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« Les jeunes sportifs sont trop facilement à la merci des pédophiles »

Propos recueillis par Quentin Ballue // Photos : Renaud Bouchez, pour So Foot

Dimanche, à 23h10, M6 diffusera un numéro d'Enquête exclusive consacré aux violences sexuelles dans le milieu du foot. Les deux réalisateurs, Caroline Noguéras et Fabien Touati, racontent les dysfonctionnements aberrants qu'ils ont constatés aux quatre coins de la France, à tous les niveaux.

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Votre documentaire s’intitule Foot et violences sexuelles : la bombe à retardement. En quoi ce sujet est-il une bombe à retardement ?

Caroline Noguéras : Le thème des violences sexuelles dans le sport fait débat depuis quelques années maintenant. La parole a commencé à se libérer, notamment avec la patineuse Sarah Abitbol. Au départ, on voulait faire un sujet sur les violences sexuelles dans le sport, et on s’est aperçu qu’il y avait de grosses problématiques dans le foot. Il y avait cet ultime tabou à lever : ça touche souvent des petits garçons, et ça fait référence à l’homosexualité – même si ce n’en est pas, puisque là, c’est de la pédophilie. L’enquête est allée au-delà de ce qu’on pouvait malheureusement imaginer.

Fabien Touati : Généralement, on ne s’attend pas à ça dans les sports collectifs avec une majorité de garçons. On connaissait surtout des affaires concernant des jeunes filles dans des sports individuels. Dans les sports collectifs, a fortiori très virils comme le foot, on pensait plutôt que le groupe protégeait l’individu. En fait, pas du tout. Il y a énormément d’affaires, et en plus, ces jeunes garçons ne sont pas du tout protégés par les institutions, contrairement au discours officiel.

Comment avez-vous mené votre enquête ?

CN : La proposition du sujet a été faite en mai 2022, et M6 nous a donné le feu vert à la fin de l’été. On avait déjà pas mal d’éléments. L’enquête a avancé, et le film a pris une tournure qu’on n’aurait pas imaginée. Ça a pris beaucoup de temps parce qu’il y a une énorme omerta sur ce sujet.

FT : On voulait surtout dénoncer les failles du système, pour que les choses changent. Dans toutes les affaires qu’on a suivies, on a constaté qu’il s’agissait systématiquement de récidivistes, des personnes déjà condamnées, dont la réputation était connue, qui ont parfois été couvertes par des dirigeants. On voulait vraiment dénoncer la manière dont ces prédateurs pouvaient agir pendant autant d’années au contact d’enfants, malgré des condamnations, des casiers judiciaires, des inscriptions au FIJAIS (fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, NDLR). C’est impensable de se dire que les enfants sont à la merci de prédateurs sexuels.

CN : On a recueilli plusieurs dizaines, voire pas loin d’une centaine de témoignages tous sports confondus. On s’est dit qu’on allait sortir trois ou quatre affaires fortes pour en tirer tous les ratés. On découvre toutes les failles du système, jusqu’au plus haut niveau de l’État.

FT : C’est dramatique parce que ça a des conséquences directes sur les enfants à la fin. Vincent Cesbron (un éducateur de l’US Pringy, NDLR) a été condamné par deux cours d’assises, il a pris dix ans et huit ans pour pédophilie, et il pouvait encore obtenir une licence dans un club et entraîner des gamins ! En Corse, un mec condamné il y a dix ans, inscrit au FIJAIS, a continué à entraîner, à agresser des gamins, et ça a conduit à un drame : un mec l’a pris en flagrant délit, nu avec un gamin, et s’est fait justice lui-même. Il n’a pas à le faire, mais c’est la conséquence dramatique des failles du système.

Vous avez été surpris de recueillir autant de témoignages compte tenu de la sensibilité du sujet ?

FT : Le démarrage a été difficile. Le sujet est tellement délicat que pour aborder des victimes, des potentielles victimes, des témoins, on marche tout le temps sur des œufs. Au bout de plusieurs mois, on a appris à échanger avec ces personnes-là, nos noms ont commencé à circuler. Ça a facilité les choses pour discuter et convaincre les gens de nous parler.

