- Coupe du monde 2018
- Café Kremlin
- Épisode 10
Café Kremin, épisode 10 : « Ça fait quatre ans que l’on picole pour oublier »
De passage à Saint-Pétersbourg vendredi pour assister à la victoire de leur sélection face au Costa Rica, les supporters du Brésil sont aujourd'hui partagés entre l'amour pour leur pays et le désintérêt grandissant à la maison pour la Seleção. Une fracture qui s'étire jusqu'au maillot.
Début d’after sur la ligne 5 du métro de Saint-Pétersbourg, 18h37 heure locale. Octávio, lunettes fumées sur le nez, trompette infernale au bout des doigts, hurle à la honte d’un ennemi : « Oh Di María, oh Mascherano… Oh Messi ciao, Messi ciao, ciao, ciao… » Son vieux compagnon, Hígor, la trentaine et le bouton de pantalon avalé par la bedaine, vient alors se jeter dans ses bras. Les deux hommes en attrapent un troisième et sortent de la rame. Ils ne reviendront pas, la fête file à l’horizon. « Oui, notre victoire du jour (face au Costa Rica, 2-0) est importante, décisive même, mais rien n’est plus beau aujourd’hui que la défaite de l’Argentine contre la Croatie » , balance un supporter de la Seleção, maillot Edmílson sur le dos, signe de purisme. Vraiment ? « Oui, mon pote, vraiment. Tu sais, pour le moment, on se satisfait de nos performances, mais on est avant tout venus en Russie parce qu’on aime notre pays. Tu as bien entendu : nous aimons notre pays, plus autant notre sélection, c’est une réalité. » C’est l’idée du moment, en effet : selon un récent sondage réalisé au Brésil, 53% des gens se disent même « totalement indifférents » au Mondial en cours. Mais où est passée la Seleção ?
Le dilemme du maillot version 2018
Elle vit encore, rassurez-vous et est même ce matin en tête de son groupe, à égalité avec la Suisse, avant de défier la Serbie mercredi soir, à Moscou. Mais c’est une autre histoire qui se déroule sous nos yeux depuis le début de la compétition : le récit d’une nation qui ne sait plus trop quoi penser de ses propres joueurs. « C’est avant tout un problème d’identification, glisse Adrian, 37 ans, arrivé de São Paulo il y a une semaine pour suivre la compétition, malgré tout. Le casse-tête est multiple : politique, générationnel, sociétal. J’ai encore eu mon père au téléphone ce matin et il me racontait qu’au Brésil, les gens ne suivent cette Coupe du monde que d’un œil. C’est comme si la Seleção était devenue le symbole de tout ce que la société brésilienne cherche à rejeter depuis plusieurs mois, plusieurs années. » Au premier rang du symbole : le maillot de la génération 2018 se fait rare, car la droite brésilienne a décidé d’en faire un emblème politique. Désormais, le porter, « c’est comme soutenir Lula, Dilma (Rousseff) » , poursuit Adrian qui est, au Brésil, chauffeur de taxi. Drôle de situation pour une sélection qui cherche avant tout à retrouver de la confiance après l’humiliation du Mondial 2014.
Marketing et cellule
Dans un coin de la perspective Nevski, carrefour des nations unies depuis le début de la Coupe du monde, Vitór et Carlos, drapeau du Brésil autour de la taille, tiennent à préciser la chose : « Mec, ça fait quatre ans que l’on picole pour oublier cette Coupe du monde. L’idée, maintenant, c’est de se servir de celle-ci pour définitivement ouvrir un nouveau chapitre, écrire une nouvelle histoire, mais le problème, c’est que les joueurs qui composent aujourd’hui la sélection ne représentent en rien le Brésilien de base. Neymar ? Sincèrement, c’est un repère pour les ados, pas plus. Nous, on ne l’aime pas. Notre Brésil à nous, c’est Fagner, Pedro Geromel, Firmino, Gabriel Jesus, Casemiro. Des mecs qui ont un caractère, un truc. Jouer pour le Brésil, ce n’est pas venir faire une représentation marketing, ça a un sens en fait. »
Eux aussi ont décidé de boycotter le nouveau maillot et préfèrent porter celui de 2002, ce malgré le constat que la confiance sportive dans la Seleção semble revenir. Pendant ce temps-là, Lula, lui, livre ses analyses sur les performances de l’équipe depuis sa cellule. L’histoire raconte qu’il dort même en maillot. Lequel ? Celui de 2018, évidemment.
Par Maxime Brigand, à Saint-Pétersbourg