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Caravane Football Club
À l’occasion du rassemblement tsigane Vie et Lumière, rencontre avec une communauté passionnée par le football, entre rivalités régionales et difficultés à pratiquer sur la route.
Des milliers de caravanes, à perte de vue. Sur les routes de Haute-Marne, on se presse doucement jusqu’à l’aérodrome de Semoutiers. C’est habituel. Chaque année, l’association Vie et Lumière, mission pentecôtiste tsigane, organise sa convention à la fin du mois d’août. Les immenses pistes haut-marnaises ont été choisies pour la deuxième fois en trois ans. Au beau milieu des caravanes, un énorme chapiteau. Dessous, une estrade et plusieurs centaines de chaises destinées à accueillir des fidèles pour des lectures autour de la Bible et des baptêmes. Des gamins slaloment entre les sièges pour récupérer leur ballon de foot égaré et se remettent à leur « deux contre deux » . Ils ne sont pas une exception. À chaque recoin de l’aérodrome, entre deux caravanes, on trouve des jeunes qui tapent dans le cuir sur un bitume humide. Le foot est partout chez les Tsiganes.
Brian, vingt-sept ans, observe d’un œil bienveillant. « C’est un sport très pratiqué, surtout par les jeunes, jusqu’à vingt-cinq, trente ans. Après, on entre dans la vie active, donc c’est plus compliqué » , explique-t-il. Le football est un sport très ancré chez les gens du voyage. « Les trois disciplines principales sont le football, la boxe et la pétanque » , raconte à Outsider Louis Gouyon de Matignon, petit-fils de marquis et auteur de plusieurs ouvrages sur la culture tsigane. Des sports populaires. Mais chez les Tsiganes, il ne faut pas dire « football » . Le mot n’est prononcé par aucune personne sur l’aérodrome. « Nous, on dit « le ballon » » , détaille Brian. Personne ne sait vraiment expliquer pourquoi. Et c’est peut-être aussi bien comme ça.
Les origines tsiganes de Pirlo et Ibra
Cette passion tient à une chose que l’on retrouve aux quatre coins du monde : l’universalité du foot. Micky, dix-sept ans, survet’ complet aux couleurs de l’OM, rigole : « C’est tout simple, hein. On arrive quelque part, on a un ballon, on met deux poteaux, et ça fait un sport. » Et c’est encore plus simple pour des familles qui prennent la route une partie de l’année. Mais comment s’investir dans des clubs et atteindre le plus haut niveau lorsqu’on est voyageur ? Les exemples de joueurs aux origines tsiganes plus ou moins lointaines ne manquent pas : Pirlo, Ibrahimović ou bien sûr Gignac. Toutefois, leurs familles s’étaient sédentarisées, ce qui a rendu bien plus facile la pratique du ballon.
Beaucoup de jeunes présents au rassemblement Vie et Lumière ont déjà testé l’inscription dans un club, sans forcément rester ou suivre une saison complète. « Je pense qu’on aura de plus en plus de joueurs dans des clubs. On est plus sédentaires, c’est donc plus facile. Avant, on était neuf mois en itinérance. Maintenant, c’est plus quatre mois durant l’été » , détaille Brian, fan du PSG et grand admirateur de Raí. Les temps changent aussi dans le suivi du foot. Avant, il fallait vadrouiller et trouver un troquet pour regarder les grandes affiches de Ligue 1 ou de Ligue des champions. « Maintenant, c’est plus simple d’avoir Canal+, on regarde ça de chez nous » , poursuit Brian.
En attendant, les gens du voyage jouent là où ils passent. Les équipes se forment facilement. Quelques coups de fil à des proches, le recrutement d’un ou deux potes pas loin et ça part faire un match. « Après, chez nous, il n’y a pas de règles particulières. C’est souvent des 7 contre 7 ou 8 contre 8, mais les matchs peuvent durer deux heures ou plus » , indique Mario, un couvreur, la trentaine bien tassée. « Quand on sait qu’il y a une mission (évangélique, ndlr) à 50km par exemple, on les appelle et on se retrouve à mi-chemin » , continue Brian. Et les victoires permettent de chambrer à cette convention à la fin du mois d’août, moment-clé pour les protestants évangélistes avec des baptêmes à la pelle. « C’est le moment le plus important. Tout le monde est là. C’est vraiment les matchs à ne pas perdre. Pour l’instant, on a gagné contre les Parisiens, mais on a perdu contre les Lyonnais » , dit Micky.
Grisier et Delage, les légendes
Parfois, des joueurs restent ensemble des années et deviennent des légendes. Des ados aux anciens, tout le monde connaît l’équipe des Delage (Savoie) et celle des Grisier (Marseille). Deux formations réputées pour avoir mis des roustes à de nombreuses équipes de gens du voyage, qui ont cru, un jour, pouvoir rivaliser avec les meilleurs. « En 2006, ou en 2007, je ne sais plus, je me rappelle d’une victoire 7-2 des Grisier contre une équipe de Paris » , se souvient Dim, dix-huit ans. Il y a aussi des romans qui se construisent durant l’été. En marge d’une précédente convention dans le grand Est – le lieu est tournant –, plusieurs tsiganes racontent qu’une équipe de jeunes avait tapé un club de DH du coin. « Ils voulaient recruter Florian, un de nos défenseurs qui avait quarante ans. Ils n’en revenaient pas lorsqu’il leur a dit son âge » , rappelle avec fierté Brian.
Au milieu des caravanes, à quelques mètres d’une bâche géante et d’un vendeur de charcuterie, des grappes de jeunes en maillots de foot dépareillés se préparent. Direction dans l’heure pour Villiers-le-Sec, à dix minutes en voiture. Le stade synthétique les attend. Wilson, dix-huit ans, tunique rouge de l’OL sur le dos : « Nous, les Lyonnais, on va jouer contre les Parisiens. Il faut gagner, ils parlent trop. » En Ligue 1 ou ailleurs, Paris est finalement toujours l’équipe à battre.
Par Guillaume Vénétitay