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Camoranesi : « Avec la suède, Zlatan n’est pas très effrayant »
Champion du monde en 2006 avec l’Italie, Mauro Camoranesi suit toujours les performances de son pays d’adoption. Et malgré l’age, l’Argentin de naissance est toujours saignant.
Qu’est-ce que t’as pensé de l’Italie contre la Belgique ? Débuter par une victoire, c’est important. L’Italie a gagné comme elle le fait toujours, en jouant à sa manière, mais elle mérite largement sa victoire contre une Belgique dont on attend toujours beaucoup, mais qui malheureusement a du mal à confirmer tout son potentiel dans ce genre de match.
Qu’est-ce que tu veux dire par « elle a gagné comme toujours » ?
On parle beaucoup de possession de balle, mais l’Italie, c’est l’antithèse de tout ça. Historiquement, l’Italie n’a jamais fait de la conservation de la balle une priorité. C’est ce qu’on a vu face aux Belges. Aujourd’hui, tout le monde analyse la possession de balle, à travers une multitude de statistiques comme si c’était la seule chose importante. Plus personne ne s’intéresse aux équipes comme l’Italie qui, par tradition, n’ont pas le monopole du ballon.
Il est possible de jouer bien sans nécessairement avoir tout le temps le ballon selon toi ? Bien sûr. Jouer bien, ça signifie avoir un plan de route. Certaines équipes ont une philosophie axée sur le ballon, et d’autres comme l’Italie pense le football sans lui. Avoir le ballon ou non, peu importe en vérité, le plus important, c’est d’avoir un plan, et de s’y tenir. C’est ça, jouer bien.
Est-ce que la victoire sur la Belgique confirme la relève générationnelle de l’Italie selon toi ? Elle a commencé à se faire à partir de 2010. En 2012, l’Italie s’est hissée jusqu’en finale de l’Euro et, en 2014, alors que la relève devait se concrétiser, l’équipe n’a pas fait une bonne Coupe du monde. Je pense que cette déconvenue a été digérée, même si l’équipe actuelle est un peu étonnante : d’un côté, tu as des joueurs comme Thiago Motta, et de l’autre, des types plus jeunes, comme Pellè ou Candreva (en réalité Pellè et Candreva ont respectivement 30 et 29 ans, ndlr). Des jeunes comme eux, il y en a, mais pas beaucoup. Regarde la défense et le gardien : ils sont tous expérimentés et jouent tous à la Juventus. Pour moi, l’Italie de cet Euro n’est pas dans la relève générationnelle, elle est dans l’improvisation.
Depuis sa victoire contre les Belges, beaucoup affirment que l’Italie est désormais l’une des grandes favorites. Tu en penses quoi ?
L’Italie, généralement, n’a jamais été favorite de quoi que ce soit. Si on observe les effectifs et les styles de jeu des autres sélections et qu’on les compare avec l’Italie, on ne peut pas dire que cette équipe soit favorite. Mais l’Italie sera toujours l’Italie, avec tout ce que ça signifie. L’autre jour, la Belgique était clairement favorite, et regardez ce que les Italiens en ont fait… Au-delà d’avoir des noms ronflants, il faut de l’orgueil et de la fibre compétitive. Et ça, l’Italie en a à revendre.
Tu as joué avec Buffon en sélection et à la Juve. C’est par défaut ou parce qu’il est toujours bon qu’il est là, selon toi ? Il est là parce que c’est le meilleur. Il va falloir du temps avant qu’un gardien comme lui réapparaisse. Il y a beaucoup de bons gardiens dans le monde, mais personne n’a son niveau. Dans son cas, on ne peut pas dire qu’il y a un problème de relève générationnelle, tout simplement parce qu’il est unique. On ne remplace pas les cracks comme ça… C’est comme si on disait qu’il n’y a pas de relève pour Messi. C’est normal qu’il n’y en ait pas ! Il est unique ! Bah, pour Buffon, c’est pareil. Buffon, c’est le Messi des gardiens.
C’est le meilleur gardien de l’histoire selon toi ? Je ne sais pas si c’est le meilleur, mais je n’ai aucun doute sur le fait que ce soit le plus grand portier de ces 20 dernières années.
L’ère post-Pirlo peut être problématique pour l’Italie ?
Andrea a été un joueur très important pour la Nazionale, il est inégalable, mais il me semble que Verratti, qui est un joueur merveilleux, peut reprendre le flambeau tranquillement. Je ne pense pas qu’il existe un avant et un après-Pirlo. C’est clair qu’il est difficile à remplacer, mais les grands joueurs comme lui, comme Buffon, comme Nesta, Cannavaro, Del Piero ou Totti le sont aussi. La sélection italienne était composée de grands noms, et c’est un peu moins le cas aujourd’hui. Il va falloir qu’elle compose avec ça désormais, et pour l’heure, elle le fait très bien, parce que c’est une équipe qui continue à être très compétitive.
