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Casa, le manchot de San Lorenzo
En 1962, Victorio Casa débute sous les couleurs de San Lorenzo. L'ailier argentin, qui a perdu un bras après une fusillade, disputera quatre saisons pour le club du quartier de Boedo, à Buenos Aires. Le temps de devenir une légende.
11 avril 1965. Victorio Francisco Casa sort, accompagné d’un ami et de deux jeunes femmes. Le joueur de San Lorenzo, amoureux de la nuit de Buenos Aires, stationne devant « la Escuela de Mecánica de la Armada » . Problème, cette zone est réservée aux militaires. Un officier de la Marine prend peur, et tire en direction de la voiture : « J’ai entendu le bruit d’une rafale de tir de mitraillette. Trente secondes plus tard, je vois que j’ai perdu mon bras droit. J’ai réussi à sortir de cette rue en conduisant avec la main gauche » racontait l’ancien ailier dans une interview pour Mundo Alzugrana. Casa descend de la voiture, et un chauffeur de taxi l’emmène à l’hôpital. « Quand je suis arrivé, le médecin a essayé de me calmer. Il me dit « Ne t’inquiète pas, gamin, ce n’est rien. » Je suis devenu fou, je portais mon propre bras ! » se souvenait l’Argentin. « C’était la première fois qu’on sortait avec ces filles et tout s’est terminé avec du sang » ajoutait-il. Le joueur de 21 ans perd l’usage de son bras droit, mais n’abandonnera jamais le football. Trente-cinq jours plus tard, lors de la fête nationale argentine, Victorio Casa, désormais surnommé « El Manco » ( « le Manchot » , en VF) rechausse les crampons, lors d’un match de championnat contre Banfield.
« Fils de pute de manchot »
Trois ans plus tôt, l’ailier dribbleur et provocateur fait ses débuts sous le maillot de San Lorenzo, à 18 ans. Nous sommes en 1962, et 75 000 personnes remplissent les tribunes en bois du « Viejo Gasometro » , mythique stade du quartier de Boedo, à Buenos Aires. Le public vient voir « Los Carasucias » ( « les sales gueules » , en français). Cette ligne d’attaque de rêve, formée par Victorio Casa, Horacio Doval, Fernando Areán, Héctor « Bambino » Veira et Roberto Telch a révolutionné le football argentin de la décennie des années 60. Jeunes et insouciants en dehors, ces footballeurs le sont aussi sur le terrain : « On nous surnommait ainsi parce qu’on s’est tous formés dans les potreros (matchs de quartier en Argentine, ndlr). On jouait encore comme des gamins avec le visage rempli de boue » expliquait Casa dans l’interview pour Mundo Alzugrana. Sur le terrain, Casa est un gaucher habile : « J’adorais dribbler. Souvent, je devais lâcher le ballon, mais comme le public aimait ça, je voulais faire plaisir aux supporters » témoignait-il. Et d’ajouter : « J’étais rapide, et à cette époque, les défenseurs n’hésitaient pas à tacler très violemment. Après mon accident, c’était pareil. » Veira, son coéquipier, racontait à la télévision argentine : « Casita était incroyable. Sans son accident, il serait devenu l’un des meilleurs du monde. Parfois, j’avais honte de fêter mes buts parce qu’il passait quatre ou cinq défenseurs et j’avais juste à pousser le ballon au fond. »
Sans son bras droit, Casa perd légèrement sa stabilité, mais continue de déborder et de ridiculiser les défenses adverses : « Quand je passais, il m’insultait de « fils de pute de manchot ». Mais cela ne me dérangeait jamais. Je provoquais avec mes pieds » , expliquait-il, lors d’une interview pour Olé. Lors d’un match face au Racing, Roberto Perfumo, légendaire défenseur central du club d’Avellaneda, s’énerve après un dribble de Casa : « Il m’a dit : « La prochaine, je te tue ». Effectivement, il m’a mis un énorme tacle. J’ai dû sortir vingt minutes du terrain » racontait le vainqueur de la Coupe des nations en 1964 avec l’Argentine.
NASL, retraite et banqueroute
Après l’accident, les médecins du club lui conseillent de jouer avec une prothèse. Casa refuse : « Cette merde pesait cinq kilos, je ne pouvais pas courir avec ! » se justifiait-il. Ses coéquipiers et amis se chargent, eux, des moqueries : « Bambino » Veira cache le bras orthopédique de Casa à de nombreuses reprises. « Il se foutait de moi sur le terrain, il me donnait la balle pour faire les touches. Ça me faisait rire » confiait-il au Mundo Azulgrano. Le joueur s’adapte rapidement à son handicap : « Cela ne me posait aucun problème de jouer sans mon bras : pendant un match contre Newell’s, j’ai touché la balle avec le moignon. Tous les joueurs ont crié « main ! » Je leur ai dit : « Quelle main ? Où vous voyez une main ? » » témoignait-il. Et d’ajouter : « Imagine que tu as un chien qui perd une patte et qui sort courir dans la rue. J’étais pareil : je jouais, sans me soucier de rien. » Pourtant, les dirigeants de San Lorenzo estiment rapidement que Casa régresse. Ils décident donc de ne pas prolonger son contrat. « J’ai plus souffert quand San Lorenzo m’a laissé libre que lorsque j’ai perdu mon bras » se souvenait le natif de Mar del Plata. En 1967, Casa rejoint le club de Platense. Un an plus tard, « El Manco » signe aux Washington Whips, dans la florissante NASL américaine. Il y deviendra même l’un des joueurs les mieux payés, comme l’affirme David Wangerin, dans son livre Soccer in a Football World : « Victorio Casa touchait 15 000 dollars, une somme que les stars du base-ball dépensait en une soirée. » L’ailier revient ensuite à Platense, puis rejoint Quilmes de Mar del Plata, en 1971, où il prendra sa retraite.
Loin du football, Victorio Casa tente plusieurs reconversions. Surtout, l’ancien ailier fait tout pour oublier son accident. Il refuse de participer au procès du soldat qui lui a tiré dessus ce soir d’avril 1965. L’ancien joueur de San Lorenzo devient tour à tour chauffeur de taxi, vigile dans un casino, propriétaire de boîtes de nuit, et même éleveur de chiens. « Mon handicap ne me gênait pas. Je me suis battu plein de fois, j’ai sauvé un gars qui se noyait. Je ne me suis jamais caché » , racontait-il dans Olé. Malheureusement, un goût prononcé pour le casino de Victorio Casa le mènera à la faillite. Ses deux appartements, sa voiture et le club nocturne Flamingo lui sont saisis. Victorio Casa meurt des suites d’une longue maladie, à 69 ans, en 2013. Le club de Boedo, vainqueur de la dernière Copa Libertadores a immortalisé le souvenir de Casa, de sa phrase légendaire : « Avec un bras, j’ai eu plus de joies qu’avec les deux » , et de la génération des « Carasucias » près de son stade. Mi Casa es tu Casa.
Nuevo mural. Los Carasucias, apodo que se ganaron por su juventud, atrevimiento y audacia ofensiva. #SanLorenzo. pic.twitter.com/rgnVjb5Ra2
— San Lorenzo (@SanLorenzo) 1 Septembre 2014
Par Ruben Curiel, à Buenos Aires