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Carlito’s Way

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Carlito’s Way

Carlos Tevez est le joueur le plus titré et le plus populaire d'Argentine. Mais, lassé par une vie tumultueuse -bientôt adaptée au cinéma- et le football, il a récemment déclaré qu'il pourrait mettre un terme à sa carrière à la fin de la saison... Retour sur son parcours, quelque part entre Scarface, La Cité de Dieu et 8 Miles.

« Je ne pouvais jamais sortir seul dans la rue, c’était trop dangereux. Le soir, c’était comme si on était à Beyrouth ! On entendait des coups de feu, des cris, des pleurs et en sortant le matin, il y avait souvent des morts sur le chemin de l’école » . Quand Carlos Tevez, né Martinez, raconte ses souvenirs d’enfance passée dans le coupe-gorge de Fuerte Apache, il ne pleure pas. Ne cille pas. Il vous regarde droit dans les yeux, s’arrête, et vous laisse le contempler. Il sait que son corps parle pour lui. Une véritable peinture rupestre.

Torture

A 5 ans, une marmite d’eau bouillante lui tombe sur le visage et le défigure à jamais. Pour soulager la douleur de son fils, la mère ne trouve rien de mieux à faire que de lui recouvrir le visage d’un poncho. Il faudra cinq mois aux médecins pour lui retirer une à une les fibres de laine incrustées dans la peau. A 9 ans, Micaela, la sœur de son actuelle épouse Vanesa, lui envoie une balançoire dans des chicots toujours en vrac à l’heure qu’il est. A 12 ans, Tevez commence à jouer pour de l’argent dans les potreros du quartier. Ses adversaires ont le double de son âge, mais à 200 pesos la victoire, les tibias rabotés et les chutes sur des tessons de bouteilles sont rapidement oubliés : « Dans ces matchs-là, il fallait surtout dribbler les bouts de verre et le tétanos parce qu’on jouait pratiquement sur un vide-ordures, sourit Tevez. Je jouais avec quatre protections : deux pour les tibias et deux autres pour les mollets. Mais le vrai problème, c’étaient les chaussures ; j’avais les pieds tellement serrés qu’à la fin, mes ongles ne poussaient plus » .

Pour ne rien arranger, Tevez déforme également son corps en filant la main à son maçon de père durant la journée, puis laisse tomber les parpaings pour enfiler la tunique de ‘cartonero’ une fois la nuit tombée. En pleine croissance, l’Apache devient Quasimodo. A 18 ans, les dirigeants de Boca Juniors proposent de lui offrir une opération de chirurgie esthétique, mais Carlito refuse. « J’ai le corps que j’ai et je ne veux pas en changer, même pour tout l’or du monde, insiste Tevez aujourd’hui encore. Au départ, je pensais vraiment finir mes jours en ramassant des cartons, mais heureusement le football m’a sauvé. Aujourd’hui quand je vois les types avec leurs chariots, ça me révolte parce que j’aurai pu être à leur place. La misère et la faim, je connais et je ne la souhaite à personne. Mes cicatrices sont les témoignages de cette ancienne vie… » .