L’histoire, la tradition du football italien, c’est quelque chose qui peut influencer ses matchs ? L’Italie a démontré face à la Belgique qu’elle continue à être attachée à sa tradition. Les Belges ont des grands joueurs, qui jouent tous dans des grands clubs. C’est une équipe plus attractive que l’Italie sur le papier. Mais malgré tout, c’est l’Italie qui a gagné. L’Italie sait jouer ce type de chocs parce que c’est dans son ADN. Traditionnellement, quand elle est dos au mur, la sélection italienne répond toujours. La Belgique n’a pas cette fibre compétitive, cette obligation historique de gagner, et c’est sans doute pour cela qu’elle a du mal à franchir un cap.
Quel est ton favori de l’Euro ? Ça va se jouer entre les champions du monde allemand, le tenant du titre espagnol et la France, le pays organisateur. Il ne va pas y avoir de grandes surprises.
Tu as été coéquipier et rival d’Ibrahimović. Quel souvenir tu en gardes ? C’est un joueur très difficile à contrôler pour ses adversaires, mais attention, il y a le Zlatan qui joue en club, et le Zlatan qui joue avec la Suède. Ce ne sont pas les mêmes joueurs. En club, le type de jeu développé le favorise beaucoup ; en sélection, c’est beaucoup plus compliqué pour lui. C’est un joueur respectable, qui peut faire la différence à n’importe quel moment, mais lorsqu’il joue pour sa sélection, il n’est pas très effrayant, ça je peux l’assurer. Ce n’est pas un joueur qui inspire la crainte chez les défenseurs lorsqu’il porte le maillot suédois.
Comment tu vois le match Italie-Suède ?
Ça va être très équilibré, très fermé, parce que la Suède défend très bien. La dernière fois que ces deux équipes se sont affrontées, j’étais sur le terrain, et on a fait match nul. Jouer contre la Suède, ce n’est jamais simple, et si l’Italie n’arrive pas à marquer rapidement, elle souffrira.
Depuis 2006, on a l’impression que la sélection italienne est en pleine déprime… On ne rétro-pédale pas et on n’avance pas, on est un peu embourbé à vrai dire. Et le pire, c’est qu’on continue malheureusement à stagner.
Ces dernières années, Lippi, Donadoni, Prandelli et enfin Conte ont défilé sur le banc de touche italien. C’est ce qui explique qu’elle stagne autant ? Je ne sais pas, mais en 2012 sous Prandelli, on est allés jusqu’en finale de l’Euro. À l’époque, j’avais l’impression qu’on avançait. Mais non. Au Mondial 2014, cette équipe-là n’est même pas sortie des poules, ça a créé de la confusion. Il y a eu trop de résultats en dents de scie, dans un laps de temps relativement court. Il faut que l’Italie profite de cet Euro pour se stabiliser.
Quel joueur te ressemble aujourd’hui ? Aujourd’hui, ils veulent tous ressembler à Cristiano Ronaldo, personne ne veut défendre. Moi, je faisais les deux. Payet me ressemble un peu, même s’il défend moins bien qu’il n’attaque. En réalité, il ressemble plus à Pires qu’à moi.
Avant de jouer pour l’Italie, tu as bien failli choisir l’Argentine…En vérité, je n’ai pas eu de choix à faire. L’Argentine n’a jamais rien fait pour me voir avec le maillot albiceleste.
Mais Bielsa, à l’époque, avait pourtant essayé de te convaincre, non ? Oui, mais j’avais déjà donné ma parole à l’Italie.
Au final, tu es devenu champion du monde. En France, tout le monde se souvient de l’épisode Zidane-Materazzi. Quel souvenir tu en gardes ? C’est anecdotique… Je préfère me souvenir des couleurs, des nerfs qui étaient les nôtres. Je me revois encore penser, sur la pelouse, aux personnes que j’aime, à tout le travail fourni pour réaliser un rêve.
En face, il y avait Trezeguet, qui lui aussi a été champion du monde, mais avec la France. Vous avez déjà parlé entre vous de vos conditions d’oriundi ? David, c’est un ami. À chaque fois qu’on se voit, on parle de foot, des sélections, de nos situations particulières, mais on n’a jamais parlé de ça entre nous. (Rires)
Propos recueillis par Aquiles Furlone