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Bruno Luzi : « On a un bus à la place du jet privé »
À quelques heures du premier quart de finale de Coupe de France de l'histoire de Chambly, pensionnaire de National, retour avec son entraîneur sur l'ascension d'un club créé en famille il y a moins de trente ans.
Comment en vient-on à créer un club de toutes pièces en 1989 ?On était quelques joueurs à avoir joué à un bon petit niveau. On avait fait un peu le tour. Et puis s’est présentée cette opportunité de faire un club pas très loin de chez nous pour rigoler, jouer entre nous. Ça s’est passé comme ça avant tout. L’équipe a commencé à monter les divisions, mais, pour autant, il n’y avait pas plus que ça d’ambition. On rigolait, on se disait : « Si on arrive un jour en DH, c’est génial ! » Mais on savait qu’on n’allait pas jouer éternellement. Et puis c’est compliqué quand vous commencez dans les petites divisions. En matière d’installations, on n’avait rien, même pas de douche. C’était vraiment pour se dire : « On tape un foot entre copains. » Chemin faisant, les ambitions sont venues.
Vous étiez attaquant ?Oui, j’ai dû marquer plus de 250 buts. Avant même d’être entraîneur, on va dire que j’ai bien participé en tant que joueur. (Rires.) J’étais un avant-centre pur, adroit devant le but. Dans les petites divisions, vous recevez les ballons, vous les mettez. On avait quatre, cinq joueurs au-dessus du niveau auquel le club a démarré. Ça a bien aidé les premières années. On avait aussi des joueurs qui n’avaient jamais joué au football dans un club, ça compensait un peu. On s’est quand même sorti assez rapidement des petites divisions. Mais on a vite été confrontés à un problème : comme on avait tous à peu près le même âge, ça a commencé à coincer à un moment. Ça a été là le plus difficile parce qu’il a fallu recruter alors qu’on n’avait pas de moyens. On a pris des mecs du coin, des joueurs des équipes adverses, ceux qui voulaient bien venir jouer chez nous, en fait. Il y a eu des moments plus délicats que d’autres dans la progression du club. La dernière division départementale pour accéder en régionale, l’Excellence, c’était très compliqué notamment, comme à chaque fois qu’il y a un vrai franchissement de niveau.
Quel est le profil des joueurs de l’effectif actuel ? Ils sont tous passés par des centres de formation professionnels ?Non, loin s’en faut. J’ai encore des joueurs qui étaient avec moi en PH ou en DH. On a franchi les paliers ensemble. Il reste encore quelques dinosaures, qui s’en sortent d’ailleurs. Après, c’est vrai qu’on touche au fur et à mesure des joueurs qui ont de la bouteille en National vu que ce n’est que notre quatrième saison à ce niveau. On n’a pas encore une cellule de recrutement à proprement parler, en capacité d’aller voir des matchs dans toute la France. On voit des profils, on nous en propose aussi. Si c’est pas très loin, on essaie de voir les gens, de ne pas laisser passer un bon joueur de CFA par exemple. On n’a pas le temps de voir tous les matchs malheureusement, mais on compte mettre en place une vraie cellule de recrutement la saison prochaine.
La saison passée, votre rencontre épique contre l’AS Monaco (4-5 après prolongation, après avoir été mené 0-3, en 16e de finale) vous avait mis sous le feu des projecteurs. Vous préférez tenir la dragée haute à des cadors de Ligue 1 ou aller plus loin en avançant dans l’ombre comme cette année ? Je préfère le parcours de cette année. On est en quarts et on va finalement jouer une Ligue 1. Le problème, quand vous jouez Monaco, le PSG ou Lyon, c’est super, c’est la fête au village, mais en revanche, vous sortez. Quel est le but ? Aller loin ou jouer un gros et se faire tabasser ?
À ce compte-là, c’est mieux de prendre vite un gros en 32es et on n’en parle plus. Ce qui m’intéresse, c’est aller le plus loin possible. Cette année, on a vu beaucoup de surprises. Aller en permanence chez des CFA 2, c’est très compliqué. On le voit bien avec les Ligue 2 qui se font sortir par des CFA 2 ou des DH. Ça, on l’a bien négocié. Après, se qualifier à Châteauroux, c’est bien, c’est une Ligue 2 qui tourne pas mal. Granville, c’est un bon coupeur de têtes depuis trois ans. Une ou deux divisions sur un match, c’est rien. Quand vous jouez Monaco, c’est le prestige. Et si vous perdez, c’est normal. Là, la pression était sur nous en permanence. Si on se fait éliminer à Haguenau, on meurt bien dans l’anonymat et la neige. Je dirais qu’on a fait un parcours super sérieux. On ne dit pas assez qu’il y a de très bons joueurs dans les clubs de CFA, CFA 2 ou DH. Des joueurs qui auraient pu devenir pro. Sur la longueur d’un championnat, vous leur mettez quinze ou vingt points à ces clubs. Mais sur un match, ils ont de quoi rivaliser.
