C1 : La controverse foot italien contre foot anglais

25 mai 1967. Lisbonne. Coup de tonnerre dans le ciel européen. En battant l’Inter (ultra favorite et tenante du titre) sur le score de 2-1, le Celtic Glasgow met fin au menu 100% latin que le foot continental servait exclusivement depuis la création de la C1. Contre toute attente, les Écossais, vaillants, imposaient le fish & chips à la place de la paella (Real, 6 titres), du bacalhau (Benfica, 2 titres) et des spaghettis (Inter et Milan AC, 2 titres chacun). Miam !

En fait, c’est surtout l’opposition de styles entre Italiens et Britanniques qui sauta aux yeux : l’Europe se délectait de la fin du catenaccio de l’horrible Helenio Herrera (coach de l’Inter), mis à mal par 11 Écossais intrépides. Pour dire la vérité, l’Inter d’Herrera n’était pas autant défensif que ça, mais là on n’a pas le temps, ni la place. Qui plus est, le catenaccio (ou style très “défensif” ou “attentiste”) du foot de club italien sera définitivement battu en brèche et terrassé au début des seventies, quand l’Ajax trucidera coup sur coup l’Inter 2-0 (1972), puis la Juve 1-0 (1973)… Mais, bon : revenons à 1967 !

C’est en gros à partir de cette finale de Lisbonne que naîtra un de ces débats footballistiques passionnants, rigueur tactique italienne contre volontarisme offensif anglais. Entre autres conclusions, on peut en tirer au moins une : les Italiens n’aiment pas jouer les clubs anglais. Parce que les Anglais ne croient à rien, ne respectent rien, ne calculent rien et n’ont peur de rien ! L’Anglais sait se faire à la fois bulldog ou lévrier et faire valser toutes les pièces de l’échiquier cartésien rital (4-4-2, 3-5-2, 4-5-1, peu importe…)

L’avantage psychologique éternel du foot italien, c’est la peur de ses adversaires. La peur du piège, du contre, du temps qui passe, des espaces qui se réduisent comme des portes qui se ferment, du faux rythme suivi de fulgurances. Vouloir jouer tactique avec les Italiens équivaut à prendre un but avant d’avoir commencé à jouer. A moins d’être très fort comme les Hollandais… Pire que les Hollandais, les Anglais : pressés d’aller au pub pour descendre des pintes et balancer des fléchettes, les Rosbifs vont droit au but. Ils jouent tous les ballons, imposent leur jeu aérien et ne craignent pas le contre. C’est en gros, la tendance qui a prévalu avant l’arrêt Bosman et le foot mondialisé : bilan équilibré mais avantage Angleterre. Avec victoires en C1 du Celtic (contre Inter Milan en 1967, 2-1) et de Liverpool (contre AS Roma en 1984, 1-1 et 4-2 aux tab) contre victoire de la Juve (sur Liverpool en 1985 au Heysel, 1-0). En C2, Arsenal avait battu le joli Parme en 1994, 1-0. Il faut quand même rappeler que, suite au drame du Heysel, le bannissement des clubs anglais pendant cinq ans faussera quelque peu le niveau réel des compétitions européennes. Sans les clubs anglais, notamment le grand Liverpool de Ken Dalglish (fin 80’s et début 90’s), on peut légitimement objecter que le grand Milan AC de Sacchi a triomphé sans jamais s’être mesuré à une concurrence plus poussée…

Après l’arrêt Bosman, le foot a changé et les différences culturelles se sont estompées en football de club. Aujourd’hui, les managers de grands clubs anglais sont (presque) tous des continentaux (Wenger, Vialli, Gullit, Mourinho, Scolari, Hiddink, Tigana, Benitez) sauf Ferguson. Mais, ils ont un point commun : la rigueur tactique qui s’appuie sur d’excellentes bases défensives. D’ailleurs, les confrontations répétées et hyper serrées entre Chelsea et Liverpool en C1, ces dernières années, avaient tout des grands derbys italiens. Ce changement salutaire (arrivées des techniciens étrangers en Angleterre) opéré dès la fin des années 90 était indispensable du fait du retard tactique pris par les Anglais, entre autre à cause de leur mise à l’écart des compétitions européennes post-Heysel qui a fait des dégâts beaucoup plus profonds qu’ils ne le pensaient. Enfin, ce n’est pas un hasard si la Fédé british a enrôlé le Mister Capello à la tête de la Sélection aux Trois Lions : c’était juste pour parfaire cette évolution tactique initiée en clubs et étendue à la sélection. Accessoirement, rappelons aussi que Giovanni Trapattoni est le coach actuel de l’Eire (pas non plus un hasard).

Alors ? Le foot anglais a fini par s’italianiser, prouvant par là la supériorité des Ritaux sur les Rosbifs ? Non. C’est moins évident que ça. Il faudrait qu’il y ait eu plus de matchs Italie-Angleterre vraiment marquants. La période la plus significative remonte à 1997, quand les Anglais ont battu l’Italie au Tournoi de France (avec Brésil et France) 2-0 à la Beaujoire et surtout quand ils étaient allés faire un 0-0 historique à Rome (un chef d’œuvre de maîtrise en terre de Sciences Tactiques) pour les qualifs du Mondial 98, forçant l’Italie à jouer les barrages. Plus proche de nous, un cas d’école plus intéressant : la finale de C1 d’Istanbul 2005, Liverpool-Milan AC… La finale européenne la plus renversante de l’histoire (3-3, puis victoire aux tab 3-2 pour les Reds). Foot mondialisé et équipes très cosmopolites (deux Anglais seulement, côté Liverpool : Gerrard et Carragher). Et pourtant ! On a eu droit en fait à une opposition classique foot anglais contre foot italien. Au départ, l’abruti de Benitez qui veut la jouer tactique avec Ancelotti, soit un asiatique qui veut vendre des big Macs aux Américains. N’importe quoi ! Jouer au plus malin avec un maître italien, c’était se ramasser à coup sûr. Résultat : 3-0 à la mi-temps pour les rossoneri. Les Reds ont joué « tactique » , en place, à la continentale, pour contrer des Continentaux transalpins à qui on ne la fait pas. Les “Anglais” ont joué contre nature, contre leur culture…Et puis, Mister révolte est arrivé : Steven Gerrard himself ! Un Anglais, un vrai. Qui ne croit à rien, ne respecte rien, ne calcule rien et n’a pas peur de rien ! Un coup de boule so british dans la lucarne opposée : 3-1 et le début de la fin pour des Milanais emportés par une vague anglaise qu’ils ne connaissent que trop. La vieille peur de la Rome antique, submergée par les Barbares… La suite, on la connaît : victoire des Reds. Gerrard a battu Milan, Ancelotti et Benitez à lui tout seul. Albion est une île : water all around, isn’t it ? En 2007, le Milan prendra sa revanche (2-1 contre Liverpool). RAS : match classique de football mondialisé… Arrrgghhhhhh.

Chérif Ghemmour