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C. Arribas : « Le jeu prime sur les résultats, c’était ça papa »

Propos recueillis par Arnaud Clement
C. Arribas : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le jeu prime sur les résultats, c&rsquo;était ça papa<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a un quart de siècle disparaissait l'un des plus grands théoriciens du football français, José Arribas, l'inventeur du jeu à la nantaise, passé par le FCNA de 1960 à 1976, avant une courte pige à l'OM, rapidement avortée. Claude Arribas, son fils aîné passé pro sous ses ordres (Nantes, PSG, Bordeaux, Rennes, Cannes, Angers), a accepté d'évoquer la gloire de son père.

Voilà presque 25 ans que votre père a quitté ce monde, mais les références à son sujet sont encore nombreuses. Vous qui êtes abonné à la Beaujoire et toujours proche du club, ressentez-vous l’importance de l’héritage laissé ?

Oui, on le ressent toujours dans la mesure où ça a été transmis. Le fait que des gens comme Budzinski, Suaudeau, Blanchet ou Michel soient restés dans les sphères dirigeantes après son passage, des Amisse, Baronchelli, Le Dizet qui sont tous passés par le staff, puis grâce à Coco Suaudeau ou Raynald Denoueix sur le banc de touche, tout cela a participé à préserver cette histoire. Dans la tribune où je suis abonné, je retrouve d’anciens dirigeants et joueurs, donc ça arrive qu’on en reparle. Chez les jeunes que je fréquente, c’est plus rare, mais ça se produit, avec des gens comme Patrice Loko, Nicolas Ouédec ou Nicolas Savinaud, bien qu’ils ne l’aient pas connu. Je crois que quel que soit le club, on est encore toujours attaché à ces valeurs anciennes, à cette histoire. C’est une reconnaissance du travail établi et ce n’est pas propre à Nantes. Même si tout ça s’érode avec le temps.

Cette reconnaissance envers José Arribas va même sans doute bien plus loin que les simples frontières de la Loire-Atlantique, non ?

Tout à fait. À titre personnel, durant ma carrière, à Nantes où j’ai démarré, comme à Paris, Bordeaux, Rennes ou Cannes, j’avais quelquefois du mal à exister en temps que Claude Arribas, j’étais toujours le fils de… Après ma carrière, je travaillais dans l’agroalimentaire. Et lorsque je me rendais chez mes clients, je ne me présentais jamais sous le nom de ma société, mais toujours comme Claude Arribas. Et bien neuf fois sur dix, on me demandait si j’étais parent avec José Arribas. Même si durant ma carrière de joueur, je voulais quand même exister en tant que Claude Arribas. Je suis d’ailleurs parti de Nantes en 1974 un peu à cause de tout ça. Je voulais m’évader. Pour être un joueur comme les autres, je ne vivais plus chez mes parents, mais avec Bertrand-Demanes lors de ma première année en pro. Mon père était plus exigeant envers moi qu’avec les autres. Pour vous dire, j’ai joué certains matchs grâce à l’insistance d’Henri Michel, de Coco Suaudeau et de Guelso Zaetta. Je plains les fils de Claude Puel d’ailleurs… Bref, pour en revenir à mon père, du Nord au Sud du pays, il était reconnu. Je me souviens aussi d’un match en équipe de France juniors en Espagne, à Bilbao, là où il est né, avant de fuir à cause de la guerre civile. J’étais capitaine pour le match et même là-bas on m’appelait « le fils de José Arribas » .

Est-ce que vos partenaires ou entraîneurs que vous avez côtoyés ailleurs vous demandaient de leur révéler des infos sur sa méthode, ses entraînements, etc ?

Non jamais. Il y a peut-être eu des entraîneurs avec qui j’avais plus d’affinités, donc on discutait, mais c’était un peu comme des conversations de voisinage. On parlait de la santé, de la famille, mais jamais d’aspects tactiques ou de style de jeu. Après, oui, son jeu était craint, ça c’est vrai.
Nous étions une quinzaine, presque logés chez l’habitant

Ce jeu particulier a pourtant commencé à se façonner dans un village, Noyen-sur-Sarthe et son petit club amateur. Vos premiers souvenirs de football avec votre père datent de cette période-là ?

