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Capitanat : transmission à haut risque
Plus que le choix de faire de Kylian Mbappé le nouveau capitaine de l'équipe de France, c'est la manière dont les tractations ont été menées et annoncées qui pose question. Didier Deschamps a préféré brouiller les cartes le plus longtemps possible, quitte à fragiliser la position de l'un de ses plus fidèles cadres : Antoine Griezmann.
Ce mardi, Antoine Griezmann pouvait espérer souffler 32 bougies comme autant de tours du soleil. Chose faite dans le réfectoire du château de Clairefontaine sous le regard de 22 autres hommes bleus et du staff de l’équipe de France. Autour de la table, beaucoup de vingtenaires ont pris la place de ceux qui ont été ses proches pendant de longues saisons : il y a bien ce bon vieux Olivier Giroud à ses côtés, mais Ousmane Dembélé et Paul Pogba sont convalescents, alors que les grognards Mandanda, Lloris et Varane ont raccroché. Reste que le cadeau que l’homme aux 117 sélections attendait, un beau brassard de capitaine venant récompenser son engagement total au cours de toutes les campagnes internationales depuis 2014, lui a été soufflé par un garçon de huit ans son cadet, installé à l’autre bout de la table : Kylian Mbappé. Le jeune Parisien a en effet été intronisé quelques heures plus tôt par un Didier Deschamps faisant le pari d’un règne long.
Drôle de début de printemps pour le Colchonero, qui se voyait déjà comme l’une des branches les plus solides de l’arbre bleu au milieu d’un groupe en bourgeonnement. Sans Hugo Lloris et Raphaël Varane, les numéros 1 et 2 dans la hiérarchie, l’ex-numéro 3 – en témoigne son capitanat au Danemark en septembre dernier – avait toutes les qualités pour assumer la fonction : fiable, performant, rassembleur, polyvalent, peu clivant et surtout loyal. À Doha, il avait par exemple juré : « Je donne tout pour la France et pour Deschamps. » Cet attachement au maillot, il l’a réaffirmé cette semaine lors de son discours d’anniversaire. Pourtant, certains médias pensent savoir qu’à la suite de cette déception, ça cogite sous cette teinture rose quant à la suite à donner à son avenir en sélection nationale.
Une affaire d’État pour rien
Didier Deschamps a pourtant voulu à tout prix éviter de faire de cette transmission de brassard un « sujet sensible ». La teneur des échanges entre les personnes concernées n’a pas été clairement dévoilée et c’est donc tout l’inverse qui semble se produire. Là est la faute du sélectionneur, qui a préféré écarter méthodiquement chacune des perches tendues par les journalistes lors de ses deux premières conférences de presse de 2023. Jeudi dernier, après avoir égrené sa première liste de l’année, le Basque estimait à juste titre devoir en parler en priorité avec les potentiels candidats avant de l’annoncer publiquement. Mais lundi, au cours d’une intervention inutile quelques minutes après l’arrivée des joueurs à Clairefontaine, il a laissé comprendre qu’il n’était pas nécessaire d’insister et que son choix serait connu par tous avant le match contre les Pays-Bas. Il le sera finalement en exclusivité par les happy few. Ainsi, quand L’Équipe annonce en primeur la nouvelle lundi soir à 23h30, s’ouvre une période longue de quatre jours (il ne reprendra la parole que jeudi au Stade de France) sans que le boss des Bleus ne puisse détailler, expliquer, aplanir et surtout justifier sa décision – chose qu’il aurait pu donc faire en toute sérénité et de manière contrôlée derrière un pupitre lundi – et donc autant de temps pour laisser les polémiques et bruits de couloir proliférer et potentiellement affecter l’équipe de France. N’a-t-il pas eu le temps, depuis début février et la mise en retrait de Raphaël Varane, d’aller à la rencontre d’Antoine Griezmann et Kylian Mbappé, histoire de faire en sorte que cette histoire soit réglée avant même le rassemblement ? Au lieu de ça, le service de communication des Bleus a préféré patienter jusqu’à mardi 16 heures pour officialiser les choses, alors que l’info a eu le temps de tourner de toute part, d’être analysée, disséquée, voire déformée.
Didier Deschamps a nommé Kylian Mbappé comme nouveau 𝒄𝒂𝒑𝒊𝒕𝒂𝒊𝒏𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝑩𝒍𝒆𝒖𝒔 ! ©️
Antoine Griezmann est le vice-capitaine 🇫🇷 #FiersdetreBleus pic.twitter.com/vWzh4nQaTe
— Equipe de France ⭐⭐ (@equipedefrance) March 21, 2023
La nomination de Kylian Mbappé est tout sauf usurpée. Le gamin de Bondy a suffisamment prouvé sa capacité à tenir le cap dans les moments difficiles et celle de prendre en main le destin de ses équipes. « C’est une responsabilité énorme que Kylian est apte à tenir », a même adoubé le néophyte Jean-Clair Tobido ce mercredi, quand Marcus Thuram y a vu un choix « logique », pour un joueur « charismatique » et « fédérateur ». On sait aussi qu’un capitaine n’a pas vocation à être la seule tête qui dépasse dans un groupe dirigé par Deschamps, qui a répété à moult reprises distinguer plusieurs types de leaders. « En club, je m’appuyais sur trois joueurs : un leader technique, un leader physique et un leader mental. En équipe de France, je suis passé à cinq joueurs, qui sont représentatifs du groupe : quatre cadres et un jeune appelé à mûrir », détaillait-il dans nos colonnes en juin 2022. Il est donc évident qu’Antoine Griezmann aura encore son rond de serviette à ce « conseil des sages ». Cependant, on peut aussi se demander la pertinence de conférer encore un peu plus de pouvoirs à Kylian Mbappé, lui qui n’en manquait pas. Avec cette « affaire » court le risque de voir une sélection devenir celle d’une superstar, bousculant ainsi la notion de collectif. L’autorité du sélectionneur n’est ici pas (encore) contestée comme ça peut l’être ailleurs, mais ce genre de situations a rarement fait ses preuves. L’Argentine a longtemps souffert de voir Lionel Messi faire la pluie et le beau temps, se chargeant parfois de bidouiller lui-même la composition de son équipe. Au Portugal, l’omnipotence de Cristiano Ronaldo a fini par crisper. Avoir Antoine Griezmann comme relais naturel jusqu’à l’Euro 2024 avant de passer le témoin à Kylian Mbappé aurait eu une forme de logique. Une logique qui, apparemment, ne vaut finalement pas grand-chose face au poids du « génie français ».
Par Mathieu Rollinger