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Caserne militaire, Premier League et bancs de la fac : la folle trajectoire de Wilfred Ndidi
Fils d'un soldat qui n'aimait guère le foot, Wilfred Ndidi a grandi dans le quartier militaire d'Ikeja, à Lagos. Mais grâce à sa mère et une éducation à la dure, le milieu défensif nigérian est devenu un joueur accompli à Genk, puis une pointure de Premier League à Leicester.
En cette rentrée scolaire 2018, le bachelor en gestion d’entreprises de l’université de Montfort, à Leicester, accueille sa nouvelle promotion. Parmi elle, un étudiant un peu particulier en la personne de Wilfred Ndidi, milieu de terrain du club de la ville depuis maintenant un an et demi. Largement suffisant pour que les étudiants reconnaissent le Nigérian de 21 ans quand ce dernier arrive sur le campus. Toujours souriant et disponible, il s’apprête à commencer trois années sur les bancs de la fac, dans le but de construire une académie de foot au Nigeria après sa carrière. Une nouvelle manière de montrer à son père que le ballon rond peut être le partenaire parfait de l’éducation.
Petits boulots et premiers crampons
Fils unique d’un soldat qui participe à des opérations de maintien de la paix au Soudan et au Nigeria, Ndidi grandit aux abords de la caserne militaire d’Ikeja, au nord de Lagos. Accro au foot, il doit faire preuve de ruse pour éviter les punitions : « Chaque fois que mon père était au travail, je jouais. Quand il revenait, je recevais un signal et je recommençais immédiatement à faire autre chose, rembobinait-il au micro de la BBC World Service en 2017. Cela n’a pas toujours fonctionné et j’ai été attrapé plusieurs fois. Mais ça n’avait pas d’importance, car je voulais juste jouer. » À l’époque, il déambule régulièrement dans les rues du centre de Lagos afin de vendre du poivre, de l’eau en sachet, des fruits et des arachides. Débrouillard comme jamais, il lave également les pare-brise des voitures coincées dans la circulation de la plus grande ville du continent africain. Pour aider sa mère, mais aussi gagner son propre argent de poche : « J’étais tellement excité d’économiser pour mes premières chaussures de football. Cet argent m’a aidé à y parvenir, car je ne voulais pas déranger ma mère avec ça. »
Ses chaussures, Ndidi les étrenne d’abord au sein de l’équipe de jeunes de l’armée, entraînée par l’ex-international nigérian Nduka Ugbade. Ses qualités de défenseur lui permettent de grimper les échelons, et de rejoindre l’académie Nath Boys à Lagos. Ce n’est qu’une fois sélectionné avec les U17 du pays, coachés par Ugbade, que Wilfred annonce à son père qu’il souhaite devenir footballeur professionnel. « C’était très drôle. Ma mère et moi ne lui avons rien dit, car tout ce qu’il voulait, c’était que j’étudie dur, que j’aille à l’école et que j’obtienne un diplôme universitaire. » Après avoir participé au Tournoi de Toulon en 2013, un autre tournoi rassemblant 40 équipes lui permet de taper dans l’œil de Roland Janssen, scout de Genk à l’époque. Après un test là-bas, il file en Belgique en janvier 2015 contre un chèque de 180 000 euros, et quitte enfin la caserne.
Comme à la maison
À son arrivée à Genk, Ndidi vient d’avoir 18 ans, et découvre l’Europe pour la première fois. Mais le garçon étant du genre farceur, souriant et volubile, l’adaptation se déroule en douceur, tant auprès de ses coéquipiers, que sa famille d’accueil : « Je n’oublierai pas l’impact que les Van Vlierden ont eu dans ma vie. Ils ont si bien fait la transition du Nigeria vers la Belgique que je n’ai pas eu l’impression de manquer de vie de famille. » Sur le terrain, en revanche, les six premiers mois ne sont pas forcément faciles. Initialement recruté pour épauler Christian Kabasele, successeur en chef de Kalidou Koulibaly, Ndidi est titularisé comme latéral gauche lors de son premier match de Jupiler Pro League. Mais après le départ d’Alex McLeish à l’été 2015, il commence la saison suivante dans la peau d’un titulaire en puissance, et cette fois-ci, au poste de milieu récupérateur. Énorme tout au long de la saison, il ne bougera plus du onze de Peter Maes, avant d’enchaîner, et de s’engager à Leicester en janvier 2017, permettant à Genk de récolter 18 briques.
À peine ses valises posées, il est lancé dans le grand bain par Claudio Ranieri, qui sera viré six semaines après l’arrivée de Wilfred. Qu’importe, Craig Shakespeare lui fait confiance et le Nigérian ne rate qu’un seul match de Premier League lors de sa première demi-saison en Angleterre, et goûte même à la C1. La suite, sous Claude Puel puis Brendan Rodgers, est encore une histoire de montée en puissance. Résultat, la saison 2017-2018 est celle de l’éclosion, et la suivante celle de la confirmation, puisqu’il joue les 38 matchs de Premier League. L’arrivée à l’hiver 2019 de Youri Tielemans est également un détonateur, leur association au milieu de terrain étant une des clés de voûte de la réussite des Foxes. Ultra-régulier et jamais exclu, il a déjà joué plus de 12 000 minutes pour Leicester depuis son arrivée, ce qui fait de lui le 5e joueur le plus utilisé par Rodgers.
La gloire de mon père
Son premier coup d’arrêt a lieu le 20 septembre 2020, lorsqu’il se blesse à l’adducteur contre Burnley. Annoncé absent pour trois mois, il rate seulement huit matchs de championnat. Pendant ce laps de temps, les Foxes bégayent légèrement, perdant quatre de leur cinq défaites de la saison. Mais depuis son retour début décembre, Leicester a gagné en régularité, et Ndidi continue à marcher sur la Premier League, ouvrant même son compteur but contre Chelsea lors de la 18e journée. Des performances qui ont métamorphosé son père : « Maintenant, il ne cesse de me poser des questions sur nos résultats, le prochain match et comment j’ai joué. Parfois, ma mère lui rappelle et le taquine sur sa réticence du passé. » Eux aussi ravis de Ndidi, les locataires du King Power Stadium auraient pourtant pu le voir partir à l’été 2019, quand deux géants du Royaume se sont intéressés à lui. Mais le joueur de 24 ans a repoussé leurs avances, préférant terminer ce qu’il a commencé à Leicester : son diplôme en business et management.
Par Maxime Renaudet