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Buffet : « Le sport reflète le sexisme de la société »

Propos recueillis par Adrien Pécout
Buffet : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le sport reflète le sexisme de la société<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Trop de préjugés entourent encore le foot féminin. La députée communiste de Seine-Saint-Denis Marie-George Buffet, ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports, dresse ce constat sans appel en répondant à nos questions. Elle vient de préfacer le livre de la journaliste Fabienne Broucaret, "Le sport, dernier bastion du sexisme ?" (éditions Michalon, 2012). Interview à quelques heures du match amical de ce soir, à Orléans, entre les joueuses de l’équipe de France et la Roumanie.

Le 25 juillet, les footballeuses françaises entameront les JO de Londres. Depuis la Coupe du monde 2011 où elle a fini 4e, on présente souvent cette équipe comme le contre-exemple vertueux de l’équipe de France masculine. Que pensez-vous de cette définition ? Cette équipe de France féminine se caractérise par le fait que ces femmes n’ont pas la notoriété de leurs collègues masculins. De ce fait, elles n’ont pas non plus le même retour à l’image, elles ne sont pas touchées par le professionnalisme et l’argent qui court à vau-l’eau dans le football masculin. Leur rapport au sport est bâti différemment. Mais se contenter de dire qu’elles sont vertueuses, parce qu’elles ne touchent pas d’argent, c’est une attitude un peu naïve. Moi, j’aspire à ce qu’il y ait un véritable développement du football féminin avec, à un moment donné, une professionnalisation. Je ne vois pas pourquoi on refuserait aux femmes qui pratiquent le foot le droit d’être à plein temps sur leur pratique sportive. Déjà, si on met un salaire plafond pour les footballeurs, on va récupérer de l’argent pour payer les filles, ça, je peux vous le dire (Rires).

La professionnalisation des joueuses ne risque-t-elle pas d’entraîner les mêmes dérives que dans le football masculin ?Chez les garçons, le problème, ce n’est pas trop le fait qu’il y ait du foot professionnel. Ce qui pose problème, c’est que ce foot professionnel n’a aujourd’hui plus de limites, un peu comme la spéculation. Les joueurs sont devenus les actifs de ces sociétés anonymes qu’on appelle encore clubs, mais qui sont avant tout des sociétés anonymes. On les vend, on les prête, on les achète. Les agents servent les intérêts des clubs, des joueurs, tout se mélange. Donc il faudrait que les filles entrent dans le foot professionnel avec des règles beaucoup plus strictes, qui s’appliqueraient aussi aux hommes.

Depuis 2009, même si en France le statut pro n’existe toujours pas pour les footballeuses, certaines joueuses sont désormais rémunérées grâce à des contrats fédéraux. En parallèle, d’autres joueuses de D1 féminine continuent de faire du foot sans rémunération. Regrettez-vous ce développement à double vitesse ?Soyons clair, le foot féminin est encore très peu développé. Il y a énormément de clubs amateurs où il n’y a pas de sections féminines, où l’on fait des tentatives, puis, comme il n’y a que quelques filles, on les fait jouer avec les garçons, et elles se découragent. On dit alors : « Bah, on a essayé, mais c’est pas possible » . Il faudrait que la Fédération française de foot fasse un effort majeur pour aider les clubs. Mais ça demande une volonté politique, une orientation de la Fédération beaucoup plus importante que ça n’est le cas aujourd’hui, une action des élus locaux, etc.

Les contrats fédéraux n’ont-ils pas finalement un effet pervers ? Seuls quelques clubs ont les moyens de proposer ce type de contrat. Et encore, excepté à Lyon, le montant des salaires oblige les joueuses à compléter leurs revenus avec un travail à côté du football… A part Lyon, le football féminin français, c’est quand même le grand vide. On n’y arrivera pas comme ça. Si on se contente du système actuel, on aura quelques équipes féminines qui seront un peu dans la lumière, mais on ne construira pas un véritable championnat qui a de la visibilité. Si on veut faire un vrai championnat de foot féminin, il faut d’abord qu’on ait la pépinière, il faut que ça pousse dans les clubs amateurs. Et seulement ensuite, on devra faire en sorte que la quasi-totalité des clubs pros masculins, et puis même ceux de CFA, etc, développent des structures féminines.

