CAOM, le virage de la jeunesse

« Non, on n’essaye pas de remplacer les Yankees, on essaye de redonner vie à ce virage où l’on nous a installés sans nous demander. » Assis dans le bas du Virage Nord à quelques minutes du coup d’envoi, Yanis, 20 ans, commis de cuisine la journée, dirigeant d’un groupe ultra le soir, met les choses au point. Depuis le début de la saison, avec quatre amis, ils ont décidé de prendre les commandes du Club des amis de l’OM, un association d’abonnés née en 1987 et qui a été installée en bas du Virage Nord à l’été 2018, après que Jacques-Henri Eyraud a expulsé les Yankees du Vélodrome. Du jour au lendemain, le principal groupe ultra du Virage Nord (5000 membres) a ainsi déserté, sans jamais être remplacé. Une question de respect, d’abord, parce qu’on ne s’empare pas de la place d’un groupe historique comme ça. D’ailleurs, Yanis le rappelle bien : « Si les Yankee reviennent, ça nous ferait plaisir. Ça reste leur place, c’est sûr. » Sauf qu’en attendant ce retour de plus en plus incertain, il fallait bien faire quelque chose.

Un fardeau signé Eyraud

Pour bien comprendre la situation, il faut se remémorer la répartition des ultras marseillais. Au sud, les South Winners et le Commando Ultra se partagent le gâteau. Au nord (à gauche dans vos écrans de télé), les Fanatics, Dodgers et MTP occupent la moitié haute. Le bas, quitté par les Yankees, est aux mains du CAOM. « À la base, le CAOM, ce ne sont pas des ultras, mais des gens abonnés aux quatre coins du stade qui ont été ramenés de force par l’OM ici », rappelle Yanis. Après le départ forcé des Yankees, aucun des groupes du Virage Nord n’avait en effet accepté de descendre à cette place, par respect pour les Yankees. L’OM d’Eyraud avait alors bricolé cette solution bancale. « Ces gens, pas habitués au virage, ont oublié qu’une place en virage au Vélodrome, ce n’est pas pour être assis. Petit à petit, ils se sont entassés, c’est compliqué de les faire bouger », regrette Yanis, en accrochant les écharpes des ultras du Virage Nord derrière le but, comme le veut la tradition à Marseille.

Partant de ce constat, et du sentiment général qu’il était temps de réveiller ce coin du stade, une bande de potes s’est donc lancée dans cette croisade. Mais en 2022, pas besoin de pape pour mobiliser les troupes : un groupe Snapchat suffit. « On a essayé l’année dernière, mais ça n’a pas pris. Cette fois, on est devenus dirigeants, et on a créé un noyau solide via un groupe Snapchat avant les premières réunions », rejoue Yanis. Tous issus des différents groupes de supporters, les potes, qui viennent de tout Marseille, partagent l’ambition de faire revivre le virage. Parmi eux, Kurt : « On en avait marre de voir le bas comme ça. Quand on voit le Sud, on veut pareil chez nous. À l’époque des Yankees, c’était LE gros virage, on veut reproduire ça. » Les quatre amis ont alors décidé d’en parler au président du CAOM, emballé par ce changement de cap incarné par la nouvelle génération : « Il est à fond derrière nous, il nous donne du budget, ça aide à se lancer. »

Né en 1987, le CAOM compte en effet 6000 membres, qui ont tous cotisé pour adhérer et s’abonner dans la zone gérée par le groupe. Grâce à cette somme, la nouvelle frange ultra du groupe dispose donc de quelques deniers pour lancer ses premières animations, et a pu s’offrir du matériel (sono, drapeaux, mégaphone, tambours…). Face à Nantes, le président, Patrick, a même eu une banderole à son honneur en guise de remerciements publics. Quelques jours plus tard, face au LOSC, le CAOM a déployé son premier tifo. Une œuvre raisonnable comparée à la démesure des autres groupes marseillais, mais une première symbolique. « On n’a pas encore de local à Marseille pour préparer des grands tifos, on commence tout juste », précise Kurt. Pour l’instant, cela se passe surtout dans les garages des membres, dont beaucoup d’ados. « On a des jeunes parce que leur passion est pure, ils aiment l’OM, ils ont de l’enthousiasme, apprécie Yanis. C’est plus joyeux, il y a toujours de la bonne humeur. Pour lancer un projet, c’est important. »

La nouvelle génération aux manettes

Du haut de ses 15 piges, Mathis incarne parfaitement cet état d’esprit. Malgré son âge, le minot endosse déjà une responsabilité capitale dans un groupe ultra : celle du tambour. « J’adore ! J’espère faire ça longtemps, malgré les courbatures du lendemain. Je m’investis à mort, au lycée je ne pense qu’à ça », explique-t-il en fixant son précieux au pied du perchoir, sous l’œil de son frère aîné et de son cousin. Très actif, Mathis ne se gêne pas pour donner des ordres et orchestrer la mise en place du matériel pendant le bâchage. À lui non plus, on ne lui parle pas d’âge. Avec son tambour, Mathis assiste Julien, qui vient lui de devenir papa. À 30 ans, ce pâtissier a été désigné capo, lui qui était autrefois membre des… Yankees : « C’est très dur de lancer des chants dans un bas de virage mort, les gens ont pris l’habitude de ne rien faire. Mais petit à petit, ça progresse, c’est difficile, mais je ne poserai pas le mégaphone même si on est 30 à chanter, c’est la passion qui parle. »

Casquette vissée sur le crâne, il prépare son perchoir : « J’essaye de m’accorder avec les trois groupes du haut quand je lance les chants, mais ce n’est pas toujours facile, il faut qu’on crée des automatismes », sourit celui qu’on surnomme évidemment Jul. Et le match dos au terrain ? Aucun problème : « Je mate un replay en rentrant. Tant que je vois le virage revivre, c’est le principal. » Après chaque rencontre, Julien est d’ailleurs celui qui récolte les éloges des autres groupes. Car que ce soit chez les Fanatics, Dodgers ou MTP, l’initiative prise par ces minots du CAOM est saluée de tous. Même par d’anciens Yankees – dont certains, qui étaient partis s’installer en haut du virage, redescendent peu à peu.

« Les Yankees ont compris. On n’est pas là pour faire mieux qu’eux, on ne joue pas dans la même catégorie. On ne peut pas comparer notre groupe d’amis à ce groupe historique », salue Yanis. Le CAOM « nouvelle génération » s’est même doté d’un compte Twitter face au buzz qu’a engendré son action en début de saison sur la Planète Mars. « On s’est dit qu’on allait surfer sur la vague pour attirer du monde », avoue Kurt. Peu à peu, la mayonnaise prend, et le bas du virage se réveille. Mais cela demandera du temps avant de refaire du Nord LE virage marseillais. « On ne trouve pas ça intimidant d’être face aux gros groupes, assure Kurt. Au contraire, ça nous motive encore plus. Un jour, on sera peut-être un groupe comme les autres. Le but final est de réunir tout le virage. Si le bas se remet à bouger, on aura réussi notre mission. »