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Bruno Nicolè, la météorite du football italien

Par Éric Maggiori
Bruno Nicolè, la météorite du football italien

Ce nom n'est pas forcément le plus connu du grand public. Pourtant, Bruno Nicolè a bien été l'une des pépites de la Juventus dans les années 1950. C'était la grande Juve de Charles, Boniperti et Sivori. Et Nicolè, du haut de son mètre 80 et de ses 18 ans, avait réussi à s'y faire une place de choix. Retour sur une carrière express.

Nous sommes le 9 novembre 1958. Stade Olympique de Colombes. La France, médaillée de bronze au Mondial qui s’est disputé quelques semaines plus tôt en Suède, affronte l’Italie pour un match amical de prestige. Ce sont les Bleus de Just Fontaine, Jean Vincent et Robert Jonquet. En face, c’est une Italie en pleine reconstruction, qui n’était d’ailleurs pas parvenue à se qualifier pour le Mondial. Hormis Giampiero Boniperti, pas d’immense star dans cette Nazionale qui n’a plus de sélectionneur depuis mars 1958, et qui est entraînée pour cette rencontre amicale par un trio Viani, Biancone et Mocchetti. Alors, quand Jean Vincent ouvre le score dès la 15e minute, le public colombien se voit bien infliger une correction aux Italiens. Personne, à ce moment-là, ne se doutait que ce match allait être le théâtre de l’éclosion définitive d’un joueur.

À la fin du match, un monsieur vient me voir et me donne un petit papier dans la main. Il était écrit : « Merci, au nom de tous les mineurs du Veneto qui travaillent en France ».

Un joueur de 18 ans, au gabarit moyen (1,80m) et aux cheveux bruns ondulés. Bruno Nicolè. Pour sa première sélection avec la Nazionale, le gamin plante un doublé, qu’il racontait en détail au journaliste sportif Gianni Mura en 2014. « Le premier, c’est un corner de Bean, tête de Galli, le gardien Colonna repousse, et moi, je la mets au fond, toujours de la tête. Le deuxième : Segato me passe la balle, je prolonge sur la gauche pour Bean qui me la redonne à l’entrée de la surface. Je rentre dans les 16 mètres et je frappe fort, du droit. À 2-1, j’ai même frappé le poteau. À la fin du match, un monsieur est venu me voir et m’a glissé un petit papier dans la main. Il était écrit :« Merci, au nom de tous les mineurs du Veneto (sa région natale, N.D.L.R.) qui travaillent en France ». » Ce jour-là, le mythique Gianni Brera n’y va pas par quatre chemins : « Nous avons le nouveau Piola » , écrit-il le lendemain dans la presse. Rien que ça.

Lancé dans le grand bain par Nereo Rocco

Le monde a donc découvert Bruno Nicolè ce 9 novembre 1958. Mais l’Italie, elle, l’avait découvert bien plus tôt. Le gamin naît à Padoue en 1940. Son père, Carlo, tient un kiosque à journaux à côté de la gare. Sa mère, Teresa, possède une laiterie au rez-de-chaussée de sa maison, via Castelfidardo. Dès son plus jeune âge, Bruno aime lire, et s’adonne à tous les sports. « Je faisais des courses de vélo avec mes copains, raconte-t-il, toujours à la Repubblica. J’étais bon en saut en hauteur, si je n’avais pas de devoirs, j’allais voir le Petrarca jouer au rugby. Évidemment, j’étais aussi supporter de Padova. J’allais au stade Appiani deux heures avant le match, parce que l’odeur de l’herbe me procurait des émotions, tout comme la musique qui résonnait dans les haut-parleurs. » À 14 ans, le premier rêve : il intègre les équipes de jeunes de Padova. Tout va alors très vite, trop vite. Ce sera d’ailleurs une constante dans sa carrière. À cette époque, Padova vient de remonter en Serie A et a obtenu une jolie 8e place pour fêter son retour dans l’élite. Le coach s’appelle Nereo Rocco. Un révolutionnaire qui a introduit le poste de libéro en Serie A, lors de son passage à la Triestina quelques années plus tôt.

le Padova de Nereo Rocco

Je me dis que Rocco m’a convoqué pour que je puisse vivre l’expérience de près, que je goûte au parfum des pros. On est dans les vestiaires à quelques minutes du match et il me dit : « Change-toi, tu joues. »

