « sport » . Pudeur qui ne s’exprime évidemment que dès lors que l’équilibre financier entre la notoriété et le scandale semble tomber du mauvais coté. Comme une soirée au Zaman Café.
Par Nicolas Kssis-Martov