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Ce que l’affaire Neymar dit du rapport à l’argent du Barça et du Real
95 ou 57 millions d’euros pour Neymar ? La tempête médiatique dans laquelle se trouve Sandro Rosell n’est pas qu’une histoire de gros sous ou de fraude fiscale. Elle rappelle également que le Barça et le Real n’entretiennent pas le même rapport à l’argent.
Entre 95 millions et 57 millions d’euros, il y a une différence de 38 millions d’euros. Pas besoin d’avoir fait une section scientifique pour arriver à ce résultat. Le président du FC Barcelone, Sandro Rosell, n’en démord pourtant pas : Neymar est bien arrivé cet été contre cette cinquantaine de millions d’euros. La justice, selon El Mundo, n’en est pas si convaincue et se demande où se sont envolés les 38 millions d’euros. En pots-de-vin ? En commissions occultes ? À l’heure actuelle, le flou règne. Le président blaugrana, dans un souci de « transparence » , souhaite être entendu par le juge en charge du dossier. Cet été, Florentino Pérez ne cachait pas sa fierté de recruter Gareth Bale. Officiellement, la direction merengue annonçait un montant de 93 millions d’euros. Mais ne s’était pas trop offusquée que du côté de Tottenham, on parle d’une somme supérieure à 9 chiffres. Plus que des irrégularités, cette affaire Neymar et le précédent Bale soulignent les différences de rapport à l’argent qu’entretiennent le FC Barcelone et le Real Madrid. Tentative d’explications, entre conflits économique et identitaire.
Puissance économique et puissance politique
Diego Hidalgo dispose d’un point de vue global. L’argent, ça le connaît : il a été en charge du volet Afrique subsaharienne au FMI de 1974 à 1977. Politiquement, il connaît les arcanes : son père était ministre de la Guerre juste avant la Guerre Civile (de 1931 à 1936), lui a créé quatre instituts de relations internationales en faveur de la démocratie. Le monde médiatique est également son domaine : il a fait partie pendant de nombreuses années du CA de PRISA (groupe Canal Plus, El Pais, As). Intellectuel, businessman, politologue, il connaît de plus le monde du football espagnol. Pour lui, l’affaire Neymar, c’est avant tout des vieux démons barcelonais qui ressurgissent : « Il y a quelques années déjà, en 2000, il y a eu une histoire semblable. Gerard, alors joueur de Valence, est racheté par le Barça pour 3600 millions de pesestas, ce qui doit donner 22 millions d’euros (le plus gros transfert espagnol de l’époque, ndlr.).Le président du Barça à l’époque, Gaspart, aurait finalement payé 3200 millions de pesetas, et 400 millions auraient disparu. » De ce passif, le Barça ne veut plus en entendre parler.
Il préfère ne pas froisser ses socios. Du côté de Madrid, les histoires de gros sous n’ont jamais été un problème. Plutôt une fierté. Depuis l’ère Santiago Bernabéu, on y amène les plus grands joueurs. Pour ce, il faut de l’argent et un accès direct au pouvoir (pas forcément politique). Fils spirituel de Bernabéu, Florentino Pérez est le petit père du madridismo. « Florentino Pérez est un des hommes les plus riches d’Espagne, poursuit Diego Hidalgo. Sans forcément que ça soit le cas, il est un garant personnel des sommes investies. Il a plus de liberté pour dépenser des milliards et des milliards. L’engagement de Bale aurait été beaucoup plus contesté au Barça qu’au Real. » Ce rapport à l’argent est expliqué dans « Le Cas Mourinho » de Thibaud Leplat : « Le Real Madrid est un acteur incontournable de la vie économique de la ville. Le conseil d’administration est un miroir de la société économique de la ville (…). En Espagne, être en affaire avec le Real Madrid est un gage de réputation et de sérieux. » Diego Hidalgo poursuit : « Le président du Barça n’est pas l’un des hommes les plus puissants d’Espagne et ne peut pas se permettre de s’investir personnellement. De plus, le comité directif du Barça est plus sujet à polémiques que celui du Real » .
« L’argent gêne plus les socios du Barça »
De cette dernière phrase, il faut remplacer le mot « polémique » par celui de « politique » . « Rosell n’est pas particulièrement séparatiste. Mais la question de la Catalogne au Barça devient toujours plus importante. Au temps de Nuñez, puis de Gaspart, et surtout de Laporta, cette question n’a cessé de prendre du poids. Laporta est un politicien et a fait de son Barça ‘Plus qu’un club’. Au Real Madrid, on n’a jamais dit qu’on était plus qu’un club. Il ne prétend pas avoir le drapeau espagnol sur son maillot, ne s’engage pas en politique, tandis que le Barça est un symbole de la singularité de la Catalogne » , relève Diego Hidalgo. Sélection non-officielle de la Catalogne, le Barça appartient à ses socios. Des socios qui ont un droit de regard sur les comptes du club et qui font, et défont, les présidents. Avec son rôle politique assumé, le FC Barcelone a des devoirs civiques. D’autant plus que la Généralité de Catalogne est la quatrième communauté autonome la plus endettée du pays (2,257 milliards l’an dernier, contre 1,058 pour la communauté de Madrid). Son « exemplarité citoyenne » – déjà suffisamment remise en cause par son partenariat avec le Qatar – en prendrait un sacré coup en cas de délit fiscal avéré de sa direction.
« Il y a plus d’impôts en Catalogne qu’à Madrid, enchaîne Diego Hidalgo. Par exemple, dans la capitale, l’impôt sur la succession d’un héritage est très faible. À Barcelone, c’est beaucoup plus important. L’argent gêne donc beaucoup plus les socios du Barça. D’autant plus depuis ces derniers mois et le retour au premier plan du débat sur l’indépendance de la Catalogne. » De fait, la Catalogne, par le biais de son principal ambassadeur qu’est le Barça, se sent oppressée par le grand voisin de Castille. Côté Real Madrid, l’appartenance politique n’existe pas, ou peu : « Quand il fut fondé en 1902, il respectait Alphonse XIII, en 31 la République, en 39 le Généralissime, et maintenant il respecte sa majesté don Juan Carlos. Parce qu’il est un club discipliné et qu’il se soumet avec loyauté à l’institution qui dirige la nation » , expliquait Raimundo Saporta, ancien éminent dirigeant merengue. La rivalité reste donc sportive pour le Real. « Du côté purement footballistique, on retrouve moins cette posture oppresseur-oppressé. Bien évidemment, il y a eu ce qui a été considéré à Barcelone comme « l’enlèvement » de Figo par le Real Madrid. Il y a plus longtemps, il y a eu le cas de Di Stéfano. Il avait été transféré au FC Barcelone mais, selon une décision du Caudillo, aurait dû alterner d’une année sur l’autre entre le Barça et le Real. » Le Barça a choisi la voie politique de l’insoumission, le Real celle apolitique du succès.
Par Robin Delorme, à Madrid