Si Rocco est un visionnaire, il est également très proche de ses joueurs. « Nereo Rocco était l’entraîneur de l’équipe première. Il arrivait que le soir, il passe par via Castelfidardo. Un soir, j’étais devant la porte de la laiterie familiale, et je le vois débarquer avec son ami Piero, le gérant du restaurant Da Cavalca. J’ai failli m’évanouir. Je lui dis : « Que voulez-vous boire, monsieur Rocco ? »Lui : « Un café, s’il vous plaît. » Pas de vin, je pense que la présence de ma mère l’intimidait. En réalité, il était juste venu faire une visite de courtoisie, pour me faire sentir son affection. » Quelques semaines plus tard, le 10 février 1957, Rocco le convoque en équipe première, pour un match de championnat contre l’Inter. Bruno Nicolè n’a pas encore 17 ans. Cette première chez les pros est irréelle. « Je me dis qu’il m’a convoqué pour que je puisse vivre l’expérience de près, que je goûte au parfum des pros. On est dans les vestiaires à quelques minutes du match et il me dit :« Change-toi, tu joues. »Je dois alors faire une drôle de tête, car il ajoute :« Si je te l’avais dit hier, tu n’aurais pas dormi de la nuit et là, tu serais une serpillière. Sur le terrain, fais ce que tu as envie de faire. »On bat l’Inter 3-2. »

Coup de foudre avec la Juve

Mais la première véritable consécration de Nicolè arrive le 2 juin 1957. Padova reçoit la Juventus, qui s’intéresse de près à lui.

Sur le terrain, je n’avais d’yeux que pour Boniperti. Il est, avec Rivera, le joueur italien le plus fort que j’ai pu voir. Il savait tout faire.

L’espion des Bianconeri s’appelle Giorgio Stivanello. Ce milieu de terrain a joué à Padova de 1953 à 1956, a rejoint la Juventus à l’été 1956, mais a eu le temps d’entendre parler de ce jeune garçon qui brillait avec la Primavera padovana. Stivanello a d’ailleurs mis en garde ses coéquipiers avant la rencontre ( « il court vite et dribble bien » ), et il avait raison. « Quelques années plus tôt(en décembre 1949, N.D.L.R.), j’avais 9 ans, et j’avais vu la Juve gagner à l’Appiani 2-0, avec des buts de Martino et Mari. Cette fois, je suis sur la pelouse, et on gagne 2-1. Je marque le premier but : long ballon de Rosa, je dribble Nay et Garzena et je trompe Romano. Mais sur le terrain, je n’avais d’yeux que pour Boniperti. Il est, avec Rivera, le joueur italien le plus fort que j’ai pu voir. Il savait tout faire. »

Nicolè va alors avoir l’occasion de voir Boniperti de près, au quotidien. À l’été 1957, la Juventus débourse en effet 70 millions de lires (+ le prêt de Kurt Hamrin) pour s’attacher les services de la pépite de 17 ans. Cet été-là, Nicolè n’est pas le seul à rejoindre les rangs de la Vecchia Signora. Le jeune président Umberto Agnelli fait venir un certain John Charles en provenance de Leeds, ainsi que que le joyau de River Plate, Omar Sivori. « C’était une Juve qui voulait se relancer après trois saisons compliquées (7e en 1955, 12e en 1956, 9e en 1957, N.D.L.R.). Je joue les premiers matchs avec le numéro 8, les suivants avec le 7 que j’aimais moins. Pas juste parce que je n’aimais pas ce chiffre, mais parce que je n’ai jamais été un ailier. Moi, j’étais un attaquant central. Mais là, je devais m’adapter et me taire, parce qu’au centre de l’attaque, il y avait deux monstres sacrés comme Sivori et Charles, et Boniperti au milieu. »

Ascension, apogée et déclin

À Turin, Nicolè va donc composer avec Sivori et Charles un trio qui emporte tout sur son passage. La Juve remporte son 10e Scudetto dès la saison 1957-1958. Nicolè, après une première saison d’adaptation, termine 19e au classement du Ballon d’or 1958. Deux autres Scudetti viennent s’ajouter à son palmarès, en 1960 et 1961, en plus d’une Coupe d’Italie en 1959. De 1957 à 1963, Nicolè dispute 141 matchs avec le maillot bianconero et inscrit 47 buts. Son côté proche du peuple en fait l’un des joueurs préférés des tifosi, notamment des plus jeunes. Il est également présent et décisif lors de la victoire de la Juventus en Coupe des champions 1962, sur la pelouse du Real Madrid. La première victoire d’un club italien au Bernabéu.

