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Cahuzac à Nice : une nouvelle pièce dans la machine de la rivalité
L'annonce de l'arrivée de Yannick Cahuzac dans le staff des Aiglons a réveillé les tensions entre Corses et Niçois. Entretenue dans les tribunes pour des raisons politiques par les supporters, offrant une des rivalités les plus intenses du football français, cette détestation mutuelle perdure depuis plus d’un demi-siècle des deux côtés de la Méditerranée.
Netflix et Amazon auraient bien du mal à résumer le bouillant antagonisme entre le SCB et l’OGC Nice. Le dernier épisode de cette série remonte au 3 juillet dernier, avec l’annonce du départ de Yannick Cahuzac du staff de Lens, pour intégrer celui des Rouge et Noir en tant qu’adjoint du nouvel entraîneur italien, Francesco Farioli. Une nouvelle qui a suscité l’ire des supporters du Gym et plus particulièrement des ultras de la Populaire Sud qui, dans un communiqué, ont réaffirmé leur souhait de ne pas voir l’ancien capitaine bastiais porter leurs couleurs. Depuis, les deux camps s’insultent quotidiennement sur les réseaux sociaux, le footballeur-ultra Alexy Bosetti montant lui aussi au créneau.
N’oubliez pas que pour eux NOUS sommes des « niçois de merde » et des cafards.. #OGCNice https://t.co/NRNJA5M8Vj
— Alexy Bosetti 2️⃣3️⃣ (@AlexyBosetti) July 8, 2023
Une caisse de résonance du nationalisme corse
Pour comprendre la genèse de cette haine profonde entre le Sporting et les Azuréens, il faut remonter au début des années 1970. Nice compte alors une importante diaspora d’étudiants originaires de l’île de Beauté, l’université de Corse n’ouvrant qu’en 1981. « À cette époque, l’île est en pleine mutation, précise Didier Rey, docteur et professeur en histoire contemporaine à l’université Pasquale Paoli de Corte. Le mouvement nationaliste émerge, avec des éléments fondateurs comme les événements d’Aléria en 1975 et la fondation du Front de libération nationale corse (FLNC) en 1976. Chaque rencontre entre Nice et Bastia est une occasion pour ces étudiants de remettre en cause l’appartenance de la Corse à la France, ce sont eux qui occupent le stade pour en faire une caisse de résonance politique. » Un militantisme qui se traduit par des affrontements réguliers entre Bastiais et Niçois lors de chaque rencontre, aussi bien dans la capitale azuréenne qu’aux abords de Furiani. Les exemples sont nombreux, à commencer par celui du 26 novembre 1972 et l’envahissement de la pelouse d’Armand-Cesari après une vive altercation entre le portier bastiais Ilija Pantelić et l’avant-centre niçois Dick van Dijk.
Mais celui du 10 avril 1976 a fait couler beaucoup d’encre. En huitièmes de finale retour de la Coupe de France, après un premier acte très houleux à Nice quatre jours avant (2-2), les deux équipes se retrouvent à Furiani pour ce qui s’apparente à une véritable guerre sur et (surtout) en dehors du terrain. « Je me souviens très bien de ces matchs, raconte Éric, membre des Ultras Populaire Sud. J’avais 14 ans, ça a éclaté de partout. Au match aller, c’était la furia avec des chaises arrachées, des bombes agricoles. Sur le terrain, les joueurs ne faisaient que se bagarrer. Au retour, les Niçois ont vécu un cauchemar, ils ont reçu des projectiles avant le match. On a commencé la rencontre à dix ! »
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Pour l’Ajaccien Baptiste Gentili, ex-joueur du Gym, « la haine entre les deux clubs est véritablement née de ce match retour. Bien que je sois corse, j’étais un ennemi à chaque fois que je venais à Furiani avec Nice. » Les Bastiais s’imposent 4-0, mais tous retiennent ce qu’il s’est passé en marge de la pelouse. Quelques jours après le match, le magasin du capitaine des Aiglons, Jean-Noël Huck, est soufflé par un attentat. Le score du match est annulé au vu des violences et doit être rejoué sur terrain neutre. Refus catégorique du maire azuréen Jacques Médecin, qui incite les Niçois à déclarer forfait, ce qu’ils feront. « Le match retour est vu par les Bastiais comme une sorte de légitime défense de ce qu’il s’est passé à l’aller, analyse Didier Rey. Cela se rapproche de la mécanique des événements d’Aléria un an plus tôt, ils voulaient réparer ce sentiment d’injustice. »