28 balles dans le corps

La plus grosse cicatrice de Carlito reste cependant invisible à l’œil nu. Et inconnue du plus grand nombre. Le gamin a 13 ans lorsque Boca Juniors tente de le recruter. All Boys, club formateur du petit ‘Apache’ ne veut rien savoir et tente de le retenir coûte que coûte. A l’époque, le joueur a une licence sous son vrai nom : Carlos Martinez. Les dirigeants de Boca vont alors trouver un subterfuge redoutable selon Gabriel Azofra, dirigeant des Boys : « Carlito est né Martinez. Tevez, c’est venu après, mais je peux vous jurer qu’il ne s’appelle pas comme ça. Boca voulait nous voler Carlos et ils ont trouvé un père de substitution pour l’enrôler » . Voilà donc l’histoire officielle servie par Boca et Carlos lui-même : Trina Martinez, sa mère, aurait soi-disant divorcé de Segundo Tevez. Ce sont les dirigeants des Xeneizes qui auraient recollé “miraculeusement” les bouts entre les parents, et fait en sorte que Segundo reconnaisse Carlos, son “fils”. Ainsi, le joueur des Boys pouvait quitter son club et signer une nouvelle licence, à Boca, sous le nom “Carlos Alberto Tevez”. Mais en réalité, celui que l’Apache présente officiellement comme son père n’est en fait que le voisin de Trina Martinez. Et Carlito a 5 ans lorsque son “vrai” paternel, Carlos, se fait tirer dessus 28 fois par le gang le plus violent du quartier : les Backstreetboys. A la mort de ce dernier, Trina pète un plomb et sombre dans la drogue et la dépression. Segundo et Adriana Tevez, leurs quatre enfants et le pékinois Fito, deviennent alors la véritable famille de Carlos Martinez.

Que serait-il advenu si Carlito n’avait pas changé de nom et de parents ? Difficile de le savoir, même si l’un de ses “vrais” demi-frères a donné quelques éléments de réponse, en tentant de braquer récemment un fourgon blindé de la Brink’s à l’aide d’une mitraillette… Forcément, vu le patrimoine génétique qui est le sien, l’Apache est toujours resté évasif sur le sujet, même auprès de son entourage. « Vous feriez quoi vous si votre père s’était fait assassiner, si votre mère était une droguée et si tous vos amis d’enfance étaient morts ou en prison ? Vous feriez comme lui, vous le cacheriez de peur d’être considéré comme un fou » , plaide Claudio Freire, un proche du joueur.

Apache, the movie

Pour en finir avec ce tabou, l’international argentin a récemment accepté de se livrer pour les besoins d’un film, Apache, sur… sa vie (1). Le tournage devrait débuter en avril 2010, avec Carlos Tevez dans son propre rôle. « Avec Maradona, c’est le joueur le plus fascinant des vingt dernières années » , selon Fernando Zuber, directeur de production, qui vend déjà le positionnement de son film : « Même s’il n’est pas au niveau de Diego, il offre plusieurs lectures possibles sur la situation actuelle de la société et du football argentin. Carlos a décidé de participer à l’écriture et tenu à ce que l’on change des passages trop romancés à son goût pour raconter la réalité telle qu’elle est. Apache va être un film d’auteur, une sorte de « 8 Miles » argentin » .

En Argentine, Messi est reconnu comme un formidable footballeur, mais l’idole, c’est lui, Tevez. Le « joueur du peuple, celui qui mouille le maillot pour son pays » , comme le décrit Sergio Levinsky, auteur d’une biographie sur le joueur. « Ici, on aime les anti-héros, on préfère les malicieux aux intelligents. Messi, chez nous, est considéré comme un Européen, un étranger, alors que Tevez, il n’est pas parfait, il montre ses émotions, c’est un joueur ‘sans cachette’ (en français, ndlr). Comme Maradona en son temps, mais en plus amusant » . Tevez, c’est donc ce type un peu beauf mais tellement “vrai”, dans lequel les uns se reconnaissent et qui fait marrer les autres. Et force est de constater que le joueur sait comment s’y prendre : il s’habille essentiellement en jogging, dort dans des draps aux motifs léopard, a offert des rideaux aux couleurs de Boca à sa mère “adoptive” et claqué son premier salaire chez les pros dans une Renault Scenic, pêle-mêle. Sans parler de son groupe de cumbia, Piola Vago, avec lequel il n’a pas hésité à repomper un morceau du chanteur panaméen Nigga en faisant croire qu’il l’avait composé lui-même, et à faire un duo avec Don Omar, le Snoop Dogg du reggaeton.

