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- Disparition de Stéphane Paille
Caen-Saragosse, la belle cicatrice
À l'automne 1992, le Stade Malherbe de Caen prend part face à Saragosse à la seule confrontation européenne de son histoire. Stéphane Paille, auteur d'un doublé lors de la victoire à l'aller (3-2) et aligné en défense centrale en Espagne (2-0), est un acteur majeur d'une épopée de 180 minutes. Mais épopée quand même.
« Ah, j’ai rarement vu un trio de nullos pareil… Faudrait les empailler ceux-là. » Le 1er octobre 1992, l’arbitrage n’a pas l’air de plaire à Thierry Roland, qui lâche alors l’une de ses plus fameuses saillies au micro de TF1. Pour tout dire, la moitié de Jean-Michel Larqué ne fait alors que traduire ce que n’importe quel Français ressent devant son téléviseur. Le Stade Malherbe de Caen est en train de perdre 2-0 à la Romareda, à Saragosse. À la 24e minute, c’est l’Uruguayen Gustavo Poyet qui permet à Saragosse de se mettre sur de bons rails. Globalement dominés, les Caennais lâchent le match et concèdent le but du break peu après l’heure de jeu. Andreas Brehme, champion du monde avec l’Allemagne deux ans plus tôt, enfonce le clou. Le Stade Malherbe est éliminé dès les 32es de finale. Pourtant, malgré leur statut de Petit Poucet de la compétition, les Caennais n’ont pas démérité, et peuvent avoir mille regrets.
Le duo Gravelaine-Paille met le feu au match aller
« C’était notre premier match de Coupe d’Europe. On était dans l’inconnu et pas certain de pouvoir faire bonne figure » , se souvient Stéphane Dedebant. Pourtant, au match aller, les Caennais sont euphoriques au stade de Venoix, notamment Xavier Gravelaine, en feu. « C’est le match qui a lancé ma carrière médiatiquement. Surtout qu’un mois après, j’étais appelé en équipe de France. C’est sûrement un de mes trois meilleurs souvenirs de mes dix-sept ans de carrière » , expliquait Xavier Gravelaine dans les colonnes de Ouest France. D’ailleurs, dès la sixième minute, c’est lui qui glisse le ballon à Stéphane Paille, son compère de l’attaque, qui n’a plus qu’à la pousser au fond. Dix minutes plus tard, Gravelaine double la marque d’un enchaînement bergkampesque. Ultra dominés, les Espagnols parviennent à réduire le score par l’intermédiaire de Sanjuan. Pas grave, le duo Gravelaine-Paille frappe une troisième fois. Le premier centre pour le second qui lâche une reprise de volée dans le petit filet. À la mi-temps, les Normands sont séduisants, invincibles, et surtout, ils mettent leurs opportunités au fond.
Malheureusement, la deuxième période sera tout autre. Les occasions sont toujours là, mais Gravelaine ne les convertit plus. « C’était frustrant. Xavier et Stéphane ont fait un gros match, mais ils auraient pu marquer encore plus. On fait preuve d’un manque de réalisme, ou de réussite, appelez-ça comme vous voulez. Les regrets, je les ai surtout sur le premier match où on doit les tuer » , regrette encore Stéphane Dedebant. Par deux fois, Gravelaine se débarrasse de deux défenseurs espagnols, mais pèche dans la finition, notamment ce lob, qui frôle la barre transversale à la 63e minute. Vingt minutes plus tard, Saragosse réduit la marque avec beaucoup de réussite. Au départ de l’action, Philippe Montanier est victime d’une faute flagrante. Ce n’est que le début des ennuis.
Tactique hasardeuse et arbitre alcoolisé
Au match retour, Daniel Jeandupeux veut absolument surprendre les Espagnols. Parce que la surprise, c’est justement ce qui les a déroutés à l’aller. Le coach suisse revoit complètement sa copie, pourtant très satisfaisante au Venoix. Stéphane Dedebant, meneur de jeu de poche, est aligné côté droit. « Je jouais toujours dans l’axe dans le 4-4-2 habituel. C’est la première fois que jouais sur un côté. C’était un peu perturbant, mais je n’étais pas forcément mal à l’aise. Je me suis plutôt bien adapté. Non, le plus bizarre, c’était le placement de Stéphane Paille » , raconte-t-il. Parce qu’en effet, aussi incroyable que cela puisse paraître, le buteur du Stade Malherbe est aligné en tant que libéro ce jour-là. « Le coach a tenté quelque chose d’inédit. Il voulait absolument perturber les Espagnols. Mais je ne crois pas que ça les ait vraiment perturbés. » La vérité, Stéphane Paille la dévoilera à L’Équipe en septembre 2013, soit plus de vingt ans plus tard : « Le coach me demande de jouer libéro, car j’ai un petit problème au genou. Michel Le Néel, un journaliste deOuest-France, avait eu l’info et l’avait balancée aux Espagnols. Après le match, on a découvert que nos adversaires savaient que j’allais jouer derrière. » Hasard ou pas, les Caennais n’y sont pas et sont malmenés par Saragosse. « Peut-être qu’on était un peu désorientés par tous les changements dans le système » , cogite encore Stéphane Dedebant.
Mais ce que retient tout supporter caennais qui se respecte, c’est l’arbitrage plus qu’approximatif du Gallois Howard King. Le match est entaché d’énormes erreurs en la défaveur de Malherbe. Par exemple, King siffle un hors-jeu imaginaire, lorsque Faouzi Rouissi s’en va seul défier le gardien espagnol. Problème, Rouissi est parti de son propre camp. Plus tard, un penalty imaginaire est accordé à Saragosse. Heureusement, Brehme, qui avait marqué le seul but de la finale du Mondial 1990 face à l’Argentine grâce à cet exercice, le manque. « On avait vraiment l’impression que ça n’allait que dans un sens. Pour moi aujourd’hui, même avec le recul, je suis sûr à 99% qu’il y avait quelque chose de louche. » Pire, de nombreux joueurs, dont Stéphane Dedebant, ont affirmé que Howard King puait l’alcool à des kilomètres, encore imbibé de la fête de la veille.
Un moment de légende
Malgré le résultat final, cette double confrontation contre le Real Saragosse reste une fierté. « C’étaient les premiers pas en Coupe d’Europe. Dans la région, ça reste un bon souvenir avec les années. Ce sont deux matchs de légende » , s’amuse Dedebant. D’ailleurs, le match aller avait été élu plus beau match de l’année 1992, juste devant un autre match de Caen, une victoire 5-4 contre Lens en Coupe de France. En 2005, Howard King a été surpris par la police en train de se masturber dans un taxi. Il a également avoué à News of the World qu’il avait régulièrement accepté des cadeaux de la part de certains clubs européens tout au long de sa carrière, notamment de l’alcool et des filles de joie. Soit. Mais le 15 septembre 1992, c’est bien Caen qui avait le monopole de la joie.
Par Kevin Charnay
Cet article a initialement été publié le 11 décembre 2015.