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CAN 2019 : le bruit du silence
Plutôt à la hauteur des espérances qui lui sont usuellement prêtées sur le terrain, cette CAN cuvée 2019 est en revanche une nouvelle déception côté tribunes où, exception faite de l'Égypte, les sélections du continent ont rassemblé des audiences pour le moins clairsemées. Un grand vide qui est le résultat d'une addition de décisions économiques, politiques et sportives.
Vingt-huit vols spéciaux, transportant 4800 fans des Fennecs. Voilà le pont aérien exceptionnel qu’a mis en place la Fédération algérienne, pour que sa sélection remporte la bataille des tribunes qui l’opposera au Sénégal, en finale de la CAN, ce vendredi. Une mesure qui devrait participer à ambiancer un Stade international du Caire qui a souvent sonné creux ces dernières semaines. L’enceinte de 74 000 places aura seulement résonné de cris et de chants incessants lorsque l’Égypte, par ailleurs éliminée à la surprise générale par l’Afrique du Sud en huitièmes de finale, se produisait devant ses supporters. Sinon ? Rien, ou alors si peu.
Ambiance, es-tu là ?
Le 10 juillet, à l’heure de commencer les quarts de finale de la CAN et de tirer un premier bilan de l’engouement populaire que la compétition a suscité dans les stades égyptiens, le constat était déjà sans appel : les enceintes sportives sonnent désespérément creux. « Tout était pourtant bien parti lors du match d’ouverture ayant opposé l’Égypte, pays organisateur, au Zimbabwe. Les travées du stade du Caire étaient bondées, et la rencontre s’est déroulée à guichets fermés. Mais vingt-quatre heures plus tard, lors du match Ouganda-RDC, tout a basculé dans le dérisoire : à peine 1000 supporters et quelques vuvuzelas miaulaient dans une enceinte de 74 000 places, racontait un témoin à France Info…Il n’est pas rare d’assister à des matchs dont l’affluence dépasse à peine les 4000 spectateurs… »
Un constat qui s’est vérifié par la suite, lors de la plupart des matchs de la compétition. Si l’élimination prématurée de l’Égypte n’aura pas aidé à remplir les stades, elle ne peut à elle seule constituer une explication satisfaisante. Évidemment, cette CAN égyptienne paie la décision tardive de la Confédération africaine de football de retirer l’organisation du tournoi au Cameroun, où la compétition était initialement prévue. Compte tenu du calendrier, impossible, de fait, de fignoler l’organisation du tournoi, alors que les délégations de supporters de sélections étrangères ont pour certaines été découragées par les coûts logistiques supplémentaires qu’implique cette délocalisation tardive au pays des Pharaons.
Places hors de prix
Le comité d’organisation de la CAN 2019 n’aura de toute façon pas trop pensé à préserver les bourses parfois légères des supporters, le prix des billets décidé pour les matchs du tournoi ayant fait scandale en Égypte. Les places des matchs de phases de groupes se sont en effet vendues à 100, 300 ou 500 livres égyptiennes, soit 5, 15 et 26 euros. Des tarifs évidemment jugés excessifs, dans un pays où le salaire minimum équivaut à 60 euros par mois. Pire, ces tarifs n’étaient pas applicables aux matchs de l’Égypte, où les tickets étaient encore un peu plus onéreux : les prix s’échelonnaient au départ de 200 livres égyptiennes (environ 10 euros) à 600 livres (30 euros) pour les matchs des Pharaons, dont les supporters, mécontents, ont reçu le soutien de Mohamed Salah. Pour calmer la grogne populaire, le comité d’organisation de la CAN se décidait finalement à « réduire le prix des billets de troisième classe pour les matchs de l’Égypte dans la première phase de la compétition de 200 à 150 livres (environ 10 à 8 euros) » , un prix toujours élevé pour le fan égyptien moyen.
Le stade de dissidence
Évidemment insuffisant pour donner un réel coup de fouet à l’ambiance dans les stades, alors qu’il ne fallait probablement pas trop compter sur une aide des autorités égyptiennes pour ramener du peuple et de la joie dans ses enceintes sportives. Formidable outil de contestation politique, notamment lors de la révolution égyptienne de 2011, le stade égyptien est devenu zone interdite depuis 2012 et les émeutes tragiques de Port-Saïd, qui ont fait 72 morts. Depuis, les matchs de championnat se jouent à quelques exceptions près à huis clos, alors que le président égyptien, le très autoritaire Abdel Fattah al-Sissi, est parvenu au pouvoir en 2014. Cette CAN en Égypte devait constituer un symbole éclatant de la stabilité de sa gouvernance, alors que ce dernier avait fait approuver par référendum fin avril une révision constitutionnelle controversée. Cette dernière prolonge entre autres choses son deuxième mandat de quatre à six ans, l’ex-maréchal pouvant par ailleurs se représenter à un troisième mandat, de six ans, lors de l’élection de 2024.
Pas surprenant, dans un tel contexte, de voir le pouvoir égyptien bien s’accommoder des stades vides de la CAN, alors que les ultras d’Al-Ahly et du Zamalek SC, les deux grands clubs du Caire, ont par le passé montré leur capacité à mobiliser les foules pour tancer la corruption et l’incompétence des élites politiques et économiques. Pour être sûr de ne pas avoir de mauvaises surprises, le gouvernement égyptien a déployé des milliers d’agents de sécurité, et, comme la Russie lors du Mondial 2018, a mis en place un système de Fan ID, des cartes d’identification nécessaires aux fans pour entrer dans les stades et qui sont refusées aux individus aux comportements jugés à risque, comme les ultras, bien entendu. Pour le reste, le président Al-Sissi faisait probablement confiance à la sélection égyptienne pour faire monter favorablement en température l’opinion publique locale. « Si l’équipe égyptienne gagne, cela va donner du prestige à M. Sissi, expliquait le sociologue Saïd Sadek avant le début du tournoi. Il va pouvoir dire : « Regardez, nous sommes sur le bon chemin, l’Égypte se stabilise. » » Un raté sur toute la ligne. Un peu comme l’ambiance qui anime les stades de cette CAN, qui mérite pourtant une atmosphère à la hauteur de son standing continental.
Par Adrien Candau
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