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Ça ressemble à quoi une Coupe du monde sans la France?

Par Raphael Gaftarnik et Christophe Gleizes
7 minutes
Ça ressemble à quoi une Coupe du monde sans la France?

Ce soir, la France joue une partie de son avenir lors d’un déplacement capital en Ukraine. A priori abordable, la rencontre n’en demeure pas moins flippante pour tout un pays. La faute aux spectres de ces grands rendez-vous ratés, une spécialité française bien connue des plus de 30 ans.

Et si l’équipe de France n’y allait pas ? Et si Ribéry, Valbuena et Lloris restaient sur le tarmac du Bourget, la larme à l’œil, observant au loin un Airbus de luxe s’envoler vers Rio ? Depuis quelques semaines, la psychose s’est installée. Et bizarrement, c’est au Brésil qu’elle a commencé. C’est tout d’abord Juninho, bientôt retraité, qui a allumé la mèche sur RMC : « On parle beaucoup de ces barrages au Brésil. La France est un adversaire qui bat souvent le Brésil en Coupe du monde, et ici personne n’imagine un Mondial sans la France. » Un constat partagé dans L’Équipe par Thiago Silva, le capitaine du PSG : « Pour moi, toutes les grandes sélections doivent participer à une Coupe du monde, donc j’imagine difficilement un Mondial sans la France (…)Au niveau qualitatif, c’est l’une des meilleures équipes du monde. Elle a le niveau pour passer. » Serein, Franck Ribéry a tenu à rassurer les Brésiliens : « Je ne peux tout simplement pas imaginer que l’équipe de France ne soit pas au Mondial, ce serait une catastrophe pour nous, pour tous les gens, pour toute la France. Nous devons jouer comme toujours, ne pas avoir peur et ne pas stresser. »

De multiples désillusions

Vraiment inimaginable un mondial sans la France ? Un rapide examen de l’histoire de la Coupe du monde prouve pourtant le contraire. L’histoire des Bleus dans la plus prestigieuse des compétitions est parsemée d’échecs retentissants et de rendez-vous manqués. Les campagnes de qualifications tricolores ont souvent tourné au vinaigre, et lui ont notamment fait rater les mondiaux 1950 au Brésil, 1962 au Chili, 1970 au Mexique, 1974 en Allemagne de l’Ouest, 1990 en Italie et bien sûr celui de 1994 aux États-Unis. Une série de déceptions dont se rappelle volontiers Didier Braun, éditorialiste à L’Équipe et co-auteur de La grande histoire de la Coupe du monde : « Sur le long terme, c’est plutôt le fait que l’équipe de France ait participé à toutes les coupes du monde depuis 1998 qui est une anomalie. Si on regarde l’histoire et le parcours de l’équipe de France, hormis le sacre de 1998, ce n’est pas vraiment glorieux. » Et le spécialiste de l’histoire de la sélection de détailler : « Nous avons connu un véritable trou d’air dans les années 60/70, avec trois Coupes du monde ratées. Certes, avant la Seconde Guerre mondiale, on a participé à tous les tournois, mais en 1930, il suffisait de s’inscrire pour participer. Même si nous ne faisions pas partie des meilleures nations européennes, la France y est allé car Jules Rimet, à l’initiative de la Coupe du monde, a tenu à ce qu’elle se rende en Uruguay. Pour la première édition, il n’y avait pas plus de quatre équipes européennes, car l’investissement et le voyage en Amérique du Sud étaient des choses impensables, surtout pour une Fédération et des joueurs qui n’étaient pas professionnels. En 1934, nous nous sommes qualifiés en éliminant le Luxembourg et en 1938, c’est nous qui avons organisé. »

Souvenirs des rendez-vous manqués

Ainsi, bien avant la tragédie bulgare, l’équipe de France a toujours galéré à composter son ticket : « Je me souviens par exemple très bien de la déception qui a entouré la non-qualification pour Coupe du monde 1962. J’étais gamin mais je sais que ça a touché les supporters, car on avait terminé 3es de la Coupe du monde 1958 en Suède et on avait le sentiment d’un déclin de l’EDF, qui allait de pair avec la faiblesse des clubs français en coupes d’Europe. » L’ancien de la DTN ne veut cependant pas dramatiser : « Si France-Bulgarie occupe encore les mémoires, sur les temps plus anciens, le souvenir s’estompe forcément. Il y a eu des Coupes du monde sans l’Italie, l’Angleterre ou l’Argentine et la compétition n’est pas morte. À l’échelle mondiale, la France ne manquerait pas plus que le Portugal en cas de non-qualification pour la compétition. »