Le mouvement ultra transforme la rivalité
Les années suivantes seront bien moins tumultueuses. En 1981, Paul Marchioni, capitaine d’un Sporting fraîchement vainqueur de la Coupe de France, signe chez l’ennemi sans aucune animosité des deux camps. « Cette rivalité concerne les supporters avant les joueurs, souligne Gilles, fondateur et président de l’association Minenfootu, une émission web consacrée au SCB depuis dix ans. On défend avant tout l’identité de notre club. Qu’un joueur passe d’une équipe à l’autre, cela ne me fait pas grand-chose, du moment qu’il ne crache pas sur nous quand il s’en va. » Ces tensions vont tout de même reprendre de plus belle dans les années 1990 sous une autre forme, avec le développement du mouvement ultra en France. La plupart des groupes fondateurs émergent ou sont en plein développement, avec une affirmation identitaire sur le terrain et en tribunes. Le match du 8 avril 1992 en huitièmes de finale de Coupe de France en est l’illustration la plus parlante.
Une marée humaine de plusieurs milliers de Bastiais débarque alors à Nice. Dès leur arrivée au port, les bombes agricoles réveillent la ville au petit matin, et des échauffourées opposent les Corses aux Niçois, en compagnie des forces de l’ordre, dépassées par les événements. « Il y avait beaucoup de haine, même dans les travées du stade, ça partait dans tous les sens, se souvient Éric. À l’échauffement, un pétard explose juste à côté de Jean-Philippe Mattio qui s’écroule au sol, complètement sonné. » Des jets de projectiles qui se poursuivent à la mi-temps et à la fin du match, où les Bastiais s’imposent 1-0.
Les heurts de 2004 à Furiani montrent que la violence ne diminue pas : un drapeau corse est brûlé par les Niçois, dont le bus est caillassé. Entre-temps, le Sporting est relégué à l’étage inférieur à l’issue de la saison 2004-2005, laissant pendant sept ans le Derby de la Méditerranée en pause. Car oui, tous l’ont bien ancré depuis longtemps, l’affiche est un derby, attendu avec impatience dès l’annonce du calendrier de début de saison. « Pour nous, un Nice-Bastia est aussi important qu’un Nice-Marseille, lance l’ultra azuréen. Même si Monaco n’est qu’à 20 kilomètres, on n’a pas cette excitation, cette adrénaline. Avec Ajaccio, il n’y a quasiment rien. C’est uniquement Bastia qui nous intéresse. »
Mais la dimension politique n’est jamais très loin dans cet antagonisme. La preuve lors de ce 18 octobre 2014, à l’Allianz Riviera. Pour éviter tout débordement, la préfecture des Alpes-Maritimes interdit les supporters corses dans le stade, mais pousse le bouchon encore plus loin et proscrit tout signe distinctif à l’effigie de la Corse. Il n’en faut pas plus à Jean-Louis Leca qui, dès la fin du match (victoire 1-0 des Bastiais) brandit fièrement le drapeau corse sur le rond central, provoquant un envahissement du terrain, une immense bagarre générale et une embrouille devenue culte avec Alexy Bosetti. « L’action de Leca révèle un sentiment d’appartenance exacerbé par cette interdiction, un déchaînement de passion », avance l’historien Didier Rey. Si depuis, les rendez-vous se font plus rares, compte tenu de l’écart de division, la haine commune est toujours bien ancrée. Une détestation qui révèle finalement de nombreux points communs pour Chaouki Ben Saada, ancien du Gym et du Sporting : « Les deux clubs se ressemblent tellement au niveau de l’identité, des valeurs de combativité et d’agressivité, mais aussi dans la défense de la langue et de la culture. Voilà pourquoi cette rivalité est aussi particulière dans le football français. » Vivement le nouvel épisode.
Par Laurent Di Fraja
Tous propos recueillis par LDF