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Bucarest 95 ou le mythe du match fondateur
En octobre 1995, la France s'imposait à Bucarest et se qualifiait ainsi pour l'Euro 96, qui devait ensuite les porter jusqu'aux nues de 1998. Un match fondateur auquel Didier Deschamps a participé et auquel il reconnaît aujourd'hui un petit frère : le France-Ukraine de 2013, qualificatif pour la Coupe du monde. Deux matchs fondateurs, pour deux destins similaires ? Une question qui trottait dans la tête du sélectionneur à la veille de retrouver la Roumanie.
Les carrières d’Anghel Iordănescu et de Didier Deschamps, les deux sélectionneurs qui officieront lors du match d’ouverture de l’Euro 2016, ce vendredi, se sont déjà croisées, mais c’était en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Il y a eu la victoire des Bleus pour leur premier match de poule du championnat d’Europe 96 à Newcastle, mais la première rencontre, la plus importante, a eu lieu le 11 octobre 1995 à Bucarest. Iordănescu est sur le banc, déjà, et Deschamps sur le terrain. C’est ce dernier qui, peu avant la demi-heure de jeu, transmet du bout du pied à Zidane, qui centre vers un Karembeu mort de faim, s’arrachant pour inscrire à la fois le premier but du match et le seul de sa carrière internationale. La rage de marquer est palpable. Peut-être parce que les Bleus ont plus que jamais besoin d’une victoire.
Un mois plus tôt, alors qu’ils menaient pourtant 3-0 à la mi-temps de leur match précédent contre l’Azerbaïdjan à Auxerre, leur sélectionneur Aimé Jacquet a poussé une gueulante : « Si vous ne voulez pas faire plus, si vous ne pouvez pas, ce n’est pas la peine d’aller en Roumanie. Là-bas, vous allez vous faire bouger, je vous préviens. 3-0 à la mi-temps, à Auxerre, contre l’Azerbaïdjan, ça ne prouve rien. Vous devez être méchants, doubler, tripler la mise. Faites savoir aux Roumains que vous êtes remontés à bloc et que vous ne doutez de rien ! » Deschamps et les autres finissent à 10-0, la plus grosse tôle de leur histoire, mais ils en veulent plus. À cause de leur début d’éliminatoires pourri, ils ont à tout prix besoin de l’emporter pour se qualifier pour l’Euro, deux ans après le traumatisme bulgare de 93. La Roumanie, elle, reste sur un quart de finale de World Cup aux USA, n’a plus perdu à domicile depuis cinq ans et – c’est Georghe Hagi lui-même qui l’assène – a « 99% de chances de gagner » contre la France.
Cliché or not cliché
C’était sans compter sur le bout du pied de Deschamps ni sur la hargne de Karembeu. Pas plus que sur la combativité d’un Djorkaeff, qui s’arrache pour pousser au fond des filets une frappe de Dugarry repoussée par le gardien roumain avant la pause, ou sur le missile envoyé en lucarne par Zidane en deuxième période, pour une victoire 3-1 synonyme de qualification. « C’était un match très important, se remémore Didier Deschamps à la veille d’un nouveau match important. On se devait de le gagner et on l’avait fait. Après, on s’était construit par rapport à ce match, qui était charnière. » Où l’on retrouve le cliché du « match fondateur » . Un cliché basé sur un beau socle de précédents, cela dit. La France de 98 en avait donc un. Celle qui a atteint la finale de la Coupe du monde 2006 avait son premier déplacement en Martinique, le 9 novembre 2005 contre le Costa Rica. La France de 2010 n’en avait pas, éliminatoires glauques et main de Thierry Henry obligent.
Les Bleus qui s’avancent aujourd’hui en favoris d’une nouvelle compétition à domicile en ont-ils un ? « S’il y en a un, vous le savez, c’est France-Ukraine, répond Didier Deschamps depuis l’auditorium d’un Stade de France qui fut le théâtre du renversement de situation du 19 novembre 2013. Pour ceux qui étaient là, évidemment que ce match retour contre l’Ukraine a changé pas mal de choses, outre le fait que l’on soit à la Coupe du monde, et a marqué les esprits. » À bien y regarder, la victoire de 2013 a quelques points communs avec celle de Deschamps et ses potes en 1995. L’attitude de chiens enragés des joueurs sur chacun des buts inscrits. La qualification in extremis pour la phase finale d’une compétition qui servira de préparation à une équipe en reconstruction, deux ans avant un tournoi organisé en France. Bien sûr, les mauvais esprits argueront que les héros de 2013 (Sakho et Benzema) ont été (auto-)exclus de la grande aventure finale, au contraire de ceux de 1995. L’équipe de France n’a donc plus qu’à chasser les mauvais esprits si elle veut surfer la vague du « match fondateur » .
Par Thomas Pitrel, au Stade de France