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Ce que la loi de sécurité globale doit (malheureusement) au foot
La très contestée loi relative à la sécurité globale est discutée depuis hier à l’Assemblée nationale. Elle comporte de nombreuses mesures qui interrogent sur l’évolution de notre État de droit. Toutefois, ceux qui ont suivi, sur ce terrain spécifique, l’évolution du football, notamment dans son rapport à la vidéo, ne seront guère surpris. Et, une fois de plus, seront tentés de ressortir cette vieille évidence que les stades ont servi de laboratoire au sécuritaire 2.0.
Le texte qui débarque devant le Parlement se révèle bien sûr d’abord marqué par le contexte. Le retour du terrorisme, avec l’horrible assassinat de Samuel Paty, et l’odeur encore forte des fumis, mélangée au gaz lacrymogène des Gilets jaunes. Toutefois, pour qui prend la peine de se pencher sur ce qui en inspire sa philosophie en matière de maintien de l’ordre et, pour tout avouer, de répression, il transparaît une continuité profonde. Celle-ci trouve l’une de ses racines, tant sur le fond que la forme, dans la gestion des supporters et des ultras. Pour rappel, comme le résuma dans Alternative Économique Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, « cette proposition de loi décline divers dispositifs illustrant une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre déjà à l’œuvre – on a pu en être les témoins durant la mobilisation des gilets jaunes –, à savoir un maintien de l’ordre de confrontation qui rompt avec la doctrine traditionnelle centrée sur la mise à distance, la désescalade et l’usage gradué de la force. » À la lecture de ces quelques lignes, de nombreux habitués des gradins de France et de Navarre riront jaune.
Tous suspects, même sans écharpe ?
De Laurent Fabius à la CNT ou la très conservatrice LDH, les voix ne manquent pas, cette fois, pour s’inquiéter de la fin d’un État de droit, remplacé par des institutions qui considèrent tous les citoyens comme de potentiels suspects, voire une « menace » pour les forces de l’ordre, au nom du danger représenté par une minorité radicale. Par exemple, l’article 24, qui vise à empêcher la population et les journalistes de diffuser des images du visage ou de tout autre élément d’identification de fonctionnaire de police ou militaire de gendarmerie, indique clairement qui est l’ennemi et et qui sont les « mauvais Français ». Il rappelle, dans son substrat de méfiance, l’arbitraire quotidien autour et dans les stades, justifié par les méfaits des « faux supporters ». Un arbitraire qui, ici aussi, devra donc afficher un écran blanc.
Car c’est bel et bien au nom de cette rhétorique de séparer le bon grain de l’ivraie que fut progressivement instauré un soupçon de principe à l’encontre des supporters et notamment des ultras. Les élus LREM, qui défendent la nouvelle PPLS, arguent que lorsqu’on n’a rien à se reprocher, où est le problème ? Les supporters et habitués des stades ont déjà subi ce retournement des valeurs où ils devaient renoncer à leurs droits individuels et constitutionnels en raison des risques pesant sur les CRS en faction.
Tout a commencé dans un stade…
Car sans comparer les phénomènes, cette logique a déjà été expérimentée, voire appliquée, à l’encontre du public de L1 ou de L2. L’attirail juridique qui a été progressivement mis en place depuis les premiers textes portés par Michelle Alliot-Marie jusqu’à la LOPPSI 2, avaient tous pour vocation de suspendre les droits des citoyens dès lors qu’ils pénétraient dans une enceinte sportive. Prenons l’article L. 332-16-1 du code du sport qui permet au ministre de l’Intérieur, par arrêté, d’« interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ». « Se comportant comme tel », une formule qui laissait place nette à tous les abus et excès, englobe n’importe qui dans le champ du coupable par anticipation, du moment que son équipe se déplaçait quelque part, et la plaque numérologique de son véhicule le trahissait.
Par ailleurs, pour continuer avec cette extension du domaine du foot, à l’époque de la fameuse loi anti-casseurs, notre très havrais Édouard Philippe avait expliqué sur TF1 : « On a connu une situation en France, où dans des grandes manifestations publiques, on avait des débordements d’une grande violence. C’était dans le courant des années 2000, dans les stades de foot. On a pris des mesures à l’époque qui avaient surpris et parfois interrogé.(…)Ce dispositif a bien fonctionné. Si on veut à la fois défendre la liberté de manifester, si on veut faire en sorte que ceux qui ne sont pas d’accord avec une mesure puissent le faire pacifiquement, il faut faire évoluer notre droit. » Il oubliait que les tribunaux administratifs cassaient systématiquement les décisions préfectorales, généralement jugées sans fondement. La nouvelle loi de sécurité globale prolonge ce raisonnement. Il s’agit bien de rendre suspecte la population, au nom de la « tranquillité » publique, quitte à s’asseoir sur la séparation des pouvoirs et les enseignements de la jurisprudence (conseil d’État sur les drones, etc).
La VAR comme exemple de métaphore politique
Or, le fait que la question de la vidéo émerge comme point central du débat, à une époque comme la nôtre, n’est pas anodin. Peu d’espaces sont autant filmés et surveillés que les stades de foot, tant pour des raisons de retransmission que de la part des QG de sécurité. Cette surabondance de caméras ne bénéficie en rien aux supporters ou au public, elle permet juste de les surveiller, voire de punir. L’idée de la reconnaissance faciale y a déjà été largement évoquée et débattue, voire testée. L’article 21 de la nouvelle loi dispose par exemple l’existence de caméras portables, qui devraient équiper « toutes les patrouilles de police et de gendarmerie dès juillet 2021 ». Ceci fournirait un flux constant d’images à la police qui, via la reconnaissance faciale, empiéterait en permanence sur nos libertés et notre vie privée. Une vie privée que plus personne, sur un siège orange ou jaune, ne pouvait imaginer protéger.
Pour en revenir et finir avec le terrain, la VAR pourrait fournir un bel exemple de métaphore politique. Cet usage de la vidéo était censé répandre une justice immanente et infaillible contre les fautes et erreurs d’arbitrage, nous débarrasser de l’erreur humaine, du médiateur humain, et même déshabiller les joueurs de leur responsabilité, nous déshabituer à discuter la moindre décision. La loi de sécurité globale établit elle aussi l’illusion d’une infaillibilité technologique qui se substituerait à la logique humaine, que ce soit celle des juges ou des citoyens, nous soumettant à l’arbitraire de ceux qui se cachent toujours derrière les écrans qui nous scrutent.
Par Nicolas Kssis-Martov