- Grand Prix d'Amérique
- Jean-Michel Bazire
Ça fait zizire
Il a encore une belle touffe sur le crâne et serait bien infoutu d’enchaîner trois jongles, mais on dit de lui qu’il est le « Zidane du trot ». Comprendre : Jean-Michel Bazire est LE surdoué de sa discipline, en témoigne sa quatrième victoire dimanche dernier au 98e Grand Prix d’Amérique, vingt ans après la première. Mais jusqu’où la comparaison tient-elle la route ?
C’était il y a 4409 jours, mais Mario Luraschi s’en souvient comme si c’était hier : « Quand il est arrivé chez moi pour que j’évalue son niveau, il était totalement vert en matière d’équitation. Nous lui avons envoyé deux chevaux à Madrid pour élaborer la base d’un programme d’entraînement. Ensuite, je l’ai aidé à se perfectionner. Comme c’est un grand sportif, nous avons pu attaquer des choses difficiles, nous avons travaillé la position, les figures techniques et l’harmonie. Je lui ai donné des chevaux montés par des professionnels. Il n’a pas eu d’appréhension, mais un feeling extraordinaire avec l’animal. Je ne suis pas fan de foot, mais je suis admiratif du bonhomme. Il m’a étonné. Zidane était très motivé : il est tombé une fois, rien de grave ! Il a réussi en vingt leçons de trois à quatre heures chacune ce que d’autres font en cent. Lors de la cascade, il couche le cheval au sol. Il serait capable de mener un quadrille au triple galop au Stade de France. Et, en six mois, il pourrait avoir un niveau professionnel. »
Benjamin Castaldi et Zinédine Zidane, en plus d’avoir chacun prénommé leur fils Enzo, ont pour point commun une soirée du 3 janvier 2007 tout aussi stressante pour l’un que pour l’autre. Le premier, alors au fait de sa gloire à la présentation des soirées en direct de TF1, s’apprête à animer en compagnie du second, tout jeune retraité et parrain d’association, Les stars se dépassent pour ELA. Et pendant que Claire Chazal et Claire Keim répétaient les enchaînements de cabaret et d’acrobatie, Zizou a suivi un entraînement aux côtés de Mario Luraschi, le célèbre dresseur équestre italien, admiratif dans les colonnes du Parisien, pour un « impressionnant numéro de dressage » , programmé en direct le soir même.
BoJack et glottophobie
La prestation, il est vrai assez réussie, n’a cependant pas suffi à susciter une vocation d’après-carrière chez le bonhomme. Un type qui, si le pays était gouverné par BoJack Horseman et que les victoires françaises aux courses faisaient grimper au galop la popularité du gouvernement, aurait très bien pu être surnommé « le Jean-Michel Bazire du football » . On parle là d’une autre vie, évidemment, d’un autre monde, car si les deux bonshommes sont des légendes de leur sport, tant à l’échelle nationale que mondiale, leurs similitudes ne s’arrêtent pas à une simple aura plus lumineuse que celle de leurs contemporains. Bazire, c’est le dieu du trot attelé, épreuve d’équilibriste qui exige tout bêtement de se caler jambes écartées à un mètre du sol sur un « sulky » tracté par une bête d’une demi-tonne lancée à 50km/h. Alors, quel point commun avec celui qui paraissait ne jamais courir ? Leur âge, d’abord. 46 pour ZZ, 47 pour JMB. Leurs origines, ensuite. L’un est de Marseille, l’autre de Toulouse. La glottophobie s’arrête volontiers à la frontière du talent. Et puis il y a cette voix, ou plutôt ce filet sonore, et cette façon d’enchaîner les exploits sans avoir l’air de faire autre chose que de parler à des chatons. Jean-Michel Bazire causait plus vite, autrefois, mais a vu son débit ralentir à la suite d’un AVC survenu dans la dernière ligne droite d’une course à l’hippodrome d’Enghien, en 2012. Il appelle ça « le truc » . Ils sont drôlement similaires désormais.
Les deux hommes sont aussi des professionnels extraordinaires. Des bourreaux de travail – ce qui explique d’ailleurs sûrement l’AVC –, plutôt du genre taiseux. Pas le temps de parler quand on doit monter plus de 1000 courses par an, ou passer la balle avant que Deco ne vous fonde dessus. Bazire a tout gagné, et même plusieurs fois. Dans un monde où l’on arrête le plus souvent sa carrière avant la trentaine, à cause des blessures, lui a dépassé en 2018 les 6000 victoires. Lorsqu’il était plus jeune, il avait même pris l’habitude de se trimbaler avec un « opulent collier chargé de colifichets » , sur lequel il ajoutait une nouvelle plaque dorée toutes les mille victoires. Trop lourd, il l’a remplacé par un bandana foncé noué autour du front. Il est un jockey extraordinaire, casquette qu’il cumule depuis plusieurs années avec celle d’entraîneur, avec tout autant de succès. Autre point commun. Au Grand Prix d’Amérique, ses trois chevaux Bellina Josselyn, Looking Superb et Davidson du Pont ont failli faire le triplé (1-2-4). Les chevaux pour l’un, les Ligues des champions pour l’autre. Bazire a même remporté, début 2019, son vingtième Sulky d’Or, équivalent du Ballon d’or des jockeys de trot. « Autant que Federer avec ses Grands Chelems » , qu’il dit. Encore une histoire de bandana.
Café, café, café
Quand il était gosse, Bazire rêvait d’être footballeur pro. Chez lui, à Grobois, au milieu d’un mur recouvert d’exploits équins, il subsiste une seule photo sépia, de l’époque où il jouait à l’US Pont-l’Évêque. Il dit : « Je marquais beaucoup, mais j’étais un peu juste. J’aurais terminé à la rue. » Gaby Gelormini, apprenti chez lui, détailla un jour : « Il est trop fort, c’est un maniaque de dingue, il ne te lâche jamais, te fait bouffer un détail pendant dix jours. Une couverture sur un cheval, ça se met droit, tout doit être droit. » En parlant de bouffer : le type est un malade du régime alimentaire, cauchemar des jockeys. Café, café, café et les doigts dans la gorge. Lizarazu, dans L’Équipe, écrivit une fois ces quelques mots : « Zidane n’a pas fait son immense carrière seulement sur son talent. Il avait des lacunes physiques. Il a bossé à en vomir. C’était un maniaque de la diététique. » Ce qui les distingue des autres, aussi, c’est cette capacité à faire à leur main des bêtes qu’ils viennent de découvrir. Un jockey rencontre en général sa monture une heure avant la course, à lui d’en comprendre ce qu’il peut dans le temps qu’il lui reste. Zizou, lui, a mis à peine plus de temps pour transformer le Real moribond de son époque en destrier infernal. Des points communs, il y a ceux-là, et il y en a d’autres. S’agirait de faire court, il paraît que Bazire n’est pas patient : « Je n’aime pas cuisiner, par exemple. C’est long. » Tiens, Zizou, lui, adore. « Je m’en fiche un peu de Zidane, répond le jockey.De toute façon, je préfère qu’on m’appelle JMB. »
Par Théo Denmat
Propos de JMB et GG tirés de L’Équipe.