CN : On a eu une première salve de témoignages qui touchaient le monde de l’équitation, les sports individuels, le tennis, etc. En regardant la presse régionale, certains articles nous ont alertés sur le milieu du foot. On s’est aperçu que les mamans, surtout, étaient prêtes à parler. Il a fallu des mois et des mois pour gagner la confiance des gens et les faire témoigner jusqu’au bout. Sans leur courage, on n’aurait pas pu faire le film.

C’est quand même dingue qu’un éducateur lambda de région parisienne soit obligé de faire le policier. Il a fait virer un prédateur de plusieurs clubs.

Vous interrogez un joueur d’un grand club européen, dans le sud de l’Europe. Sous couvert d’anonymat, il explique avoir été violé pendant des mois et qu’il s’est laissé faire, car son agresseur « pouvait le faire changer de statut, lui faire intégrer un club professionnel ». Le convaincre de parler a été compliqué ?

FT : Oui, très difficile. Il était convaincu, dès le début, du bien-fondé de la démarche. Il était d’accord pour parler au téléphone, mais l’idée de nous parler « face caméra », même en étant totalement anonyme, était plus dure à accepter. Il y a toujours une crainte d’être reconnu, parce que personne ne sait autour de lui. Ça a pris quasiment dix mois pour le convaincre.

CN : Il y a une grande difficulté à convaincre les joueurs connus parce qu’ils ont une carrière à faire, ils ont peur que leur carrière soit brisée s’ils parlent. Mais convaincre monsieur et madame Tout-le-Monde dans un club amateur, c’est tout autant difficile. Dans les petites villes, c’est la réputation des personnes qui va être éclaboussée, on va être montré du doigt si on est reconnu. Deux mamans témoignent dans le film. Je les ai contactées une première fois en juin 2022 et elles ont parlé pour le reportage en janvier 2023. Il faut du temps pour admettre l’importance de parler et se mettre à nu, même si ces gens sont masqués pour les protéger.

Comment avez-vous identifié ce joueur ?

FT : Dans pas mal d’affaires, on arrive à contacter les victimes grâce aux avocats. On lit les papiers de la presse régionale, on repère des affaires, on contacte les procureurs, les avocats, et ils en parlent à leurs clients. Ensuite, s’ils sont OK pour nous parler, on commence à échanger.

CN : Notre film fait 55 minutes, mais on aurait pu largement faire deux ou trois heures. On a aussi fait le choix de ne pas diffuser certains témoignages qui touchent à des gens assez connus. Déontologiquement, on ne pouvait pas se le permettre. Ça touche plus de gens qu’on ne le pense.

 

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PHOTO D’ILLUSTRATION – Renaud Bouchez

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ou le plus choqué au cours de votre enquête ?

CN : Pendant notre année de travail, il y a une phrase qui est revenue un nombre de fois incalculable : « Partout où il y a des enfants se cachent des prédateurs sexuels. » Ça fait froid dans le dos. De même que l’absence de prise de conscience au plus haut niveau de l’État : on pense qu’on fait des choses, mais c’est peanuts par rapport à la réalité du terrain. Le ministère des Sports envoie de la poudre aux yeux des parents. Il leur « fait croire » qu’il protège les enfants, mais la réalité, c’est que plus de 80% des bénévoles encadrants passent à travers les mailles du filet. On ne vérifie rien, même pas leur casier judiciaire ou le FIJAIS. Rien.

FT : Il y a ça, et la complicité passive des dirigeants ou des collègues. Il y a même des affaires où des enfants se sont confiés à des adultes et n’ont pas été pris au sérieux. Les garde-fous mis en place par les institutions sont insuffisants, et les responsables dans les clubs ne sont pas assez vigilants.

CN : Dans le sport amateur, s’il n’y avait pas autant de bénévoles, les clubs des villages et des petites villes n’existeraient pas. Ces bénévoles font vivre ces clubs. Beaucoup de gens savent qu’il y a des encadrants non fréquentables dans leur club et préfèrent fermer les yeux pour préserver le club.

