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Carlos de Matos : « La statue de Rui Patrício ? C’est un pari que j’ai fait avec mon frère »
Il y a quelques jours, une statue de Rui Patrício était inaugurée à Leiria, au Portugal. Une immense sculpture de bronze, représentant la parade du portier portugais en finale de l'Euro 2016, qui a été financée par un Portugais vivant en France depuis ses dix-huit ans, Carlos de Matos. Fondateur du groupe Saint-Germain – sans aucun lien avec le PSG –, l'homme de 65 ans nous explique pourquoi une telle folie.
Bonjour Carlos. N’y allons pas par quatre chemins, pourquoi cette statue de Rui Patrício ?(Rires) Tout a commencé par une rigolade. Mon frère arrivait du Portugal pour venir voir la finale de l’Euro où nous étions invités. Et là, pour déconner, je lui dis que si le gardien ne prenait pas de buts, je lui ferais une statue. Le Portugal passait tellement à la limite à chaque match que je ne pensais pas cela possible. À la base, j’avais donc balancé cela sur le ton de l’humour. Mais, à l’arrivée la statue est bien réelle.
Pourquoi avoir choisi Rui Patrício, et non pas Éder, Pepe ou même Cristiano Ronaldo ? Tout simplement parce que Rui Patrício vient du même bled que mon frère au Portugal. Mon frère connaît bien ses parents, alors nous avons parlé de lui et c’est là que j’ai fait ce pari. Et puis, c’est aussi l’occasion de mettre en lumière le poste de gardien de but. Je n’y connais pas grand-chose en football, je ne regarde que très peu de matchs, mais j’ai l’impression qu’on ne parle jamais du gardien, sauf lorsqu’il prend un but. Alors que moi, je considère que le goal est la base d’une équipe et qu’il devrait être mieux considéré. Si le gardien est solide, il permet à son équipe de tenir et de gagner. La preuve avec cette finale.
La statue de Rui Patrício se situe devant le stade Municipal Dr. Magalhães Pessoas. Pourquoi avoir choisi ce lieu ? À la base, je voulais faire une petite statue à Regueira de Pontes, le village de naissance de Rui Patrício. J’ai donc appelé le maire de la ville pour lui expliquer mon projet. Il m’a dit : « Mais non, personne ne va la voir si tu la fais là-bas. Fais-la à Leiria, devant le stade. » Du coup je me suis retrouvé avec une statue de 4m60 de hauteur posée sur un socle d’1m80, alors qu’au départ, j’étais parti pour en faire une petite (rires). Mais le maire m’a convaincu, et vu l’emplacement qu’il m’a proposé, j’étais obligé d’adapter les proportions pour ne pas que ça fasse ridicule.
Une fois le lieu trouvé, il vous restait à chercher le sculpteur. Ce n’était pas une recherche facile, car je voulais un sculpteur capable de faire une statue en bronze qui représentait Rui Patrício en mouvement. Je voulais une statue vivante. Je ne voulais pas qu’elle soit statique, froide et sans âme. C’était donc très difficile à faire. J’ai donc commencé à rencontrer des sculpteurs et j’ai eu le bon feeling avec l’un d’entre eux. Finalement, je l’ai bien choisi, car la statue est très réussie et très belle.
Vous êtes-vous impliqué dans la réalisation de la sculpture ?Ah oui, j’ai tout suivi. J’étais présent à chaque étape. Lors de la première ébauche, le sculpteur avait mis le ballon dans la main du gardien. Je lui ai alors dit que ce n’était pas bon, car Rui Patrício n’a pas attrapé le ballon, il l’a juste effleuré du bout des doigts.
Justement, en finale, Rui Patrício a réalisé de nombreuses parades, pourquoi avoir choisi d’immortaliser celle-ci ? Pour moi, c’est le moment clé du match. Si Griezmann marque ce but, le Portugal n’aurait jamais gagné l’Euro. J’étais au stade, et lorsque Griezmann tape le ballon de la tête, je le voyais déjà dedans. Je ne sais pas comment le gardien a pu sortir le ballon, on dirait qu’il a grandi au moment de son saut. Et puis, Antoine Griezmann est d’origine portugaise (de par sa mère, Isabelle, ndlr), alors je trouvais la symbolique sympathique.
Comment a réagi Rui Patrício lorsqu’il a vu la statue ? Il n’en revenait pas. Il a vu la statue lorsqu’elle était encore en terre cuite et il est resté bouche bée pendant trente secondes. Après, il m’a pris dans ses bras. Il avait les larmes aux yeux, et moi aussi d’ailleurs. C’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, il est très réservé, très humble. Ce n’est pas du tout quelqu’un qui se la pète. En revanche, il est très grand, alors à côté de lui, je parais petit sur les photos (rires).
J’imagine que vous avez vu la statue de Cristiano Ronaldo à Madère. Vous a-t-elle inspiré pour la vôtre ? Je ne vais pas la critiquer, mais bon… Après, lorsque la statue de Ronaldo a vu le jour, celle de Rui Patrício était déjà décidée depuis longtemps puisque le sculpteur a mis cinq mois à la réaliser. La statue de Ronaldo a un sens puisque c’est un très bon joueur de foot et une idole au Portugal. Ma statue à moi n’a pas du tout le même sens. La mienne représente surtout l’union des Portugais du monde entier. Je suis arrivé en France à dix-huit ans. La France m’a beaucoup apporté. Je suis autant français que portugais, je suis européen en fait. Cette statue permet donc d’appuyer la relation et l’amitié qui unit le Portugal et la France. D’autant plus que je pense que le sport, et a fortiori le football, permet d’unir les peuples de manière plus efficace et plus rapide que la politique.
Au moment du but d’Éder, avez-vous pensé à lui faire une statue à lui aussi ? Non, le pari était sur Rui Patrício puisqu’il venait de chez moi et que j’aime ce poste de gardien de but. Mais je pourrais en faire une à Éder aussi, je n’ai pas de problème avec lui, bien au contraire (rires).
Propos recueillis par Steven Oliveira