Ascension éclair, explosion rapide, apogée à 23 ans. Forcément, à ce rythme-là, le déclin de Nicolè ne pouvait intervenir que trop vite. Dès l’été 1963, en réalité. Les raisons ? Un mélange de blessures successives, de prise de poids et de réflexions intensives.

Footballeur, je pensais beaucoup, presque trop. Lors de mes réflexions, je me disais qu’on était bien traités, mais qu’il suffisait d’un mauvais coup sur le genou pour que tout s’arrête. Et moi, dès que je me blessais, je prenais du poids. On peut dribbler un défenseur, mais pas la balance.

« Footballeur, je pensais beaucoup, presque trop. Lors de mes réflexions, je me disais qu’on était bien traités, mais qu’il suffisait d’un mauvais coup sur le genou pour que tout s’arrête. Et moi, dès que je me blessais, je prenais du poids. On peut dribbler un défenseur, mais pas la balance.(Rires.)Et puis je pensais à Boniperti, qui disait que l’unique chose qui comptait, c’était de gagner. Mais on ne peut pas gagner tout le temps. La Juve avait changé, ma Juve avait changé. Agnelli avait démissionné en 1962, et Vittore Catella était arrivé à sa place. »

L’histoire d’amour est terminée. Nicolè quitte Turin. Pour lui, c’est une première fin. Car la suite de sa carrière est composée de prêts (Mantova), de relégation (Sampdoria) et d’expérience ratée en Serie B (Alessandria). En 1967, à seulement 27 ans, il décide de mettre un terme à sa carrière de footballeur. « Mon bilan avec le foot est en parfait équilibre, j’ai eu de la chance et de la malchance. Mais je ne peux pas me plaindre. Peut-être que tout est allé trop vite, peut-être que je n’étais pas prêt pour une carrière professionnelle. » Un météore.

Le prof et les records

J’ai enseigné à l’école primaire, au collège, au lycée. J’ai même enseigné dans une école pour handicapés. Je ne faisais pas que du sport, je faisais écrire aux élèves des rédactions, je leur demandais ce qu’ils attendaient du sport, pour mieux les connaître.

À partir du moment où il raccroche les crampons, Nicolè décroche totalement. Le football, c’est terminé. « Enfant, j’aimais le sport et j’ai choisi le football. Puis j’ai aimé le football, et j’ai choisi le sport » , résume-t-il pour expliquer la suite de sa vie. Cette suite, c’est l’éducation. Après avoir passé ses diplômes, Bruno Nicolè devient en effet professeur d’éducation physique, dans le Frioul. « J’ai enseigné à l’école primaire, au collège, au lycée. J’ai même enseigné dans une école pour handicapés. Je ne faisais pas que du sport, je faisais écrire aux élèves des rédactions, je leur demandais ce qu’ils attendaient du sport, pour mieux les connaître. Toutes ces années d’enseignement m’ont beaucoup enrichi, beaucoup plus que mes années dédiées au ballon rond. » Nicolè aime aussi écrire. Et lire, comme lorsqu’il était gamin. Depuis la fin de sa carrière, en 1967, il dit se lever tous les jours à 6h du matin et partir acheter ses journaux quotidiens. « Je vais les acheter à la gare de Pordenone ou à Portogruaro. Si le kiosque est fermé quand j’arrive, je pense à mon père, qui ouvrait le sien tous les jours à 5h, et je m’énerve. Je sais que l’on vend de moins en moins de journaux, mais je n’arrive pas à imaginer un monde sans papier, sans l’odeur du journal, sans le bruit des pages que l’on tourne. »

Bruno Nicollè fêtera ses 80 ans le 24 février prochain. De ses exploits de footballeur, il reste le souvenir d’une carrière fulgurante, des buts magnifiques, des déboulés sur son aile, des dribbles, et deux records, qui tiennent encore aujourd’hui. Celui du plus jeune capitaine de la Nazionale (le 15 avril 1961, contre l’Irlande du Nord, à 21 ans et 61 jours) et, surtout, celui du plus jeune buteur de l’histoire de la Nazionale (18 ans et 258 jours). C’était un 9 novembre 1958, contre la France, au stade olympique de Colombes.

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Par Éric Maggiori

Tous propos de Bruno Nicolè recueillis par Gianni Mura pour la Repubblica en 2014

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