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Dala belle étoile
Deuxième meilleur buteur de la CAN (4 buts), Gelson Dala se régale sur les pelouses ivoiriennes. Comme sa sélection, l'attaquant angolais ne s'interdit rien. Pas question de se mettre des freins quand on vient d'aussi loin.
Un temps que les moins de quatorze ans ne peuvent pas connaître. L’Angola est en quarts de finale de la Coupe d’Afrique des nations pour la troisième fois de son histoire, après 2008 et 2010. Loin d’être une évidence quand on sait que les Palancas Negras ont échoué à se qualifier pour les éditions 2015, 2017 et 2021, et qu’elles n’avaient plus gagné le moindre match à la CAN depuis le 22 janvier 2012, face au Burkina Faso. La 28e nation africaine au classement FIFA réalise un retour fracassant dans le Big 8 continental avec trois victoires, un nul et déjà neuf buts marqués. La moitié est venue de Gelson Dala, l’un des joueurs frisson du tournoi. Un attaquant sans complexe, à l’image de son équipe.
Dala Land
Muet en 2019, année où l’Angola avait quitté le tournoi fissa en ne marquant qu’une fois en trois matchs, Dala affiche déjà quatre buts, comme l’illustre Manucho en 2008. Auteur d’un doublé contre la Mauritanie, il a remis ça en huitièmes de finale face à la Namibie (3-0). Bien placé dans les 5,50 mètres, il a conclu un beau mouvement collectif du plat du pied, avant de placer un puissant coup de casque sur coup franc. Le numéro 10 a conclu son festival en adressant une passe décisive pour Mabululu dans la profondeur. Simple, mais diablement efficace. Ça méritait bien que Gilberto vienne lui embrasser le pied droit.
📸- Gilberto kissing Gelson Dala’s boot after scoring his second goal. pic.twitter.com/2yWG4kqC9b
— 𝓞𝓫𝓾𝓷𝓪𝓼𝓴𝓾 (@senadeski) January 27, 2024
Son début de tournoi lui a offert une place dans l’équipe type de la phase de poules, à côté d’Emilio Nsue et Ismaïla Sarr. « À un moment ou un autre, il pourrait retourner en Europe, confie Luís Martins, son coach quand il jouait avec la réserve du Sporting, à Record. C’est un joueur rapide, très impliqué à l’entraînement, qui a envie d’évoluer et il a prouvé sa qualité. Il a beaucoup progressé. Quand on le voit dans l’équipe d’Angola, on se rend compte que sa connaissance tactique du jeu est beaucoup plus grande maintenant. » Sur sa lancée, Dala, 27 ans, est d’ailleurs devenu le quatrième meilleur buteur de l’histoire de sa sélection avec 20 pions en 38 capes, derrière Fabrice Maieco « Akwá » (39), Flávio Amado (34) et Manucho (22). Un rêve éveillé, même si l’intéressé n’est pas du genre à s’enflammer. « Les rêves dirigent la vie, mais il faut avoir les pieds sur terre et la tête à l’endroit, philosophait-il dans un entretien avec le Correio da Manhã. Si vous avez la tête dans le ciel, vous risquez de faire des cauchemars. » Et là-dessus, il a déjà donné.
Taxi, crampons et macchabées
Avant de passer pro au Primeiro de Agosto et de s’installer dans un appartement du centre de Luanda, la capitale, le jeune homme vivait chez ses parents, dans un quartier sensible. « Il y avait beaucoup de voyous. Pour que je puisse aller m’entraîner en toute sécurité, ma mère devait appeler un taxi et me réveiller avant six heures du matin. C’était l’heure la plus calme de la journée dans le quartier, explique-t-il à Mais Futebol. Parfois, je quittais la maison et je voyais des morts sur le pas de la porte. » Luanda est tristement réputée pour son taux de criminalité élevé. Le ministère des Affaires étrangères britannique conseille carrément de ne pas s’y promener, « surtout pas seul », et de ne pas utiliser un téléphone portable dans les lieux publics.
Selon la Banque mondiale, la moitié de la population du pays vit en dessous du seuil de pauvreté. Gelson Dala a lui-même grandi dans une famille très modeste, avec six frères et une sœur. Ce qui aurait pu lui coûter son avenir footballistique, quand il a voulu signer au Primeiro de Agosto. « Ma famille n’avait pas l’argent requis pour s’occuper des documents nécessaires à mon enregistrement. Je m’entraînais déjà avec les jeunes, le coach m’aimait bien, mais je n’avais pas de papiers. J’ai dû abandonner et je suis retourné dans mon quartier. Ce n’est que deux ans plus tard que mon frère Elísio, qui avait déjà d’autres conditions économiques, a réussi à m’aider. »
Gelson Dala header: perfect 🇦🇴#TotalEnergiesAFCON2023 | @faffutebol pic.twitter.com/4qcCTwSaHW
— CAF (@CAF_Online) January 28, 2024
Son grand frère justement, désormais retiré des terrains, a montré la voie en se frayant un chemin jusqu’en sélection. Gelson a suivi ses traces, mais a fait encore mieux en réussissant à s’exporter. Meilleur buteur du championnat national en 2016, il tape dans l’œil du Sporting CP. À Lisbonne, il brille aux côtés de Rafael Leão au sein de la réserve et se voit ponctuellement ouvrir les portes de l’équipe première, dirigée par Jorge Jesus. « Pour quelqu’un qui venait d’Angola comme moi, c’était important de trouver un entraîneur aussi méthodique que lui. Je manquais d’apprentissage tactique et Jesus a joué un rôle fondamental dans ce domaine. »
Le technicien portugais n’a cependant pas réussi à faire évoluer le joueur autant qu’il l’aurait souhaité. « Il m’embêtait tous les jours à cause de mes crampons. Je glissais beaucoup à l’entraînement, c’est vrai. Je venais sans crampons alu, et il devenait fou. Je ne me sentais pas bien avec l’aluminium, c’était lourd. À la fin de l’entraînement, il me faisait toujours la même menace : “Si tu ne viens pas t’entraîner demain en aluminium, crois-moi, je te ramène à l’ASA.” Tout le monde riait, moi encore plus. Jesus pensait que je venais de l’ASA (Atlético Sport Aviação), mais je venais de 1º de Agosto. Bien sûr, je n’ai jamais eu le courage de le corriger. » Dala a fait deux petites apparitions avec l’équipe A en 2017, avant d’aller chercher du temps de jeu à Rio Ave, où il a planté 20 buts en 84 matchs. Installé au Qatar depuis 2021, il s’éclate à Al Wakrah (39 buts en 62 rencontres). Il a même fini troisième meilleur buteur du championnat la saison passée. Ses états de service en ont logiquement fait un homme qui compte. « En Angola, je ne peux même pas marcher dans la rue », rit-il. Ça ne risque pas de s’arranger au vu de ce qu’il réalise depuis le mois de janvier.
Par Quentin Ballue