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CAN 2023 : le pays des Éléphants passe la vitesse supérieure

Par Julien Duez, en Côte d’Ivoire
11 minutes

Alors que la 34e Coupe d’Afrique des nations débute ce samedi en Côte d’Ivoire, le pays des Éléphants entend bien capitaliser sur ce qu’il appelle déjà «le meilleur tournoi jamais organisé » pour en faire profiter la société dans son ensemble. Simple vœu pieu ou véritable motif d’espérance ? Éléments de réponse sur place.

Le Stade Félix-Houphouët-Boigny, dans le quartier du Plateau d'Abidjan.
Le Stade Félix-Houphouët-Boigny, dans le quartier du Plateau d'Abidjan.

« Je suis vraiment heureux qu’il fasse ce temps-là, ainsi vous aurez la meilleure preuve que la pelouse est désormais parée à toute épreuve ! » Dans son costard de président de la Fédération ivoirienne de football (FIF) tiré à quatre épingles, Yacine Idriss Diallo affiche une mine ravie malgré la pluie tropicale qui tombe avec fracas en arrière-plan. On est à Ebimpé, un village des faubourgs d’Abidjan où, en 2020, le stade olympique Alassane-Ouattara (60 000 places) est sorti de terre grâce à un financement chinois, « au nom de la coopération sino-ivoirienne », dixit celui qui, l’an passé, a triomphé lors du scrutin qui l’a porté au sommet de la faîtière du football pachydermique.

Si Diallo se montre aussi satisfait en cet après-midi du mois de décembre, c’est parce qu’il sait que le match amical Côte d’Ivoire-Mali, disputé en septembre dernier, est encore dans toutes les mémoires et pas pour les bonnes raisons. Ce jour-là, des trombes d’eau rendent le rectangle vert tout bonnement impraticable et forcent l’arbitre à abandonner la partie à la pause. L’événement fait tache, pour ne pas dire qu’il constitue un camouflet pour le Comité d’organisation (CoCan), à un peu plus d’une centaine de jours du coup d’envoi de la CAN, pour laquelle près d’1,5 million de visiteurs sont attendus.

Idriss Diallo, président de la FIF, au stade d’Ebimpé.
Idriss Diallo, président de la FIF, au stade d’Ebimpé.

Alors, quand le monde entier constate que la pelouse du fer de lance des stades nationaux se détrempe comme une vulgaire serviette-éponge qui aurait coûté près de 2 millions d’euros, on applique les grands remèdes. Comprendre : remaniement gouvernemental, remplacement du ministre des Sports et supervision du dossier CAN confiée au nouveau Premier ministre, Robert Beugré-Mambé, déjà en charge des Jeux de la Francophonie en 2017.

On a bossé 20 heures sur 24 pendant une semaine. Depuis, on a eu de gros orages qui nous sont tombés dessus, mais pas une seule flaque !

Didier Pascal, géant des espaces verts

Depuis, comme par magie, ou pas, tout s’est arrangé. C’est Didier Pascal, directeur de travaux chez Gregori International, une boîte spécialisée dans l’aménagement d’espaces verts depuis un demi-siècle, qui explique comment son équipe et lui ont sauvé les meubles après avoir été appelés à la rescousse. « La pelouse n’avait pas assez de pente et le sol manquait de perméabilité, ce qui a créé des flaques. On a donc mis en place des fentes de suintement, nettoyé, resemé du gazon et rattrapé la planimétrie de la pelouse, décrit, le plus simplement possible, ce Français à l’accent chantant. On a bossé 20 heures sur 24 pendant une semaine. Depuis, on a eu de gros orages qui nous sont tombés dessus, mais pas une seule flaque ! » Ouf, l’honneur du mastodonte sino-ivoirien à 250 millions d’euros est sauf, et Akwaba, la mascotte de la compétition, va pouvoir faire honneur à son blase qui, en langue akan, signifie… « Bienvenue » !

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Près de neuf ans pour préparer les festivités

Plus tôt dans la matinée, dans la ruche qui sert de siège au CoCan, à 20 kilomètres d’Ebimpé, le président du Comité d’organisation, François Amichia, n’a qu’un mot à la bouche : « hospitalité ». « C’est la première fois que la Côte d’Ivoire a déposé sa candidature pour organiser la CAN. En 1984, notre pays avait accueilli le tournoi au pied levé pour remplacer le Malawi qui n’avait pas été en mesure de le faire », rappelle-t-il en guise d’introduction. Une autre époque lors de laquelle le tournoi ne rassemblait que huit nations et où les matchs ne se disputaient que dans deux stades. Quarante ans plus tard, les nations participantes sont 24, et le président de la république Alassane Ouattara a martelé l’objectif à l’envi : cette CAN doit être « la meilleure jamais organisée ».

