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Ce Barça est-il encore intéressant ?
C’est une vraie question que l’on est en droit de se poser : le Barça n’a jamais paru aussi fort que cette saison en Liga, et pourtant, on a la drôle d’impression que tout le monde s’en fout. Trop de perfection tuerait-elle la perfection ?
Les statistiques sont ahurissantes. En championnat, le Barça, depuis le début de la saison, a engrangé douze victoires et un match nul. 37 points sur 39 possibles. Il s’agit, évidemment, du meilleur ratio de points en Europe (2,84 par match), devant le Shakhtar (2,82), le Bayern Munich (2,61), Porto et Benfica (2,60). L’attaque ? Impressionnante. Le Barça tourne à une moyenne de trois buts par match toutes compétitions confondues. Sans parler de Lionel Messi. L’Argentin explose tous les compteurs. Il en est déjà à 19 buts et 5 passes décisives en 13 journées de championnat, et reste sur quatre doublés consécutifs avec le maillot blaugrana, contre Majorque, la Real Sociedad, le Spartak Moscou et Levante. Hallucinant, dingue, fou : les adjectifs manquent pour qualifier les prestations du triple Ballon d’or et du reste de son équipe. Pourtant, malgré tout cela, malgré la domination en Espagne et en Europe (le seul faux pas contre le Celtic n’a pas eu d’influence puisque la formation de Tito Vilanova est déjà qualifiée pour les huitièmes de finale de la C1), on ressent moins d’enthousiasme que par le passé autour de ce Barça. Moins de ferveur, aussi. Non pas que cette équipe soit devenue ennuyeuse, mais il est indéniable qu’un certain nombre de facteurs font que chaque victoire ne provoque plus l’hystérie et l’ivresse, comme cela pouvait être le cas à l’époque de Guardiola. Alors, por qué?
Une Liga déjà pliée
C’est un fait : le Barça n’a probablement jamais été aussi fort que cette saison, du moins sur le plan comptable. 37 points sur 39 : même le meilleur Pep n’a pas réussi une telle prouesse. Son meilleur ratio, au bout de 13 journées de championnat, était de 34 points, lors de la saison 2010/11. L’an dernier, à la même époque, son Barça comptait 28 points, soit 9 de moins que cette année. De l’avis de certains observateurs, la défense est moins imperméable qu’elle ne l’était jadis. Certes. Les Catalans ont déjà encaissé 15 buts en Liga, ce qui n’en fait que la sixième défense en Espagne. Mais bon, cela passerait presque pour un détail. Face à tant d’excellence, on devrait donc en faire des tonnes sur ce Barça qui, soyons francs, a déjà remporté la Liga. L’Atlético Madrid est très sympathique, hein, mais personne n’est dupe : les joueurs de Simeone ne tiendront pas ce rythme toute la saison, même avec un Falcao au top, d’autant qu’ils n’ont encore affronté ni le Real Madrid (1er décembre), ni le FC Barcelone (16 décembre).
L’équipe de Mourinho étant déjà reléguée à 11 longueurs, on peut, sans trop se mouiller, affirmer dès aujourd’hui que le club catalan va soulever son 22e titre de champion à la fin de la saison. Bah, c’est formidable, non ? Non. Au contraire. On ne peut évidemment pas reprocher à l’équipe barcelonaise de gagner toutes ses rencontres, ou à Messi de marquer deux buts à chaque rencontre. Mais le fait est qu’un championnat, qui est censé être le meilleur du monde (ou le deuxième meilleur après l’Angleterre selon les points de vue), soit déjà plié au mois de novembre enlève un certain charme. La faute au Barça ou la faute à ses poursuivants ? Les deux, serait-on tenté de dire. Lorsqu’il arrive à Madrid, à l’été 2010, le Mou n’a qu’une obsession en tête : mettre un terme à la domination catalane. Il est choisi parce qu’il y est déjà parvenu avec l’Inter. Commence donc une lutte sans merci qui va passionner l’Espagne et toute la planète football. Des Clásicos à n’en plus finir (on a quasiment frôlé l’overdose), des polémiques, des confrontations dingues, un rythme effréné tenu par les deux équipes… Pendant deux saisons, la lutte fait rage.
