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CAN, CHAN, beach soccer, jeunes : comment le Sénégal a conquis l'Afrique ?
La sélection locale a remporté le CHAN en Algérie, un an après le succès des joueurs d’Aliou Cissé au Cameroun lors de la CAN. Et dans les autres catégories, les résultats sont là. La preuve que le pays d’Afrique de l’Ouest, sans disposer d’énormes moyens, travaille bien.
En un an, presque jour pour jour, l’armoire à trophées de la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) s’est copieusement garnie d’une première CAN, d’une CAN de beach-soccer (la 7e) et d’un Championnat d’Afrique des nations, son dernier succès, le 4 février dernier à Alger contre les Fennecs locaux (0-0, 5-4 aux TAB), succédant au Maroc, double tenant du titre. Pour fêter l’évènement, les joueurs sénégalais et l’ensemble de la délégation ont été reçus en grande pompe au palais présidentiel par Macky Sall, le chef de l’État, remettant à chacun un chèque de 15 000 euros et une parcelle de terrain de 500 m² dans la région de Dakar en guise de prime.
Le succès des joueurs de Pape Thiaw, un ancien attaquant de Strasbourg, Istres et Metz notamment, est venu confirmer que le football sénégalais est un de ceux où on travaille le mieux en Afrique subsaharienne. « En 2022, la sélection A a été championne d’Afrique avec des binationaux, mais aussi avec des joueurs formés au Sénégal et qui, pour certains, y ont même commencé leur carrière professionnelle avant de partir en Europe (Sadio Mané, Cheikhou Kouyaté, Ismaïla Sarr, Bamba Dieng, Idrissa Gueye…) La victoire en Algérie, avec uniquement des locaux, est bien la preuve que le niveau du championnat sénégalais est bien meilleur que ce que certains peuvent en dire », assure Saer Seck, président de Diambars, une des meilleures académies africaines, et dont l’équipe première évolue en Ligue 1 sénégalaise. Avec Génération Foot – le centre de formation partenaire du FC Metz et d’où sont sortis Mané et Sarr –, Dakar Sacré Cœur, une autre académie liée à l’Olympique lyonnais, et plusieurs formations locales (Casa Sports, ASC Jaraaf, AS Douanes, US Gorée, Guédiawaye et Teungueth), Diambars était un des neuf clubs représentés en Algérie.
Les clubs misent sur la formation
Le championnat sénégalais est un des mieux structurés d’Afrique subsaharienne, « notamment parce qu’il est organisé selon un calendrier clair. La fédération est présidée par Augustin Senghor depuis 13 ans, qui travaille avec des collaborateurs qui sont également là depuis un certain temps. On a vu les choses se professionnaliser, c’est plus carré, et même s’il y a des choses à améliorer, on ressent au niveau des résultats les effets de cette stabilité », poursuit Saer Seck. Des championnats ont été créés dans les différentes catégories de jeunes, et cela s’est traduit par la qualification des sélections U17 et U20 pour la CAN. « C’est le Sénégal qui gagne. Trois trophées en un an, avec également des résultats intéressants chez les jeunes et les féminines, qui ont joué les quarts de finale de la CAN 2022 au Maroc, ce n’est pas rien. Moi, je ne dirais pas que le football est vraiment professionnel, mais plutôt semi-professionnel », intervient l’ancien international Alassane Ndour, quart-de-finaliste de la Coupe du monde en 2002. « Beaucoup de clubs ont des moyens financiers limités, les salaires versés aux joueurs sont souvent très modestes, les stades sont pour la plupart anciens. Malgré cela, les résultats sont bons, et je pense que cette victoire des locaux au CHAN va rendre le championnat plus attractif, que cela va attirer plus de monde dans les stades. »
Vers un exode ?
C’est aussi l’avis de Saer Seck, même si le président de Diambars sait qu’à terme, cela pourrait conduire de nombreux joueurs locaux vers l’exil. « Avec ce succès, les recruteurs européens notamment, mais aussi des clubs nord-africains, qui ont beaucoup plus de moyens, vont s’intéresser aux joueurs de notre championnat. Certains vont partir, et cela va obliger les clubs à continuer de travailler encore plus pour les remplacer. Au Sénégal, on a fait le choix d’investir sur la formation, et c’est une méthode qui porte ses fruits. » À condition que le dépeuplement ne soit pas trop massif, comme l’a déclaré à Sport News Africa Badara Sène, l’entraîneur de la Jeanne d’Arc Dakar, juste après le sacre d’Alger. « Cette victoire au CHAN n’aura sans doute pas d’impact économique pour nos clubs. Beaucoup de joueurs qui étaient au CHAN vont partir, et d’autres, qui n’y étaient pas, vont également en profiter pour s’exiler. Cela risque donc d’appauvrir notre championnat. » Au Sénégal, de nombreux dirigeants appellent l’État à davantage investir dans le football local, « alors que les efforts sont surtout dirigés vers les sélections nationales. C’est bien, mais les clubs ont besoin de plus d’argent, via des sponsors notamment », insiste Ndour. « Un véritable écosystème est nécessaire, car les clubs ne peuvent pas vivre des recettes guichet ou des droits télé, qui sont faibles, ou seulement des transferts. Le foot, cela crée des emplois directs et indirects, et l’État peut jouer un rôle important. »
Dimanche, lors de la réception des héros d’Alger, le chef de l’État Macky Sall a invité les secteurs public et parapublic à investir dans le football local. L’annonce n’est pas passée inaperçue. « On verra s’il y a des avancées. Si l’État va inciter de potentiels nouveaux partenaires économiques à mettre de l’argent dans le foot, via par exemple des incitations fiscales. On a déjà entendu ce genre de déclarations. Les politiques font de grands discours, de grandes annonces, mais en général, il ne se passe pas grand-chose derrière. Il y a toujours un peu de récupération dans ces cas-là, mais les promesses sont très rarement tenues », ricane, un brin fataliste, ce dirigeant d’un club sénégalais. Comme si c’était le genre des politiques…
Par Alexis Billebault