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Carlos Queiroz : « Je ne suis pas Superman, personne n’est Superman »
Dans sa vie, Carlos Queiroz a globalement tout connu : les paillettes à Manchester, l’échec à Madrid, une Coupe du monde en tant que sélectionneur... Il ne lui manquait que ça. Ça, c’est une première victoire lors d’un Mondial avec l'Iran et ça s’est passé vendredi, à Saint-Pétersbourg, contre le Maroc. Géant.
Saint-Pétersbourg a beau être une ville de ballet, c’est dans un style fleurant le bordel et le bourdonnement étiré à grands coups de vuvuzelas qu’a décollé, vendredi après-midi, le vaisseau Krestovski. À comprendre : pour la seconde fois de son histoire – cinq participations à la Coupe du monde (1978, 1998, 2006, 2014 et 2018) –, l’Iran a remporté un match lors d’un Mondial. La première, ça s’était joué en France, à Lyon, le 21 juin 1998 contre les États-Unis (2-1). Là, la victime a une autre tronche et ne l’avait surtout pas vu venir : le Maroc, évidemment, outsider attendu du groupe B derrière les deux gloutons que sont l’Espagne et le Portugal, Hervé Renard annonçant fièrement devant la presse la veille qu’aujourd’hui, « son équipe » avait « tout pour faire un bon résultat » . Tout ? Soit le soutien de Louis van Gaal, une série de dix-huit matchs consécutifs sans défaite avant de mettre le pied en Russie, une étiquette de défense de fer (un but concédé lors de la phase de qualification), mais certainement pas l’expérience du haut niveau. Le vrai, celui que représente une Coupe du monde, un monde qui nécessite, pour exister, de briller plus de vingt minutes. Oublions, l’histoire se joue ailleurs, et Renard a assuré après la défaite inaugurale des siens face à l’Iran de Carlos Queiroz (0-1) qu’il fallait « se tourner vers le deuxième match » (mercredi, contre le Portugal) : « Ce soir, il n’y a que ça à faire. »
« Si on a une minute, une seconde… »
C’est tout, vraiment ? Non, il faut mesurer ce qu’a réalisé l’Iran à Saint-Pétersbourg, Queiroz en tête. Cette bande lâche sur la piste « un foot un peu spécial » (Renard) ? Elle s’en cogne pas mal, c’est le sien et c’est tout ce que le foot va retenir jusqu’au milieu de semaine prochaine. Ainsi, la conférence de presse d’après-match du sélectionneur de la Team Melli, qui retrouvera l’Espagne lors de sa deuxième date mercredi, a tourné à l’expérience lunaire : des journalistes locaux qui applaudissent, remercient le Mister d’avoir réussi à « amener le foot dans les ménages au pays » et se lèvent pour venir l’embrasser avant de le laisser filer. Carlos Queiroz est un héros, il profite du moment pour retirer sa cape : « Superman, ce n’est qu’une BD. Je ne suis pas Superman, personne n’est Superman. Nous, on veut juste créer de super-résultats. Après le tirage au sort, on avait deux options : soit on changeait directement de Coupe du monde, soit on gardait nos espoirs intacts. C’est notre devoir de lutter contre nos chances et de transformer l’impossible en possible. Si on a une minute, une seconde, qui représente une possibilité de gagner la rencontre, on la saisira. C’est l’histoire de cette équipe. » Et ça fait sept ans que ça dure.
Le vice et le gong
Sept ans à se bagarrer contre les infrastructures, à bousculer les mentalités de joueurs qui, au début, pleuraient au moment de quitter leur pays, à bricoler contre le destin : la préparation jusqu’à ce match contre le Maroc n’a rien changé, l’Iran ayant vu la Grèce et le Kosovo se défiler au dernier moment début juin et annuler des matchs amicaux prévus de longue date. Quel est le secret, alors ? « Je pense déjà que pour la première fois depuis plusieurs mois, une équipe a joué les yeux dans les yeux avec le Maroc, répond Queiroz. Dans le foot, il faut toujours un peu de chance, mais notre stratégie depuis le début était simple : créer un effondrement mental dans l’esprit des joueurs marocains, en créant de la frustration, en cassant les créateurs de leur jeu. On a réussi à créer en eux de la panique et on a tourné le match parce qu’ils ont compris qu’on pouvait gagner. » Ce que l’Iran a fait dans les arrêts de jeu, Aziz Bouhaddouz détournant, sur le gong, un centre contre son camp, après 90 minutes de vice et de résistance mentale. Avant de partir, l’ancien coach du Real a profité de la tribune pour tourner le moment en stand-up politique : des câlins pour la FIFA pour l’organisation, des baffes contre les faux supporters qui « minent la préparation de l’équipe » et un règlement de comptes avec la presse portugaise. Quoi ? Oui, pour rappeler, en V.O., qu’un entraîneur portugais avait déjà remporté son premier match en Coupe du monde : « Il s’appelait José Torres (sélectionneur du Portugal lors de la Coupe du monde 1986) et il est temps que la Fédération portugaise se rende compte qu’il était un entraîneur extraordinaire. Je suis donc le second. » Simple détail : Carlos Queiroz tient bien entre ses doigts un morceau d’histoire.
Par Maxime Brigand, au stade Krestovski