S’adapter sans s’intégrer

Encore plus fort, Tevez va réussir à négocier le plus important virage de sa carrière de joueur sans émousser l’amour de son peuple. Tout commence au mercato d’hiver 2004 : Boca Juniors reçoit des offres du Bayern et du Milan AC. Le joueur souhaite y aller mais les montants proposés par les Européens sont jugés insuffisants par les Xeneizes. Problème : l’Argentin ne supporte plus les paparazzi locaux depuis que ces derniers l’ont photographié dans les bras de la playmate Natalia Fassi. Il y a urgence, et pour sauver son mariage, Tevez va faire n’importe quoi, à savoir vendre son âme au diable –une mystérieuse société aux initiales MSI. A sa tête, Kia Joorabchian, un Iranien avec 5 passeports. Un ami personnel d’Abramovich qui débourse 20 millions d’euros pour devenir “propriétaire exclusif du joueur”. Tevez est désormais un cheval de course. Qui courra où bon il semblera à Kia. Ce dernier, via MSI, a racheté quelques mois plus tôt les Corinthians de Sao Paulo ? Alors le nouvel itinéraire de Carlos débutera par le club brésilien.

« Pour rentabiliser l’investissement, Kia savait qu’il allait falloir prêter Tevez à plusieurs clubs différents. Ce n’était plus un joueur, mais un placement financier, analyse Levinsky. Il était donc clair dès le départ que le joueur ne resterait pas longtemps au Brésil. En étant élu meilleur joueur du championnat brésilien, il a, de fait, composté son billet pour l’Angleterre » . Planifiée sur du court terme, la carrière de Tevez dépend donc de son intégration rapide dans le club et le championnat d’accueil. Réussir vite, pour mieux partir. Ainsi Tevez ne sait toujours pas aligner un mot d’anglais depuis son atterrissage dans la Premier League, il y a quatre ans. Et le pire, c’est que ça le fait rire. « Ma fille de trois ans parle mieux anglais que moi! » aime-t-il à répéter. Evidemment, c’est faux (ou pas totalement vrai), mais cette attitude lui permet de brosser les Argentins dans le sens du poil. « Le Brésil et l’Angleterre sont les pires ennemis des Argentins. Le fait qu’il n’ait pas fait d’efforts pour apprendre l’anglais ou le portugais est une véritable source de fierté en Argentine » , souligne timidement, Levinsky.

Abîmé

Héros à West Ham après avoir sauvé le club de la descente lors de la dernière journée, et respecté à Old Trafford jusqu’à son récent transfert chez les nouveaux riches de Manchester City (dont le proprio, Sheikh Mansour, est un ami de Kia), Carlos Tevez a su adapter son jeu aux exigences des championnats dans lesquels il évolue. Ainsi, en Premier League, Tevez n’est plus ce dribblotin qui fanfaronne le long des lignes –il laissera ce rôle à Cristiano Ronaldo, Nani and co–, mais bel et bien un attaquant tout en grinta, qui court pour l’équipe et passe autant de temps à défendre qu’à percuter les lignes adverses balle au pied. « En partant en Europe, son jeu s’est abîmé, on dirait qu’il a muté » , se désole Levinsky. Voilà peut-être un autre élément d’explication de son transfert pour City : la sécurité financière. Car Tevez le sait, sa débauche d’énergie sur les terrains anglais a avancé sa date de péremption. A 25 berges, lui qui annonçait qu’il pensait sérieusement prendre sa retraite à 28 ans, a récemment émis la volonté de peut-être tout arrêter à la fin de la saison en cours. Ce qui, quand on vient de Fuerte Apache, peut sembler être une sage décision.

Portrait paru dans le SoFoot numéro 69.

(1) Film dirigé par l’Uruguayen Adrian Caetano, et produit par Gaston Pauls, récemment vu au cinéma dans le Che de Soderbergh il y interprétait « Ciros Bustos » .

A lire: Cicatrices de futbol de Sergio Levinsky. Argentine, 2009

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