- Destin foireux
Ce blaireau de Ravel
En 2011, Ravel Morrison est le meilleur jeune de sa génération à Manchester United aux côtés de Paul Pogba. Depuis, le second a disputé des finales de Ligue des champions et d’Euro avant de devenir le joueur le plus cher du monde. Le premier, lui, s’est gâché. En cause : de mauvaises fréquentations, une alimentation à base de Mars et des « démons intérieurs » .
À Manchester United, le cas Ravel Morrison est une affaire dont peu de gens acceptent encore de parler. Parmi les rares personnes qui se prêtent au jeu, la légende rouquine Paul Scholes, dont le fameux Ravel était le successeur tout désigné. « C’est une honte. Il avait tellement de qualités, aujourd’hui il devrait être au plus haut niveau, souffle l’ancien numéro 8. C’est vraiment dommage. J’ai eu l’occasion de le voir s’entraîner avec l’équipe première, c’était un joueur brillant, très élégant, un peu à la Zidane. Il pouvait marquer des buts incroyables. » Comme lors de la saison 2010-2011, lors de laquelle les Espoirs de United remportent la dixième FA Youth Cup de leur histoire. Sur leur route, Portsmouth, West Ham, mais surtout Chelsea et Liverpool avant une victoire en finale en deux manches contre Sheffield United. Au retour à Old Trafford (4-1), les Red Devils s’en remettent au talent et au doublé d’un gamin qui vient d’avoir 18 ans. « Les qualités de Ravel Morrison durant cette compétition étaient simplement scandaleuses, balance Gary Neville, consultant de luxe pour MUTV durant le tournoi. Il jouait dans un milieu à trois avec Paul Pogba et Ryan Tunnicliffe (qui appartient aujourd’hui à Fulham, NDLR). Ils étaient tous exceptionnels, mais Ravel était au-dessus, un mec avec un talent incroyable, un peu à la Paul Gascoigne. Il pouvait passer n’importe qui et marquer quelques buts dingues ».
Concrètement, à l’époque, Morrison est le joyau de la formation mancunienne. Loin devant celui qui deviendra quelques années plus tard le joueur le plus cher du monde en revenant à Old Trafford, Paul Pogba. En 2009, Sir Alex Ferguson en est tellement convaincu qu’il invite même son lieutenant, Rio Ferdinand, à Carrington, le centre d’entraînement des Red Devils, pour juger sur pièce le gamin qui les ringardisera tous pour de bon. « Rio, regarde ce gamin, le numéro 7. Regarde-le rien qu’une minute : c’est le meilleur gamin que j’aie jamais vu. »
Huit ans plus tard, Ravel Morrison cachetonne du côté des Queens Park Rangers en Championship, la deuxième division anglaise, où la Lazio l’a prêté en janvier dernier et avec lesquels il a disputé cinq matchs de championnat depuis. Ce qui laisse pantois ceux qui ont un jour cru en lui : comment un joueur longtemps présenté comme la plus grosse pépite vue à Manchester United depuis Ryan Giggs ou George Best a-t-il pu autant passer à côté de son destin ? Dans son autobiographie, Ferguson explique que le gamin a tout simplement été incapable de « surmonter ses démons intérieurs ». Comprendre son manque de professionnalisme, son hygiène de vie déplorable et ses mauvaises fréquentations.
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« Le quartier des durs »
Selon un ancien salarié de Manchester United, Ravel Morrison n’a longtemps été qu’ « un gangster sans limite » . Ça tombe bien puisque tout au long de sa carrière, Alex Ferguson s’est fait une spécialité de compter sur des jeunes qui ont connu la galère avant d’en faire des stars. Des joueurs pour qui « le football était une manière de sortir de la pauvreté » comme il l’écrit. De Ryan Giggs, abandonné par son père et élevé par une mère jonglant entre un job de serveuse et un autre d’aide-soignante, à David Beckham, fils de chauffagiste, en passant par Paul Scholes, qui a grandi dans un logement social, et Rio Ferdinand, l’enfant de Peckham, l’une des zones les plus pauvres de Londres, bon nombre des joueurs formés ou recrutés par l’entraîneur écossais affichent un profil similaire et partagent les mêmes origines modestes.
