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Brwa Nouri, fin du noir

Par Maxime Brigand, à Östersund
6 minutes
Brwa Nouri, fin du noir

L'histoire du capitaine de l'Östersunds FK, qualifié surprise pour les seizièmes de finale de la Ligue Europa, possède de sacrés mots-clés : Saddam Hussein, toxicomanie et Lac des cygnes. Entre autres.

Fin novembre, dans un club-house qui sert de refuge, sans doute le seul endroit du coin où l’on peut éviter les crochets d’un froid qui frappe la gueule dès la sortie de l’aéroport. Dans un peu plus de dix heures, le lieu servira de première loge à un exploit dansant avec les frontières du réel. Capuche posée sur le bord du crâne, sweat serré, Brwa Nouri vient de réviser les derniers détails d’une opération débutée début juillet et qui, le soir même, prendra un virage démentiel : relégué en quatrième division suédoise en octobre 2010, l’Östersunds FK est aujourd’hui un seizième-de-finaliste de la Ligue Europa et affrontera le 15 février prochain Arsenal, dans sa Jämtkraft Arena, où le clan n’a perdu qu’une seule rencontre depuis un an.

« Au départ, les gens ici ne se rendaient pas compte de ce qu’on était en train de faire, souffle Nouri. Tout a changé depuis notre montée en Allsvenskan, il y a deux ans. Je suis fier de ce qu’on a créé, mais les gens regardent avant tout le succès, et ne connaissent pas forcément la route que l’on a dû emprunter pour en arriver là. Qui aurait pensé qu’un jour, on ferait la queue pour entrer au stade ? » Personne, sauf peut-être le président du club, Daniel Kindberg, qui, après avoir récupéré la barre du club en 2010, n’hésitait pas à parler de « Ligue des champions » dans une ville où le seul pic sportif représentait alors une étape annuelle de la Coupe du monde de biathlon. Il y a sept ans, Brwa Nouri, lui, refait progressivement surface et tente de « sortir de l’obscurité » : l’homme vient de boucler une thérapie et un traitement pour lutter contre sa toxicomanie.

Sadam Hussein et abandon

La vie d’un footballeur, ses inconnues et la trajectoire qui en dépend : à la fin des années 1980, en pleine guerre entre l’Irak et l’Iran, Sadam Hussein ordonne l’exécution massive des Kurdes, dont le génocide aura pour ligne rouge le bombardement aux gaz chimiques de la ville d’Halabja, le 16 mars 1988. Nouri : « Moi, je viens d’Ourmia, une ville du nord-ouest de l’Iran. On s’est enfui avec ma famille à cette période avec plusieurs réfugiés, en Suède, à Göteborg. C’est là que mes parents ont divorcé, j’ai ensuite suivi ma mère à Stockholm. » Brwa Nouri y commence le foot, dans la rue d’abord, avant de filer à l’AIK, géant national aux onze titres de champion de Suède.

La suite, un bordel : en 2002, alors qu’il a 15 ans, l’ado est condamné une première fois pour coercition avec plusieurs compagnons de route ; quatre ans plus tard, seconde lame pour trafic de drogue. « Le foot était différent, je n’arrivais pas à jouer régulièrement et j’ai cherché de l’argent ailleurs, dans la rue, à Stockholm. J’essayais de fuir ma frustration, un sentiment d’abandon. Je ne savais pas que j’étais accro, je ne le montrais pas. Mais quand tu passes la nuit dehors, que tu rentres chez toi à huit heures, tu dois être deux fois plus fort sur le terrain. Ou partir. » Après l’avoir baladé à trois reprises en prêt, l’AIK se sépare de Nouri. Le Dalkurd FF intervient, le récupère, l’aide, lui finance un traitement et lui se « sauve » par le foot. Comment ? « Le foot était en fait le seul endroit où tout disparaissait. » Et grâce à quoi tout a basculé.

Le café, le Lac des cygnes et le courage

En 2014, Graham Potter, entraîneur britannique récupéré à l’université de Leeds quelques années plus tôt par Kindberg, le contacte. La saison vient de se terminer, Brwa Nouri veut quitter Dalkurd, il pense à se rapprocher de Stockholm, veut prouver à ses proches qu’il a changé. Une rencontre : « On s’est installés dans un café et on a parlé pendant deux heures. De tout, de la vie, pas trop de foot. Comme deux personnes normales. Après cet échange, j’étais convaincu et j’avais un peu rien à faire d’où était Östersund. Je voulais y aller. »

Quelques semaines après son arrivée, Nouri devient le relais de Potter, son capitaine et l’homme avec qui il s’enferme systématiquement pendant de longues minutes dans une pièce pour parler de la rencontre à venir. « L’idée a rapidement été de savoir comment on pouvait utiliser le football comme lien pour obtenir des résultats et un peu plus que ça. » On touche à la spécificité Östersund où Daniel Kindberg a révolutionné le fonctionnement du club de foot, mettant en place à partir de janvier 2013 un programme de création avec ses joueurs et Karin Wahlén, l’actuelle responsable culturelle de l’ÖFK : il y aura du théâtre, de la peinture, de la danse sur le Lac des cygnes… Des outils « de réflexion, d’ouverture » selon Kindberg : « C’est une vision holistique des choses : grâce à ça, le joueur n’a ensuite plus peur de jouer, de prendre des décisions dans des situations de pression extrême, il a développé du courage. » Bingo.

« Je suis toujours debout »

Un pic, en novembre 2016, lorsque toute l’équipe est invitée au Fotbollsgalan, la cérémonie qui récompense chaque année les meilleurs joueurs et équipes de Suède : en ouverture, le groupe de Potter danse avec, au premier rang, un Zlatan qui leur lâchera un « Oh les gars, vous êtes des footballeurs ou des danseurs ? »

Oh les gars, vous êtes des footballeurs ou des danseurs ?

Peu importe, la méthode marche. « J’ai toujours su me mettre en danger, mais ça m’a permis d’ouvrir d’autres parties de ma personnalité. Rapper devant 3000 personnes, c’est difficile. Le foot, après ça, devient facile » , complète Nouri, encore blacklisté par la majorité des clubs suédois il y a quelques années. Détail : l’homme a depuis remporté la Coupe de Suède en avril 2017, vient d’enchaîner une seconde saison dans l’élite avec Östersunds (le club vient de terminer cinquième d’Allsvenskan, ndlr) et est devenu récemment le premier Irakien de l’histoire à marquer un but en Ligue Europa.

Il a aussi poussé à l’ouverture d’un cercle de littérature au club, parle de ses potes comme « d’intellectuels » et a activement participé à l’écriture du livre Min resa till ÖFK, ce qui lui a valu les félicitations de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Avant de partir, il affirme être « toujours debout » alors qu’Östersunds concassera dans la soirée le Zorya Louhansk (2-0), avec style et efficacité, dans un 4-2-3-1 où Nouri fait la paire au milieu avec Fouad Bachirou, un ex du PSG devenu star locale. L’exploit est là, la fin de l’obscurité avec.

Reportage complet sur l’ÖFK dans le SO FOOT actuellement en kiosques.

Dans cet article :
Des supporters de l’AIK assistent au match de leur équipe du haut d'une grue
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Par Maxime Brigand, à Östersund

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