« Pendant un mois, tous les regards seront tournés vers nous et le million et demi de visiteurs que nous attendons découvrira un pays à la fois accueillant et en plein développement. Notre objectif n’est pas de gagner de l’argent, mais de repositionner la Côte d’Ivoire sur la carte », reprend Amichia, qui confirme toutefois le chiffre selon lequel l’organisation du tournoi a coûté environ 1,5 milliard de dollars au pays depuis que la CAF lui a attribué l’édition 2021 en 2014. Avant de la repousser de deux ans à la suite des déconvenues vécues par le Cameroun, titulaire de l’édition précédente, entre retards colossaux sur les travaux entrepris et pandémie de Covid-19. Finalement, avec le dernier report de six mois ordonné par la CAF pour éviter de jouer en pleine saison des pluies, la Côte d’Ivoire a bénéficié de près de neuf ans pour préparer les festivités. Concrètement, sur le plan sportif, cela se matérialise par la rénovation de deux stades historiques à Abidjan et à Bouaké, la deuxième ville du pays, et la construction de quatre nouvelles enceintes. Celle d’Ebimpé donc, mais aussi à Yamoussoukro, la capitale administrative, Khorogo, près de la frontière avec le Burkina Faso, et San Pedro, sur la façade Atlantique.

Le stade Charles-Konan-Banny de Yamoussoukro, 20 000 places, accueillera notamment le choc entre le Sénégal et le Cameroun.
Le stade Charles-Konan-Banny de Yamoussoukro, 20 000 places, accueillera notamment le choc entre le Sénégal et le Cameroun.

Six stades pour six groupes donc. En ajoutant 24 terrains d’entraînement, un par pays participant, les concurrents de cette CAN 2023 seront comme des coqs en pâte. Un peu mégalo ? Pas pour le président Diallo : « Pendant 15 ans, la Côte d’Ivoire n’a pas eu de stade moderne, et la sélection devait aller jouer ses matchs à l’étranger. À présent, ce sera l’inverse. Le pays va devenir un hub sportif dans la sous-région, et les voisins qui ne disposent pas de terrains homologués par la CAF seront les bienvenus chez nous. De cette façon, la Côte d’Ivoire s’imposera comme une nation qui pratique la diplomatie par le sport. »

Pendant 15 ans, la Côte d’Ivoire n’a pas eu de stade moderne et la sélection devait aller jouer ses matchs à l’étranger. À présent ce sera l’inverse. Le pays va devenir un hub sportif dans la sous-région.

Idriss Diallo, président de la FIF

De belles paroles qui ne suffisent pas à semer le doute selon lequel cette offre semble un peu courte pour rentabiliser autant d’enceintes dont la capacité oscille entre 20 000 et 60 000 places. Idriss Diallo précise cependant que le stade d’Ebimpé accueillera au moins une dizaine de dates FIFA chaque année. François Amichia, pour sa part, ajoute que « les terrains d’entraînement serviront aux équipes scolaires, féminines et de D3. Le nombre de licenciés ne cesse d’augmenter, et nous devons y faire face en leur proposant des infrastructures de qualité ». Le championnat national devrait lui aussi bénéficier de ces investissements massifs. « Actuellement, 15 des 16 clubs de Ligue 1 jouent à Abidjan. Le club d’Odienné (dans le nord du pays, NDLR), par exemple, fait à peine 200 spectateurs par match en moyenne, contre 5000 pour l’équipe de D3 qui évolue là-bas, cite Idriss Diallo. Après la CAN, ces clubs pourront retourner dans leurs bases. Ce sera bénéfique pour les supporters locaux, et cela permettra de redonner de l’engouement autour de la compétition. »

Des éléphants, mais pas blancs

En parallèle à ses stades, la Côte d’Ivoire a tenu à ce que la CAN serve d’accélérateur pour l’érection d’infrastructures non sportives. À commencer par l’hébergement des sélections participantes. « Nous avons construit des cités-CAN dans chaque ville hôte, se félicite François Amichia. Il s’agit de complexes immobiliers qui s’inspirent du village olympique et dans lesquels on retrouve des villas de 400 mètres carrés qui peuvent accueillir une délégation de 40 personnes. » Certains pays, comme le Maroc et l’Algérie, ont cependant décliné l’invitation, préférant se loger par leurs propres moyens dans des hôtels plus spacieux et, surtout, plus éloignés de leurs adversaires. Quoi qu’il en soit, les sept hectares de chaque cité-CAN seront, après la compétition, transformés en logements privés ou en hôtel quatre étoiles. La décision n’est pas encore prise, mais elle traduit la volonté d’éviter la naissance d’éléphants blancs après le tournoi, quand bien même celui-ci se déroulerait au pays des pachydermes.

La cité-CAN de Bouaké. La deuxième ville du pays est désormais accessible en quelques heures depuis Abidjan grâce à une autoroute à péage flambant neuve.
La cité-CAN de Bouaké. La deuxième ville du pays est désormais accessible en quelques heures depuis Abidjan grâce à une autoroute à péage flambant neuve.

