- Ces buts qui ont marqué le football
Buts de légende (8e) – Le bijou collectif de Cambiasso
Le 16 juin 2006, au bout d'une séquence de 24 passes, Cambiasso vient conclure le plus beau mouvement de jeu collectif jamais aperçu en Coupe du monde. Une démonstration qui vaut aux Argentins de récolter le titre de grands favoris dans un tournoi qui en cherchait. Autrement dit, le début des ennuis pour les Peker boys.
Esteban Cambiasso : Argentine – Serbie et Monténégro (Coupe du monde, 16 juin 2006, 6-0)
Le 30 juin 2006, à Berlin, au bout d’un quart trop tendu pour être disputé l’esprit libre, Cambiasso envoie son pénalty sur Lehmann et scelle un peu plus les étranges fiançailles entre l’Argentine et la lose en Coupe du monde – comme en 2002 et en attendant 2010. Sur le coup, on ne se prive pas pour ressortir l’aphorisme de circonstance, celui qu’on sait et qui dit que les Allemands ne peuvent pas perdre avant la fin. On a tort et Jorge Valdano ne se prive pas de le rappeler depuis sa chronique du Guardian. Car lui sait ce qu’une victoire sur la Mannschaft signifie. Il l’a même vue de près, vingt ans plus tôt, à Mexico : « Nous, les Argentins, nous aimons le ballon plus que le jeu, et, par conséquent, le dribble plus que la passe. » Une réponse en forme de coup de canif à l’adresse de l’ancien chauffeur de taxi Pékerman, qui vient d’envoyer son Albiceleste dans le décor sur un programme : « Un Mondial, ce n’est pas un concours d’échange de roses, mais plutôt des passes face à un taureau. » De passes et de mise à mort, il n’était question que de ça sur le but-manifeste marqué par Cambiasso à la 31e minute du match face à la Serbie et Monténégro, quinze jours plus tôt. Vingt-quatre passes pour être précis, à partager entre neuf joueurs, qui ont eu vite fait de situer les Peker boyslargement au-dessus du groupe de la muerte qui leur était promis, avec la Côte d’Ivoire et les Pays-Bas dans le lot.
Toque total
Sur le coup, on suspecte les Serbo-Monténégrins d’avoir été un peu trop masos. La faute à cette déroute inédite pour une sélection européenne qui vient de s’en prendre six dans le buffet en Coupe du monde. Mauvais procès comme viendra le rappeler leur sélectionneur, Petrović, en fin de partie : « C’est la pire journée qu’ait passée cette génération de joueurs. Nos adversaires ont été meilleurs partout. » Façon discrète de solder les comptes d’un football serbe qui frayait parmi les possibles sensations d’avant tournoi : une phase de qualification survolée facile, renvoyant l’Espagne à la deuxième place, avec un seul but encaissé en dix matchs. Dans le genre victime expiatoire, il y a mieux. Mais l’histoire est à ranger côté détails, comme le score d’ailleurs, tant il faut célébrer une démonstration suffisamment limpide pour prendre des allures de triomphe annoncé pour l’Albiceleste en Allemagne.
On pourra toujours se dire après coup que ce monument de toque total a pu servir de bande-annonce au tiki taka totalitaire une fois qu’il se sera barré chez la Roja. En vrai, ce but regarde d’abord dans le rétro. Du côté de deux épisodes retentissants qui ont eu la peau de deux des plus belles générations que l’Argentine ait jamais portées. Le premier, en septembre 1993, quand la Colombie de Maturana vient emporter les Gauchos en plein Monumental sur une leçon de toque (5-0). Au milieu, Valderama qui cale le rythme lancinant de son équipe sur celui de ses passes pour mieux envoyer ce modèle d’attaquant post-moderne, Asprilla, semer la zone devant les buts de Goycochea. Le second épisode renvoie au petit tour et puis s’en va de la sélection de Bielsa en 2002, survolant les qualif’ en zone Am’ Sud avec sa mécanique en 3-5-2 montée à la façon des plus grandes partitions ajacides pour mieux se crasher sitôt le pied posé en Asie.
Argentine fantasmée
À sa manière, ce but reprend les affaires là où l’Albiceleste les a foirées. D’abord, en faisant triompher cette idée qui voudrait que le niveau d’une équipe se mesure enfin à son QI. Le mouvement touche tellement à la perfection, entre une première phase de transmissions destinée à étirer le bloc adverse pour mieux le faire éclater à la première accélération venue – celle de Sorín au bout de dix-huit passes – qu’elle ne manque pas de ravir les partisans d’un foot cérébral. Avant de se rendre compte que, si le charme opère, c’est aussi parce que les Argentins savent y faire pour que l’intelligence du mouvement se laisse gagner par l’émotion. Et la douceur de Riquelme y est pour beaucoup. C’est d’ailleurs une des nombreuses promesses qui couvent sous le feu des passes, celle de Juan Roman enfin à son affaire pour mener jusqu’au triomphe cette Argentine fantasmée qui prend plaisir à jouer les érudites pour mieux se laisser aller à la légèreté.
Pour dire vrai, c’est peut-être là que se situe le vrai génie de ce but, immédiatement porté au rang de trésor national par tout un pays. Comme s’il ne valait que pour celui qui le regarde. La preuve avec Guardiola qui préfère voir déjà plus loin, du côté du Mexique de La Volpe, sélection sans qualité ni faiblesse, qui aura raison de la splendeur argentine quelques jours plus tard, en huitièmes. Ou avec Maradona qui s’allume un havane du haut des tribunes de Gelsenkirchen pour célébrer la seule victoire à l’œuvre. Celle du temps gagné sur la vie quand on n’a pas à se battre pour ne pas la perdre.
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Serge Rezza