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Carton rouge sans conséquence pour Canal
L'autorité de la concurrence a menacé le Groupe Canal, suite au rachat de TPS en 2006, de le priver d'acheter des droits sportifs ou cinématographiques s'il ne revoyait pas sa copie fissa. Un spectaculaire rappel à l'ordre qui ne devrait pas avoir trop de suites fâcheuses pour l'ogre de la télé à péage.
Au printemps 2004, il fallait se rendre à l’évidence. Deux bouquets numériques dans le même pays, c’est au moins un de trop. Comme en Allemagne, il n’y a pas la place pour deux crocodiles dans le même marigot. CanalSat (créée en 1992) et TPS (fin 96) ferraillent dur pour ambiancer des abonnés et assurer la viabilité économique de leurs modèles respectifs. La croissance exponentielle du bouquet du Groupe Canal incite les dirigeants de TF1 à monter sa propre structure. Devant le coût d’une pareille opération, la Une (66% du capital) doit s’allier à M6 (les 34% restants). Ainsi, les rois de la télé gratuite déclarent la guerre au mastodonte de la TV à péage. Les deux structures rivalisent à coups d’abonnements discount. La confrontation se règlera en fin d’année autour de la négociation des droits de la L1 pour la période (2005/2008). Comme pour la TNT (1), TF1 opte pour une stratégie industrielle désastreuse. Jouant sa survie, le Groupe Canal fait une offre record de 600M€; par saison. L’écart avec la proposition de TPS est colossal, près de 200 millions. Comme si les dirigeants de TF1 et de M6 ne comprenaient pas ce qui se jouait. Alors que chaque entité rencontre des difficultés financières récurrentes, le foot français, produit d’appel majeur pour les abonnés, constitue la priorité absolue. Pour ne pas l’avoir compris, les deux chaînes hertziennes vont devoir déposer les armes en cédant TPS à Canal en août 2006, qui le fusionne illico avec sa propre plate-forme.
Cette fusion-acquisition vient d’être sérieusement remise en cause par l’Autorité de la concurrence fin septembre. L’arbitre des élégances vient de retirer son autorisation au rachat de TPS. Une première. Ce carton jaune orangé est également assorti d’une pénalité financière de 30M€;. L’Autorité de tutelle « a constaté des manquements à dix engagements » sur les cinquante-neuf pris par le groupe de la chaîne cryptée. Ce dernier devait « maintenir une concurrence certaine dans le domaine de la télévision payante » en permettant, par exemple, aux fournisseurs d’accès à Internet de proposer des contenus attractifs pour constituer une offre payante alternative à l’hégémonie de Canal. Bien organisés tactiquement, ceux-ci ont privilégié l’offre numérique du Nouveau Canalsat. De fait, ils ont tardé à mettre à disposition des distributeurs tiers les sept chaînes thématiques qu’ils devaient dégrouper. Plus encore que le retard, c’est la dégradation du contenu desdites chaînes qui a provoqué l’arrêt-buffet de l’organisme de régulation. Pareil pour les droits sportifs : Groupe Canal a transféré la Premier League de TPS vers sa chaîne premium et ses franchises (Sport +, Canal + Sport). En retour, TPS a récupéré la Bundesliga. Les films à fort potentiel public et les séries haut de gamme suivent le même chemin. Dans la foulée de la fusion, les acquisitions de droits sportifs de TPS ont baissé de 55% tandis que les programmes de sport sont passés de 9h45 par semaine en 2005 à 3h35 quatre ans plus tard. TPS est devenu au mieux un centre de formation pour Canal, une filiale qui s’apparente à une décharge. Depuis, TF1 et M6 ont revendu leur participation qui était de 15% chacun.
Chantage
Cela se passe comme si Groupe Canal n’avait jamais oublié que TPS fut pensée et créée par TF1. Comme s’il n’avait pas digéré de devoir partager la diffusion de la Ligue 1 avec TPS en 1999 alors que le bouquet de TF1 était mieux-disant à tous points de vue (les hiérarques de la Ligue avaient « arrangé » ça). Comme s’il ne pardonnait pas d’avoir frôlé le K.O technique et la faillite (merci Vivendi). Avant le rappel à l’ordre de l’Autorité de la concurrence, les deux groupes s’affrontaient sur le passage de LCI sur la TNT que Canalsat freine des quatre fers, I-Télé oblige. Depuis TF1 fait du chantage : en cas de refus, la Une liquidera sa chaîne info et mettra 142 journalistes au chômage.
Impérialiste sur la TV payante, au point d’obliger Orange à renoncer à son projet de chaîne sportive et de contraindre l’opérateur à s’allier à lui pour le cinéma, Canal a racheté, il y a un mois, les deux emblèmes de Bolloré sur la TNT, Direct 8 et Direct Star. Deux chaînes gratuites qui permettent d’élargir la couverture, et un nouveau rapport de forces dans les négociations pour les droits sportifs et le cinéma. C’est dire si le « rappel au règlement » de l’Autorité de la concurrence tombe mal. Un communiqué du Groupe signifiait la volonté d’engager « tous les recours possibles » (le Conseil d’Etat) et dénonçait « le caractère inhabituel et la disproportion » des sanctions. Canal a désormais un mois pour représenter son dossier de fusion et six mois pour le négocier auprès de ses partenaires. Avec comme épée de Damoclès, la possibilité d’en « revenir à l’état antérieur du rachat » . Un postulat « naturellement inenvisageable » pour le Groupe. Même si l’Autorité de la concurrence donnera son aval en échange « d’une régulation forte (sic) » , on suppose que ces gens bien nés trouveront un accord où Canal fera quelques concessions spectaculaires mais guère douloureuses. Un carton rouge avec une loi d’amnistie derrière en quelque sorte.
(1) : certains dirigeants de TF1 avaient promis que « les premiers sur la TNT seraient les premiers au cimetière. » Depuis, LCI est menacé de liquidation tandis que I-Télé et BFM tiennent le haut du pavé sur la…TNT.
Rico Rizzitelli