Au-delà des belles paroles, force est de constater qu’en neuf ans, la Côte d’Ivoire a eu le temps de réaliser des projets concrets. Prenons l’exemple de La Côtière. Cette voie rapide permet de parcourir en cinq heures les 350 kilomètres qui séparent Abidjan de la cité balnéaire de San Pedro (dont le stade porte le nom de Laurent Pokou), contre douze avant rénovation. Et pour rejoindre Bouaké, via Yamoussoukro, les automobilistes roulent désormais sur une autoroute à péage flambant neuve. Au cœur de la région du Gbêkê, Yaya Koné, directeur de cabinet de la mairie, ne cache pas sa joie face à ce chantier désormais terminé et qui permet à sa cité, considérée comme un nœud commerçant dans la sous-région, d’être désormais directement connectée à la capitale économique. « Je suis parti ce matin d’Abidjan à six heures pour vous accueillir et je suis arrivé à temps. Avant, ç’aurait été impossible », lâche l’édile, sous ses lunettes fumées. Dans les hauteurs de Bouaké, le centre hospitalier régional, lui, est déjà prêt à accueillir ses premiers patients. Construit, avec cinq autres établissements, grâce à un investissement global d’environ 305 millions d’euros par un consortium britannique, il permettra au plus d’un million d’habitants d’une ville en pleine expansion de bénéficier de soins de qualité sans devoir se déplacer jusqu’à Abidjan.

Abidjan justement. Bâtie sur la lagune Ebrié, sa population atteint 5,5 millions d’habitants, un chiffre qui devrait doubler d’ici la fin de la décennie. Autant dire que les chantiers liés aux transports y sont légion pour tenter de fluidifier son trafic automobile, presque aussi célèbre que le délicieux garba, ce plat de poisson frit dont on se délecte dans les maquis de toute la ville. Dans le quartier du Plateau, près de l’historique stade Félix-Houphouët-Boigny, le pont Alassane-Ouattara (encore lui) qui relie « le Manhattan d’Afrique de l’Ouest » à l’arrondissement résidentiel de Cocody a été inauguré en août dernier. Le Quatrième pont qui, lui, rejoindra le populaire Yopougon, est entré dans la phase finale de sa construction. Quant à la rocade Y4, qui s’inspire du périphérique parisien, son tronçon principal sera accessible au coup d’envoi de la CAN. Un semi-échec compensé par une vaste campagne encourageant le covoiturage et l’usage des transports en commun pendant le tournoi. Le reste suivra plus tard. « À l’impossible, nul n’est tenu », se défend-on au ministère des Transports, selon lequel il ne sert à rien de « s’accrocher au fétichisme des dates ». Une manière polie de justifier les retards considérables pris par le chantier du métro d’Abidjan, le tout premier de la sous-région, dont la concession a pourtant été signée en 2015 et dont on peine à percevoir une avancée concrète, hormis quelques travaux de terrassement çà et là. « Dieu fera le reste », a peint un ouvrier sur le pare-brise de son engin. Un signe ?

Sur un chantier de terrassement du futur métro d’Abidjan, dans le quartier commerçant d’Adjamé.
Sur un chantier de terrassement du futur métro d’Abidjan, dans le quartier commerçant d’Adjamé.

« Il a fallu procéder à de nombreux chantiers de déguerpissement dans certains quartiers. Cela prend du temps car il faut négocier patiemment avec les populations. Mais c’est normal, on parle d’un projet colossal : la ligne s’étendra sur un axe Nord-Sud de 37 kilomètres et transportera 500 000 passagers par jour », justifie ce fonctionnaire du ministère qui reconnaît que « la CAN a servi de point de non-retour dans le démarrage concret des travaux ». En attendant, le coût du projet serait proche du milliard et demi d’euros, soit près du triple de la mise de départ. Quant à la mise en service, elle est attendue en 2027. Théoriquement.

Oui, la Coupe du monde, on y pense, c’est clairement une ambition.

D’ici là, la Côte d’Ivoire se vantera peut-être encore d’avoir organisé la meilleure CAN de tous les temps et se permettra, peut-être, de rêver encore plus grand pour la suite. « Oui, la Coupe du monde, on y pense, c’est clairement une ambition, ose Idriss Diallo. Aujourd’hui, plus aucun pays ne peut l’organiser seul, alors pourquoi pas en Afrique ? Le Maroc l’a bien chopée en 2030 grâce à l’Europe, la Côte d’Ivoire pourrait donc s’associer avec d’autres pays comme le Sénégal pour l’accueillir dix ans plus tard par exemple. » Dans un pays en plein boom économique, il n’est effectivement pas interdit de suivre un développement à la hauteur de ses ambitions. Tout cela vaudrait – presque – la peine de passer à côté d’une troisième étoile sur le maillot lors de la CAN de l’hospitalité. À condition que le pays en sorte autrement gagnant, bien entendu.

Qui sème l’Evann récolte la tempête

Par Julien Duez, en Côte d’Ivoire

Photos : JD, pour So Foot

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