Ravel, lui, vient de Wythenshawe, un quartier du sud de Manchester, même s’il a surtout traîné du côté de Stretford, l’une des zones les plus dangereuses du Royaume-Uni. Selon l’Office for National Statistics, en plus d’un taux de chômage qui touche plus d’un quart de sa population, 12 % des crimes du Grand Manchester sont commis à Stretford. « C’est le quartier des durs, pose Ryan Jamieson, qui l’a entraîné à la fin des années 1990 chez les Fletcher Moss Rangers, un club qui a vu passer quelques futures pépites des Red Devils. C’est là où l’on récupère la majorité de nos talents. Il y a eu Wes Brown, Danny Welbeck ou plus récemment Marcus Rashford. Dans sa génération, il y avait Jesse Lingard et Ezekiel Fryers. Honnêtement, c’était un gentil garçon, sympa, mais surtout un mec capable de nous faire gagner des matchs à lui tout seul grâce à pas mal de buts en solitaire. Il portait souvent l’équipe, mais niveau caractère, c’était juste un petit effronté, rien de plus. » Manchester United met alors le grappin sur Ravel à huit ans – avant de lui faire signer son premier contrat d’apprenti à 16 ans, puis son contrat pro le 2 février 2010, jour de son dix-septième anniversaire – grâce à l’intermédiaire de l’un de ses recruteurs, Phil Brogan, qui se souvient de l’étrange première fois où il a vu le bad boy en puissance : « Il était à côté du clubhouse du club de Timperley (pas très loin de Manchester) et s’amusait avec un ballon imaginaire. J’ai demandé à le prendre avec moi. L’un de mes collègues m’a dit : « Vas-y, mais occupe-le, sinon il s’échappe. » La suite est simple, il a toujours été au-dessus des autres, mais il faut savoir gérer un artiste. Et le problème avec lui, ce n’était pas forcément sa personne, mais ce qui l’entourait. »
Chicots pourris et cran d’arrêt
Autrement dit, Ravel Morrison n’a jamais vraiment quitté Stretford. « Ceux qui gravitaient autour de lui, c’étaient ses potes d’enfance, des vrais durs de banlieue dont il ne pouvait pas se détacher. Pour l’aider, Rio Ferdinand avait proposé de l’héberger chez lui, raconte un ex-employé de Manchester United. Mais, il ne percutait pas : il s’entraînait avec les jeunes, on lui disait d’aller avec les pros le lendemain et il ne venait pas. La question était : où est Ravel ? Personne ne savait. Le club a tout fait pour le protéger, mais, à un moment donné, on ne pouvait plus le garder. » Des écarts qui vont se multiplier lors de son début de carrière. Entre autres, ça donne une arrestation en 2011 pour subornation de témoin avec un couteau à cran d’arrêt, des armes retrouvées dans sa voiture ou des menaces à caractère homophobe publiées sur Twitter durant son passage à West Ham. Des affaires dans lesquelles ses clubs le soutiennent, visiblement soucieux de protéger le talent hors normes de Morrison.
West Ham, par exemple, lui paye même une opération visant à lui retirer sept dents. La raison ? Ravel Morrison se gavait de Mars. « Certains jeunes, on les conseille, on joue les mentors, mais le problème avec lui, c’est qu’il n’est pas le genre de joueur à écouter les conseils des plus anciens » , synthétise Scholes, dépité. « Il a plusieurs facettes que les gens ne voient pas, détaille Warren Joyce, le technicien passé entre 2008 et 2016 sur le banc de la réserve de United. Si certaines personnes le décrivent comme un mauvais garçon aujourd’hui, c’est aussi de sa faute. Ce qui est assez déstabilisant, c’est qu’on peut se retrouver avec lui un jour et se dire : « Quel mec formidable ! » Et le lendemain, tout peut changer ». Le 31 janvier 2012, la mort dans l’âme, Alex Ferguson se résout à se séparer d’un diamant qu’il n’a pas su polir. Tard dans la soirée, à quelques encablures de la fin du mercato hivernal, le milieu offensif, lancé chez le pros avec Manchester lors d’un tour de League Cup face à Wolverhampton en octobre 2010, rejoint donc West Ham pour environ 750 000 euros. Le message de l’Écossais à son homologue Sam Allardyce, alors en poste chez les Hammers, est simple : « J’espère que tu vas pouvoir arranger la situation, car si tu y arrives, tu auras un génie. Ce gamin a besoin de partir de Manchester pour commencer une nouvelle vie. Sors-le de là, mais je te confie un grand talent entre les mains. »
Paul Gasco… qui ?
Au début, la mayonnaise prend. Un peu. Les cadres du vestiaire le prennent sous leur aile, tandis que le public l’adopte et voit en lui l’espoir le plus prometteur depuis Joe Cole ou Michael Carrick. En octobre 2013, après un match contre Tottenham marqué d’un rush en solo exceptionnel de son joueur, Allardyce parle ouvertement du « génie de Morrison » . Cette fois, Ravel semble en avoir fini avec « ses nuits passées à jouer aux jeux vidéo ou à partir en vrille avec les gars » comme il l’explique dans les médias britanniques. Mais quand il ne cherche pas les emmerdes, ce sont elles qui viennent à lui.
Alors qu’il semble bien installé à West Ham, il refuse d’intégrer l’écurie de l’agent Mark Curtis, un intime de Sam Allardyce. Récemment impliqué dans des affaires qui lui ont coûté son poste de sélectionneur de l’Angleterre, Allardyce décide alors de se passer des services du jeune effronté. Un coup dur pour Morrison qui enchaîne les prêts à Birmingham – où il marque son premier but en Premier League face à Hull en 2012 –, QPR, Cardiff, avant d’être transféré en 2015 à la Lazio. Histoire de soigner la comparaison avec son illustre et ingérable compatriote, Paul Gascoigne ? Même pas : Ravel Morrison n’avait jamais entendu parler de Gazza avant 2012, selon son ancien entraîneur à Birmingham, Lee Clark. Voir Rome et se planter. De nouveau. En janvier dernier, les Italiens le prêtent sans regrets aux Queens Park Rangers.
Lors de sa présentation officielle, l’enfant terrible, qui n’a joué qu’une vingtaine de matchs ces trois dernières années, se pointe face aux micros des journalistes avec une casquette « Fresh Kid » . Et l’envie de rattraper le temps perdu : « Je ne suis plus le même, j’ai grandi. Je n’ai plus le droit d’avoir de chances, je dois les saisir et je ne peux pas en vouloir à Manchester United. Je sais désormais ce que c’est que d’être un footballeur professionnel. » À 24 ans, Morrison a bien compris que, cette fois, il n’y aura plus personne pour l’aider s’il se casse les dents.
Maxime Brigand