J’étais jeune à Noyen, j’avais 11 ans. Je me souviens qu’il m’emmenait à tous les entraînements. C’était un petit bourg. Le football de village. Il avait joué à l’US du Mans, le club phare à 25 km du bourg, donc était tout de même un peu connu. Là-bas, il travaillait dans une usine de matelas et ma mère était gérante d’un bar derrière la mairie, qui appartenait au président du club. Et Henri Guérin, qui entraînait Rennes et allait bientôt prendre en charge l’équipe de France, l’a suggéré au président du FC Nantes en voyant ses beaux résultats (NDLR : Noyen est passé de la 1re division de district à la DH). Mon père n’a jamais été un homme d’argent, il se trouvait bien dans son petit club de patelin. Il serait resté si le président avait accepté de vendre le bar pour qu’on en soit les propriétaires. Mais il n’a jamais voulu. Comme cela ne s’est pas fait, papa a choisi de venir à Nantes. Comme quoi, ça tient à peu de choses…

Et donc, vos premiers souvenirs sur un terrain ?

Mes premiers souvenirs de football remontent au moment où j’ai rejoint le FC Nantes, j’avais 11 ans, c’était en 1963. C’était M. Zaetta qui s’occupait des jeunes, donc j’ai grandi sous ses ordres, tout en ayant mon père pas très loin. En 1969, j’ai commencé avec les pros, pendant l’éclosion de Bertrand-Demanes, Gardon, Rampillon… Il n’y avait pas de centre de formation, que des stagiaires pro rassemblés en gros. Il y avait Raynald Denoueix, Georges Eoet, j’en oublie. C’était novateur, nous étions une quinzaine, presque logés chez l’habitant. Les prémices de la formation d’aujourd’hui en quelque sorte, oui. Quand je suis parti en 1974, il y avait des structures en place pour faire de la vraie formation.

Quand Nantes vient le chercher en 1960, alors qu’il est coach d’une équipe de DH, la nouvelle ne suscite pas un enthousiasme général, tout comme ses méthodes avant-gardistes, non ?

La seule chose qui me revienne, c’est que pour l’un de ses tout premiers matchs, il en avait pris dix à Boulogne (10-2) et avait changé dans la foulée de système (NDLR : pour adopter le 4-2-4, comme l’équipe du Brésil de 1958, et délaisser le WM). Après, est-ce qu’il était avant-gardiste ? Je pense. Dans le jeu sans ballon, à trois, en mouvement, c’était assez nouveau. J’ai joué dans d’autres clubs, et bien longtemps après que Nantes ait adopté ces nouveaux concepts, ces équipes évoluaient encore avec un stoppeur et un libéro, le marquage individuel… Dès le début des années 60, ce n’était plus le cas à Nantes. Mon père a été un précurseur à ce niveau-là, sur l’alignement, la défense en zone, le hors-jeu. Quand Budzinski jouait en défense centrale, on voyait la ligne de quatre qui montait le plus haut possible. C’était assez déroutant.

Avait-il des maîtres à penser, des sources d’inspiration particulières en matière de football ? On a parlé de Bill Shankly, le mythique entraîneur de Liverpool…

Je ne me souviens plus, mais maintenant que vous le dites, oui, ce n’est pas impossible. Il était très lié à une époque à Georges Boulogne, mais ce n’était pas non plus un maître à penser. Par contre, le jeu du grand Liverpool de l’époque lui plaisait, c’est clair. Tout comme ce que faisait Snella à Saint-Étienne. Mais là encore, je ne dirai pas que c’étaient des sources d’inspiration pour lui.
Qu’une seule séance sans ballon par semaine

C’est alors que se forge le fameux jeu à la nantaise. On le définit comme un style offensif, fait de jeu court, de mouvement, de justesse technique et tactique, etc. Mais n’est-ce pas avant tout un état d’esprit et l’idée d’aller plus loin dans l’aspect collectif de ce sport ?

Oui. Déjà, le jeu sans ballon, prépondérant dans cette philosophie, était un moyen d’intéresser ceux qui n’avaient pas le ballon, de les préparer à recevoir, à faire des courses. Avant ou ailleurs, c’était bien plus stéréotypé avec du marquage individuel, un stoppeur, un libéro et j’en passe… Sa façon d’entrevoir était novatrice. Maintenant, quand on parle de jeu à la nantaise, c’est présent partout, c’est la base de toutes les équipes. La défense du PSG actuel joue comme le faisait le Nantes d’Henri Michel. Quant aux entraînements, pour arriver à ce jeu, c’était toujours avec le ballon et du jeu. Je me rappelle qu’on n’avait qu’une seule séance sans ballon par semaine, le jeudi matin, dans le parc de Procé.