Six des douze équipes engagées en D1 féminine la saison prochaine appartiennent à un club pro masculin. A terme, chaque club pro masculin se dotera-t-il d’une section féminine ?Ne faisons pas une création artificielle de sections féminines dans tous les clubs professionnels à coup d’argent, essayons que le foot féminin se développe en premier dans le foot amateur. Si on veut que chaque club professionnel ait son équipe féminine, il faut d’abord que l’on remplisse le réservoir. Et pour ça, il faut déjà qu’on réussisse l’accueil des petites filles. Ce serait une bonne enquête à faire pour la FFF : combien de clubs amateurs locaux ont des benjamines ou des minimes ? Si on dépasse les intérêts partisans de chaque club, il vaudrait mieux que deux ou trois communes se disent : « Voilà, on a une dizaine de petites filles inscrites, on rapproche nos moyens et on accueille toutes ces petites gamines au même endroit pour former une équipe » .

Le développement du foot féminin passe donc plus par la base que par le sommet ?Les collectivités territoriales, qui sont l’une des principales bailleuses du sport français, peuvent encourager la pratique du foot féminin avec des subventions ou l’attribution d’infrastructure. Mais encore faut-il que tous ces décideurs, ou ces décideuses, aient envie. Je ne pense pas que ce soit une période d’acquis pour les droits des femmes. Je pense plutôt qu’on vit une période de stagnation dans les mentalités. J’ai vu lors de débats avec les jeunes les a priori encore omniprésents sur la pratique féminine du sport. Ça demande aussi qu’on ait une campagne d’idées sur le sport comme source d’épanouissement. Et le meilleur lieu pour faire une campagne de prévention c’est quand même l’Education nationale. Je pense que l’Education physique et sportive à l’école peut être un moment où l’initiation à la pratique sportive aide à faire tomber les clichés.

Le sport est-il bien le dernier bastion du sexisme, comme se le demande le livre que vous avez préfacé ?Il reflète le sexisme dans la société. En politique, il y a aussi des barrages énormes parce que la femme serait censée rester au foyer, tandis que l’homme devrait s’occuper des affaires de la cité. Mais là, la femme peut se « déguiser » en homme assez facilement. Dans le sport, non. Le sport, c’est le corps. Et donc tout ce qui tourne autour du corps féminin – ce corps féminin fait « pour » engendrer – explique que les barrages culturels sont encore plus forts en sport que dans d’autres domaines. A cela s’ajoute la notion de pouvoir, et là on rejoint le politique, car ce sont les hommes qui dirigent la plupart des fédérations sportives.

A propos de corps, que répondez-vous à ceux qui estiment le football féminin trop peu physique, trop peu technique, pour être retransmis à la télévision ?Dans des pays où le foot féminin se pratique depuis longtemps, et où il est un sport de masse, comme les USA, le niveau technique est très bon. Bien évidemment plus le vivier de femmes pratiquant le foot est grand, plus il y a de compétitions, et plus les joueuses gagnent en technicité. Est-ce qu’elles développeront un jeu à l’identique des hommes ? Pourquoi elles ne seraient pas aussi rapides que les hommes ? Pour l’instant, on en est tout au début. Vous savez c’est un peu comme l’idée en politique que les femmes seraient moins compétentes, ou moins disponibles. Dans la réalité, le travail domestique pèse plus sur les femmes que sur les hommes. Le nombre de fois où on s’est inquiété des études de mes enfants parce que j’étais le soir en mairie, c’était extraordinaire… Comme si j’étais la seule à pouvoir suivre les études de mes enfants !

L’été dernier, vous avez signé la pétition « Pas de filles hors-jeu » pour que la Coupe du monde de foot féminin soit reconnue par le gouvernement français comme un événement sportif majeur et qu’une large partie du public ait donc la possibilité de la suivre gratuitement. Est-ce que vous avez réussi à modifier ce décret de 2004 qui détermine les rendez-sportifs à retransmettre en priorité ? Pas encore. On va se tourner vers Valérie Fourneyron. Maintenant qu’elle est là, Valérie (nouvelle ministre des Sports, ndlr), j’espère qu’elle va nous aider. Je pense que, sur le fond, il n’y aura pas de problèmes. Il suffit de changer le décret, ce qui peut être très rapide. C’est bien que l’association « Femmes solidaires » ait eu l’idée de cette pétition, car, dans l’histoire du féminisme, le sport a souvent été mis de côté. Dans les BD, dans les films, toutes les images liées au foot montrent des garçons qui jouent au ballon. Il faudrait encore plus donner à voir des filles qui font du foot. Hier, j’étais à une fête de quartier. Il y avait un tournoi de foot pour les garçons, le matin et l’après-midi. Et les filles, entre deux matches de foot, faisaient de la danse…

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Propos recueillis par Adrien Pécout

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