Finalement, Mourinho réussit son coup. Après avoir empoché la Coupe du Roi la première saison en battant la Pep Team en finale, il remporte le championnat, en se payant même le luxe de battre le record de points du Barça. Le Special One parachève son œuvre en remportant également la Supercoupe d’Espagne, l’été dernier, toujours contre l’ennemi juré. Mission accomplie. Oui, sauf que, contrecoup presque logique, cette saison, le Real n’y est plus vraiment. Les Madrilènes ont rendu leurs devoirs, ont accompli ce qu’ils avaient à faire. Comme après tout conflit, c’est l’accalmie. Une accalmie qui profite au Barça, qui a repris sa course de plus belle, comme si de rien n’était. Mais alors, où est passé l’intérêt ? Nulle part. La rivalité Barça-Real a laissé place à un monologue catalan, qui passionne évidemment moins les foules. Certes, les Clásicos sont toujours là pour ramener la rivalité au centre des débats. Mais dès le Clásico terminé, hop, retour à la réalité. Une réalité qui dit que le Barça va gagner la plupart de ses matchs 3-0, 4-0, 4-1 ou 4-2. Avec un but de Messi par mi-temps.
Le Barça, la baguette et Felix Baumgartner
Question pratique, ensuite, et purement franco-française. Depuis le début de la saison, Canal+ ne détient plus les droits de la Liga. Soyons francs, ne plus pouvoir se délecter des exploits du Barça lors de la traditionnelle Équipe du Dimanche a cassé quelque chose. Les matchs sont visibles sur beIN Sport, certes, mais on ne change pas comme cela, en quelques mois, les habitudes de millions d’abonnés. Un peu comme si, demain, il fallait aller acheter son pain à La Poste. La vente de baguettes en prendrait certainement un coup. La force des habitudes… Du coup, les images du Barça tournent moins en boucle, tandis que celle de la Ligue 1 ou de la Premier League sont martelées à longueur de week-end. Non pas que cela change quelque chose à l’essence même des prestations de l’équipe catalane, mais celles-ci sont en tout cas moins mises sur le devant de la scène que lors des saisons précédentes, où l’on bouffait du Barça et du Real du petit déj’ au souper.
Quid de la performance de l’équipe ? Bah, le jeu tourne toujours autour de Busquets, Fàbregas, Iniesta, Xavi et, bien entendu, Messi. L’Argentin, chaque année, va un peu plus loin dans l’escalade. Le record de Gerd Müller ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Et pourtant, encore une fois, cela semble désormais devenu une banalité. Lorsqu’un joueur quelconque plante un triplé, c’est exceptionnel. Lorsque c’est Messi, c’est normal. Pire : lorsqu’il ne marque pas pendant un match, on le lui reproche. Ou quand l’extraordinaire devient ordinaire. Idem pour le jeu de l’équipe. Tito Vilanova n’est finalement qu’une fausse nouveauté, puisqu’il gérait déjà beaucoup de choses sous Guardiola. La possession de balle, les attaques placées, le jeu à une touche de balle : tout fonctionne, excepté le couac contre le Celtic, où la possession de balle s’est retournée contre les Blaugrana. Mais comme tout roule à merveille depuis quasiment cinq ans, on ne s’en étonne plus. Alors, oui, on pourra toujours s’enthousiasmer sur une action de classe Xavi-Iniesta-Messi. Mais pas à la longue. Parce que « c’est bon, on a compris » . Là aussi, question d’habitude(s). Quand Felix Baumgartner saute de 39 000 mètres, c’est la planète toute entière qui s’émerveille. Mais si l’Autrichien le faisait chaque semaine, bah, au bout de trois mois, tout le monde s’en foutrait.
La routine, le suspense et l’enjeu
Alors, quoi ? Le Barça devrait-il faire exprès de perdre des matchs et de jouer autrement ? Messi devrait-il arrêter de marquer 80 buts par an ? Non. C’est dans l’ADN du club. Et des joueurs. Mais forcément, à terme, cela peut avoir tendance à ennuyer. Peut-être pas les socios qui, eux, ne se lasseront jamais d’un tel spectacle. Mais les autres, oui. Ceux qui exècrent la routine. Ceux qui aiment le suspense. Ceux qui veulent vibrer devant un match dont l’issue n’est jamais certaine. Ceux qui, en somme, ne désirent pas connaître le sort d’un match avant son coup d’envoi. Et qui devront sans doute attendre le printemps, et les affiches à enjeu en Ligue des champions…
Eric Maggiori