Témoin privilégié de ces vicissitudes, Jean-Marc Ferreri, ancien international, a connu une épopée stoppée par la RFA en 86 au Mexique avant l’échec de la campagne de qualification pour l’Italie en 90. Une période particulièrement difficile pour ce fils d’immigrés turinois : « La Coupe du monde au Mexique, c’était absolument grandiose, un des plus grands moments de ma vie. D’ailleurs je pense qu’on aurait dû la gagner. En 90, ça a été une demi-surprise. C’était la transition avec la fin de la génération Platini et on a très mal débuté dans notre poule. Je me rappelle d’une période où les rencontres que l’on disputait étaient tendues et où l’ambiance n’était vraiment pas terrible. Rater la Coupe du monde a été plus dur pour moi compte tenu de mes origines : j’avais vraiment envie d’aller en Italie qui est de surcroît une terre de football. »

Conséquences médiatiques

Ces terres de football, de nombreux fans de l’équipe de France les ont foulées à mesure qu’ils suivaient les déplacements des Bleus. Autant de voyages, de compétitions et de souvenirs qui en cas d’élimination face à l’Ukraine resteront lettre morte comme l’explique Armel, membre de l’association Chti’Foot : « Le Brésil c’est le pays du foot. En tant que supporter, il faut le faire au moins une fois dans sa vie. Je serai forcément déçu si l’équipe ne se qualifie pas, mais surtout je serai triste de ne pas y aller. J’ai fait 18 pays en suivant les traces de l’EDF, si il n’y avait pas eu ça, je n’aurai probablement pas autant voyagé. » Le supporter assidu craint que l’équipe de France ne se relève pas d’une nouvelle désillusion : « Ce serait relativement catastrophique, et un échec accentuerait la mauvaise image que le public a déjà de cette équipe. Ce serait pire qu’en 1994 parce qu’on avait pas encore connu les grandes heures et la victoire à l’époque, alors que là, il y a forcément de l’attente. »

Ce problème d’image, les Bleus le traînent comme un boulet depuis les épisodes malheureux qui ont émaillé leurs dernières compétitions internationales. Jean-Marc Ferreri ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque un scénario catastrophe : « Je me souviens qu’en 1990, les réactions n’ont pas été trop virulentes grâce au Mondial 86. Aujourd’hui, entre l’absence de titre depuis 2000 et les déclarations d’un garçon comme Évra qui remet de l’huile sur le feu, ce serait Hiroshima ! »

Impact économique

Si la qualification à la Coupe du monde au Brésil revêt avant tout un intérêt sportif et affectif majeur, l’impact économique d’une nouvelle débâcle serait lui aussi catastrophique en ces temps de football-business. Dans un article du mercredi 13 novembre 2013, intitulé « Le Brésil n’aurait pas de prix » , la journaliste de L’Équipe Rachel Pretti a interrogé les 12 partenaires officiels des Bleus, qui rapportent 62 millions d’euros par an à la FFF. Peu loquaces, ces derniers ont cependant reconnu qu’une élimination prématurée ne servirait pas leurs intérêts. « On sait que l’image de l’équipe de France est fragile et liée aux résultats » , a confié Nicole Derrien, la directrice du sponsoring au Crédit Agricole, qui débourse 4 millions d’euros par an. « L’heure n’est plus aux critiques mais à la mobilisation » a tenu à rappeler Manuel Berquet, le directeur marketing de Coca-Cola France, comme pour conjurer le mauvais sort. Le soutien appuyé des sponsors s’explique : une Équipe de France qualifiée pour le Brésil n’aurait évidemment pas la même valeur commerciale. Les négociations pour la reconduction des partenariats jusqu’en 2018 sont actuellement gelées, alors que la FFF aurait souhaité tout régler avant le 31 octobre.

Alors à quoi faut-il s’attendre en cas de non-qualification ? Ni plus ni moins que ce que l’on a connu pour l’Afrique du Sud ou pour le barrage d’il y a quatre ans. De la déception sans doute, doublée d’un acharnement médiatique sur une génération qui a du mal à transmettre l’amour du maillot. Plus en nuance, Didier Braun rappelle que les mentalités évoluent très vite et au gré des résultats : « L’opinion est à la fois versatile et cyclique. Aujourd’hui, on dramatise beaucoup plus car la société civile s’intéresse davantage au football qu’il y a 40 ou 50 ans. Cette dernière est néanmoins toujours prête à rebondir quand il y a un coin de ciel bleu. » Pour ne pas souffrir des critiques de supporters ou journalistes parfois opportunistes, les hommes de Didier Deschamps seraient bien inspirés de terrasser l’ennemi ukrainien qui s’avance. Car si Didier Braun assure « qu’il a vécu des Coupe du monde qui étaient biens sans la France » , pas sûr que la nation pardonne à Ribéry et consorts une nouvelle tragédie slave.

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