Pour vérifier les casiers judiciaires des encadrants, il existe des logiciels qui fonctionnent beaucoup mieux dans d’autres ministères. Mais ils ont fait le choix de ne pas les utiliser.

Vous avez constaté des failles à tous les niveaux, aussi bien dans les clubs que les ligues, la fédération et le ministère des Sports ?

FT : Dans le foot, sur 302 000 encadrants, bénévoles et payés, il n’y a que 90 000 contrôles. Plus des deux tiers ne sont jamais contrôlés. On ne contrôle pas leur passé de pédocriminel ou leur casier judiciaire. Si on rétrécit la focale sur les bénévoles, presque 90% ne sont pas contrôlés. C’est impensable.

CN : Il faut aussi savoir que quand il y a des contrôles, entre le moment où l’encadrant arrive et le moment où sa licence est potentiellement vérifiée, il peut se passer plusieurs mois.

FT : C’est une question de moyens, de choix politiques. Quand on recrute des encadrants pour être au contact de mineurs dans les colonies de vacances ou les mairies, on tape leur nom et 24 heures après, le logiciel nous dit si cette personne a un casier en lien avec la pédophilie. Ça existe. Mais au ministère, on nous a dit que le tuyau était trop petit pour absorber le nombre de bénévoles dans le sport. On demande donc aux fédérations de ne sélectionner qu’un petit nombre d’encadrants, et tous les autres ne sont pas contrôlés.

CN : On s’est demandé pourquoi le ministère des Sports avait fait appel à un autre logiciel pour vérifier les casiers judiciaires et les inscriptions au FIJAIS des encadrants. Force est de constater que ce logiciel ne marche pas bien. Il en existe qui fonctionnent beaucoup mieux dans d’autres ministères, mais ils ont fait le choix de ne pas les utiliser. Les ministères ne se parlent même pas entre eux.

C’est symptomatique de voir qu’un éducateur se retrouve à traquer lui-même un pédophile en dénonçant ses agissements auprès des clubs où il travaille ?

FT : Bien sûr. C’est quand même dingue qu’un éducateur lambda de région parisienne soit obligé de faire le policier. Sur son temps perso, il envoie lui-même des messages Facebook aux autres dirigeants pour leur dire de faire attention. Il a fait virer ce prédateur de plusieurs clubs. C’est incroyable, ce n’est pas à lui de le faire. Le prédateur en question, Antoni Straboni, a encore des histoires en Corse, des gamins ont témoigné.

Que voudriez-vous que le public retienne de votre enquête ?

CN : En 2023, les jeunes sportifs ne sont pas suffisamment bien encadrés et sont trop facilement à la merci des pédophiles. Il faut que tout le monde prenne ses responsabilités, y compris les parents, surtout quand il y a des signaux d’alerte. On l’a vu dans nos affaires, il y a souvent des signaux faibles qui n’ont pas été pris en considération.

FT : Aujourd’hui, quand on laisse son enfant dans un club de sport, on a confiance. On se dit qu’il va faire du sport, se faire des copains, s’épanouir. On n’imagine pas qu’il puisse y avoir des pédophiles, des gens déjà condamnés, au milieu d’eux. Le système des contrôles doit être béton. On n’accepterait pas que, dans les colonies de vacances, on ne contrôle pas les casiers judiciaires des encadrants. Ce serait impensable. Pourquoi on l‘accepte dans le sport ?

CN : Un détail nous a choqués pendant l’enquête : lorsqu’un contrôle est fait et qu’il est établi qu’un bénévole encadrant n’a rien à faire dans un club, le président de club est prévenu, mais on ne lui dit pas pourquoi. Le président ne sait pas exactement pourquoi l’encadrant doit partir. Ça sert de couverture à certains, qui peuvent dire : « Mais attendez, moi je ne savais pas que c’était un pédophile, si on me l’avait dit je l’aurais viré ! » Il faut oser appeler un chat un chat et dire les choses, encore plus quand il s’agit d’enfants : c’est un agresseur sexuel, il n’a rien à faire dans un club.

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