Est-ce qu’il y a des matchs particuliers, des moments précis qui vous ont rendu fier de votre père et de son équipe, durant ses 16 années au FCNA ?

Oui, il faudrait que je revérifie les stats, mais à chaque fois que je revenais à Nantes avec les clubs dans lesquels je jouais, je prenais de belles volées (rires). C’était impressionnant. Quand on venait à Marcel-Saupin, on savait qu’on allait passer un sale moment.

Question piège : qui de José Arribas, Jean-Claude Suaudeau ou Raynald Denoueix a-t-il le mieux usé de ce fameux jeu à la nantaise selon vous ?

C’est compliqué, je ne mettrais pas de personne en avant. Je dirais que Coco a été au milieu de terrain le relais de mon papa en tant que joueur. Il est devenu plus tard entraîneur de la réserve, puis des pros. Je dirais qu’il est juste question de continuité. Mon père en était l’instigateur, et Coco a prolongé la chose. Et comme Raynald a bénéficié des entraînements de papa…

Petit bémol, José Arribas n’a jamais trop brillé en Coupe d’Europe et buté à plusieurs reprises en finale de Coupe de France. Est-ce qu’il s’expliquait ces échecs ?

Je pense qu’à l’époque, c’était plus un esthète que quelqu’un qui veut absolument la gagne, même si c’est convenu en football de dire qu’on souhaite gagner… Peut-être que la coupe, ce sont des matchs particuliers alors que le championnat récompense fatalement le plus méritant. La coupe fait appel à d’autres valeurs, parfois cultivées plus facilement dans d’autres clubs, comme le combat, la force mentale, Nantes étant plus axé sur la circulation de balle, le jeu rapide.
Marseille était déjà ce club où l’affectif n’avait pas lieu d’être

Comment a-t-il vécu son départ de Nantes pour Marseille en 1976 ?

Il l’a vécu avec une forme d’excitation. Déjà à l’époque, comme de tout temps, l’OM a été un club avec un environnement passionné. Est-ce que c’était un défi personnel ? Je ne sais pas, avec le recul, je peux par contre dire qu’y aller, c’était une connerie (rires). Quand on voit toute l’histoire de l’Olympique de Marseille, s’il y a bien un endroit où la continuité et le temps pour travailler sont des vains mots, c’est bien celui-là (rires).

L’expérience tourne court et votre père est licencié avant la fin de saison…

(Il coupe) Oh ça a été très rapide, ça s’est fait à la trêve, ce qu’on appelait alors pas encore le mercato hivernal. Donc la fin de saison, il ne l’a pas vue.

Comment l’a-t-il vécu ?

Il était un peu dégoûté, car cela s’est fait dans une atmosphère délétère, je m’en souviens, et mes frères, plus jeunes, qui étaient là-bas avec mes parents, doivent s’en souvenir mieux que moi (NDLR : le frère de Claude, José, évoque lui aussi une période très dure, « où chacun tirait la couverture à lui » , notamment avec des articles dans la presse, et une atmosphère humaine et amicale au sein du club phocéen aux antipodes de l’atmosphère chaleureuse de sa période nantaise, les anciennes générations coachées par José Arribas se côtoyant encore pour la plupart à la Beaujoire les soirs de matchs). Ça a été une sale période. Dans l’état d’esprit, ça n’engage que moi, mais Marseille était déjà un peu aussi ce club où l’affectif et le sentiment de reconnaissance n’avaient pas lieu d’être. Quand ça ne va plus, on ne vous reconnaît plus, on vous intente des procès… Je pense qu’il n’a pas réussi parce qu’il n’a pas eu le temps. Après, est-ce qu’il y avait du sous-marin dans le club ? C’est possible, oui.

Ensuite, votre paternel termine sa carrière sur un bail de quatre ans à Lille, qu’il fait remonter en première division…

Il a bien bouclé la boucle. Il est arrivé dans un club où il y avait une bonne mentalité, qui laissait le temps de travailler. Dès lors, il n’y a pas de mystère. Il ne pouvait pas travailler seulement six mois, comme une solution d’urgence. Il lui fallait le temps de mettre en place ses préceptes.

Finalement, avec le recul, qu’est-ce qui définit mieux l’œuvre laissée par José Arribas ?

Le plaisir de jouer collectivement, c’était ça, papa. Le jeu prime sur les résultats, ce qui ne serait plus possible aujourd’hui. Et c’était très apprécié cette mentalité, d’où le fait qu’on en fasse toujours référence en 2014.
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