- France
Canto appelle à la Révolution
Un événement passé un peu inaperçu. Et pourtant... Le camarade Cantona a fixé au mardi 7 décembre la date de la nouvelle révolution française ! En gros, « faire sauter le système en faisant sauter les banques ». Pas con, comme idée ? Juste un peu démago, surtout.
Bon, d’abord rappel des faits et des déclarations. C’est le quotidien anglais, The Guardian, qui a ressorti récemment une vidéo d’une interview de Canto réalisée le 6 octobre dernier alors qu’il tournait un film à Nantes et alors que les manifs contre le projet gouvernemental sur la réforme des retraites battaient leur plein. Au cours d’un entretien filmé pour le quotidien Presse Océan, Bolch-Eric dégoupille : « … Aller dans la rue, manifester aujourd’hui, c’est quoi ? Ils te retournent le truc contre toi (…) Puisque le système est bâti sur le pouvoir des banques, il peut être détruit par les banques (…) La révolution est très simple à faire, elle se fait dans les banques. Au lieu qu’il y ait 3 millions de gens avec leurs machins (geste de pancartes), ces 3 millions de gens, ils vont à la banque, ils retirent leur argent et le système s’écroule. C’est une vraie menace, la vraie révolution, et là on va nous écouter autrement » . La-Ré-vo-lu-tion ! Le mot est lâché ! En Mao méthodique, le Grand Cantonier précise : « S’il y a 20 millions de gens qui retirent leurs sous des banques le système s’écroule, la révolution se fait par les banques » . Eric se fait un peu hippy : « Pour parler de révolution, on va pas prendre les armes (…) On va pas aller tuer des gens (…) Pas d’armes, pas de sang, à la Spaggiari » . Enfin, Cantoguevara balance un petit taquet avec le sourire aux syndicats : « Les syndicats… faut leur donner des idées des fois » . Par la suite, un groupe Facebook (qui totaliserait plus de 13 000 membres) appelle à un « Cash Day » pour le mardi 7 décembre encourageant la population française à retirer son argent de la banque. Ce Facebook est baptisée « Révolution, le 7 décembre, on va tous retirer notre argent des banques » . Ouf !…
Eric-le-Rouge. C’est la couleur vive du polo qu’il porte pendant l’interview… Le malaise habituel : ceux qui pensent pour le Peuple. On rappelle la phrase de Lénine (ou bien était-ce Marx ?) : « Quand j’entends certains révolutionnaires parler du Peuple ou au nom du Peuple, je me demande toujours quel mauvais coup on lui prépare » . Ouais, facile… On sait bien que Canto n’est pas une lumière et qu’il ne se rêve pas en Fouquier-Tinville, procureur impitoyable de la Terreur. Ceci dit, les leçons politiques faites aux « gens d’en bas » et aux syndicats, c’est toujours un peu crispant. Surtout quand on est une personne très fortunée comme Eric, lequel Eric oublie que le fameux « système » qu’il rêve de voir s’écrouler, ce n’est pas que les banques. Ce sont aussi les multinationales, sociétés pas vraiment philanthropiques mais pour lesquelles notre canto n’hésite pas à assurer la promotion à travers des pubs hautement rémunératrices… Et puis tant qu’on y est, Canto : donne l’exemple ! Va vider ton compte, d’abord ! Et on suivra tous, c’est juré ! Parce qu’il est aussi là, le hic, cette rhétorique un peu méprisante : tout au long de son discours, Canto parle en gros des « gens » , des « ils » et des « eux » qui seraient bien inspirés de faire sauter le système. Pourquoi Eric n’emploie-t-il pas le « nous » ou le « on » collectif ? Il ne dit « on » qu’à la fin : « on va nous écouter autrement » . On résume : « faîtes ceci, faîtes cela et ON nous entendra » . Du début à la fin, Eric reste le grand Ordonnateur de la Révolution en marche, l’inspirateur initial puis le grand confiscateur final de la dynamique insurrectionnelle. Le Peuple n’étant que l’obéisseur docile et un peu demeuré qu’il convient de guider. Rien de bien nouveau sur l’éternelle condescendance gauchiste…
Autre travers gênant : la référence à Albert Spaggiari, le Cerveau du célèbre Casse du Siècle de Nice (1976), avec pillage de la banque en passant par les égouts et illustré par la formule demeurée célèbre, peinte sur les murs de la succursale : « Ni armes, ni violence » . Sauf que Alabert Spaggiari n’avait pas tellement le profil du Robin des Bois que Canto et beaucoup d’autres lui prêtent. Spaggiari était un dangereux malfaiteur, ancien de l’OAS, pas vraiment humaniste et encore moins « ami du Peuple » . C’est dit. Enfin, pour expédier une rapide leçon de finances, faire sauter le système bancaire, c’est évidemment précipiter les plus économiquement faibles dans les pires conditions de vie ! Ce sont « les pauvres » qui trinqueront en premier de la désorganisation du crédit et des banques. On rappelle à Eric que quand le système bancaire argentin s’est cassé la gueule, c’est le petit peuple des grandes villes qui s’est retrouvé dans la mouise, d’abord, et à la soupe populaire, ensuite… Enfin, plutôt que d’appeler à la Révolution en France, Canto serait bien inspiré d’aller faire ça dans le pays qu’il considère comme sa deuxième patrie : l’Angleterre. Qu’il aille à Londres ! Ca tombe bien : les mouvements sociaux et étudiants s’y multiplient ! Pas sûr, cependant, que Canto se fasse plébisciter : l’Angleterre déteste les nantis qui crachent dans la soupe.
Voilà. On ne va pas aller plus loin. Juste rappeler, à la décharge d’Eric Cantona, qu’il a une « conscience politique » vraiment sincère et qu’il est réellement concerné par les injustices sociales. Le souvenir d’un père qui a bossé toute sa vie comme infirmier dans un hôpital psychiatrique ? Oui, en plus aussi du souvenir de sa région natale, économiquement défavorisée (Marseille, les Bouches du Rhône) et d’amis de jeunesse dans la galère… Récemment, Eric Cantona s’est investi auprès de la fondation de l’Abbé Pierre dans un clip où il joue le rôle d’un agent immobilier véreux. C’est dans ce registre-là que Canto est le plus crédible.
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