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« Le football allemand doit s’engager contre l'extrême droite »
Membre de l’association allemande Gesellschaftsspiele qui travaille pour « l'éducation politique par le football », et ancien assistant parlementaire au Bundestag, David Hoffmann appelle le football allemand à se mobiliser contre l’Alternative für Deutschland (AfD) : à l’approche d’élections européennes et régionales décisives, le parti d’extrême droite n’a jamais été si populaire outre-Rhin.
Qu’est-ce que la « Gesellschaftsspiele » ?
C’est une association de plusieurs centaines de membres, basée à Berlin et qui agit de différentes manières pour réaliser un travail d’éducation politique par le football grâce aux groupes de supporters. On organise des interventions auprès des jeunes dans les écoles ainsi que des débats pour traiter de sujets tels que le racisme dans le football ou l’importance des groupes de supporters dans les manifestations publiques en Allemagne.
Il y a quelques jours, des centaines de milliers de personnes ont d’ailleurs défilé à Berlin et dans le reste de l’Allemagne. Pourquoi ?
Fin janvier, le média d’investigation Correctiv révélait la tenue d’une réunion secrète organisée par des membres de l’AfD, le principal parti allemand d’extrême droite. Lors de celle-ci, plusieurs militants et politiciens ont débattu d’un projet d’expulsion massive de personnes ne correspondant pas à leurs idéaux raciaux. De telles révélations ont profondément choqué la société allemande qui, par son histoire si particulière, doit absolument dénoncer ce genre d’idéologies. C’est ce qu’ont fait des milliers d’entre nous à Berlin, Munich et beaucoup de petites villes. Je suis particulièrement heureux d’avoir vu les gens descendre dans les rues à Iéna ou Dresde, principales villes de Thuringe et de Saxe où vont se tenir de très importantes élections régionales et où l’AfD est en tête dans les sondages. Pourtant, les services de renseignements ont eux-mêmes identifié une frange de l’AfD comme « extrémiste » d’un point de vue légal. Et en Allemagne, ce n’est pas un mot que l’on prend à la légère.
Vous avez vous-même appelé à manifester aux côtés de votre association à Berlin. Votre appel a-t-il été entendu ?
Oui, plus qu’on ne l’aurait espéré. On a participé à une grande alliance de plusieurs organisations appelée « Hand in Hand ». Son objectif était de réunir un maximum de manifestants dans les rues de Berlin. Pour y parvenir, la Gesellschaftsspiele a lancé un appel aux clubs et organisations de supporters de la capitale. Trente d’entre eux ont rejoint notre initiative en seulement quatre jours. Durant les jours suivant les manifestations, de nouveaux clubs comme le Borussia Berlin nous ont apporté leur soutien. Je pense qu’il y aura de nouvelles manifestations prochainement et que nous serons bien plus d’une trentaine d’organisations liées au football berlinois à marcher contre l’AfD.
Pourquoi le football doit-il tenir une place si importante dans ces mouvements ?
Le football – et le sport en général – rassemble les gens. On se fiche de savoir d’où l’autre vient et ce à quoi il ressemble. Mais l’extrême droite essaie d’utiliser le football différemment. Elle en fait une arme de division. Dans certains clubs où elle tente de s’infiltrer, surtout dans l’est du pays, elle veut faire du football un loisir réservé aux hommes blancs sans origine étrangère. C’est pourquoi il est si important que le football allemand montre ses véritables valeurs en manifestant contre l’AfD et ses idéaux.
Y a-t-il des clubs reconnus comme des soutiens de l’AfD ?
Il y a des groupes de supporters, par exemple au Hansa Rostock, qui s’illustrent par des chants racistes et qui entretiennent un souvenir nostalgique des émeutes de Rostock (en 1992, un foyer pour demandeurs d’asile y avait été attaqué par plusieurs centaines de militants d’extrême droite, N.D.L.R.) dans les tribunes. Au sein de l’Énergie Cottbus, il existe aussi une frange d’ultras soutenant l’extrême droite, mais leurs idées sont combattues par d’autres groupes de supporters du club. Ces supporters-là ont tout mon respect.
De nombreux clubs comme le Werder, l’Eintracht ou le FC St. Pauli ne cachent pas leur engagement politique à gauche, et affichent leur soutien aux manifestants. Est-ce leur rôle ?
Oui, et c’est très important. Comme je le disais plus tôt, si les plus hautes institutions allemandes sont capables de qualifier une partie de l’AfD comme « extrémiste » et dangereuse pour la Constitution, pourquoi les clubs n’en seraient-ils pas capables ? Malheureusement, beaucoup de clubs estiment encore que le football n’est pas politique et qu’il ne faut pas tout mélanger. Un tel positionnement n’est plus acceptable.
En juin débutera l’Euro en Allemagne, quelques jours après les élections européennes, mais avant les élections régionales de Thuringe, de Brandebourg et de Saxe. La compétition et les performances de la sélection à domicile pourraient-elles avoir une influence dans les urnes ?
L’AfD tente de tourner à son avantage la question nationaliste autour de la Mannschaft à l’Euro 2024. C’est pourquoi je pense qu’il faut réfléchir à la manière dont il faudra célébrer les performances de la sélection, s’il y en a. Il ne faut surtout pas que l’AfD puisse en bénéficier. Cet Euro doit être celui du partage et de la concorde entre les peuples, pas celui de la division prônée par l’extrême droite. La Fédération allemande de football doit donc, elle aussi, se démarquer clairement de l’AfD pour défendre la démocratie.
Propos recueillis par Amaury Gonçalves