Vous retrouvez le costume de l’outsider qui n’a rien à perdre contre Strasbourg.C’est une très belle équipe. Ils étaient avec nous en National il y a trois ans. Ils ont un bon noyau de joueurs de qualité déjà présents à l’époque en National, ils n’ont pas tout chamboulé. On a un réel pourcentage de chances de se qualifier. Même si c’est 20%, c’est toujours ça. C’est une Ligue 1, j’ose espérer que le stade sera plein (le match a lieu au stade Pierre-Brisson à Beauvais, d’une capacité d’environ 10 000 places, ndlr). C’est une belle affiche et ce n’est pas perdu d’avance. Je suis dans ma logique de compétiteur. Quitte à jouer une Ligue 1, je préfère prendre Strasbourg que le PSG ou l’OM qui a mis 9-0 à une Ligue 2 (Bourg-en-Bresse, ndlr)le tour d’avant. Strasbourg est favori, doit s’imposer, mais…
Comment parvenez-vous à conjuguer le rêve de la Coupe de France et le retour au quotidien en National, où vous vivez une saison compliquée ?La Coupe de France nous a sauvés cette année en fait. Sans elle, on serait déjà largué en championnat. Parfois, ça amène des cartons, de la fatigue, des blessures, tout ce qu’on veut…
Mais, dans l’ensemble, elle a été plus que bénéfique parce qu’elle nous a permis dans un moment où on était en détresse complète de gagner des matchs. C’est tout con, mais un match gagné contre une DH, c’est un match gagné. Ça fait du bien au moral, ça vous relance un peu. Là, on vient de connaître un nouveau coup de moins bien, mais, si on n’était pas passé contre Granville, dans quel état on serait ? Le fait d’avoir encore la Coupe maintient le groupe en haute haleine. Le National est un championnat difficile, très particulier. C’est du parpaing, sans arrêt de l’impact, du box-to-box, des coups de pied arrêtés… On voit très peu de buts sur de belles actions. Ça se joue sur des détails en permanence. Ce n’est pas vraiment un championnat réfléchi pour moi. Ça envoie des deux côtés et puis voilà. Je préfère quand c’est plus posé, en place.
Le National est dans un entre-deux délicat en matière de moyens. Comment s’organisent les déplacements lointains par exemple ?Souvent, quand c’est loin, on prend le train pour y aller et on revient en bus le soir du match. C’est le problème du National. C’est une division qui est géographiquement aussi contraignante que la Ligue 1 et la Ligue 2 puisque c’est toute la France.
Mais, comme il n’y a pas les droits TV, il faut faire avec les moyens du bord. Si c’était par zone géographique, on ne serait pas obligé de se déplacer la veille, on aurait moins de dépenses, de fatigue et tout ce qui s’ensuit. Jouer l’OM pour Paris ou Marseille Consolat pour Chambly, c’est le même déplacement, sauf qu’on a un bus à la place du jet privé. La Fédération devrait peut-être réfléchir à une troisième division avec des droits TV pour que les budgets déplacements soient meilleurs. On a toujours été parmi les plus petits budgets, sauf cette saison où on est dans la moyenne basse. On doit être à 1,8 ou 1,9 million. Mais, aujourd’hui encore, nos installations sont obsolètes par exemple. Elles sont de niveau CFA 2 ou DH.
Le maintien est primordial pour vous, car on imagine que remonter de National 2 en National n’est pas une mince affaire…C’est très dur parce qu’il n’y en a qu’un qui monte par groupe. On a fait deux années en CFA. La première, on fait un championnat énorme, une saison à 101 points, mais on finit deuxième, deux points derrière Dunkerque. On avait dix ou quinze points de plus que les champions des trois autres groupes. Mais il n’y a pas de meilleur deuxième, c’est un qui monte et basta. Donc c’est plus compliqué de viser la montée de CFA en National que celle de National en L2 par exemple.
En National 2 et 3, il y a beaucoup de réserves d’équipes professionnelles. Comment les clubs amateurs appréhendent cela ?C’est au petit bonheur la chance. Lors d’une saison en CFA 2, on accueillait Sedan qui avait fait un très mauvais départ pendant qu’on avait enchaîné trois victoires. On se dit : « Cool, on va se les faire. » Et on prend 3-0. Je dis à leur coach : « T’as une belle équipe, comment ça se fait que vous galérez ? » Et il me répond : « Bah parfois, il y a les U19 qui jouent et là on avait huit joueurs du groupe pro de Ligue 2. » Donc ça dépend de ce que l’entraîneur de l’équipe première veut faire. C’est pour ça qu’à un moment, on avait entendu parler de la création d’un championnat des réserves pour ne pas fausser la compétition. Quand vous êtes une CFA, jouer des U19 ou des professionnels de niveau Ligue 2, ce n’est pas la même histoire. Donc vous ne savez jamais à quelle sauce vous allez être mangés. Nous-mêmes, on a une réserve en National 3. C’est utile pour le club. Quand vous ne faites pas jouer un joueur et que vous le redescendez avec la B pour un match de National 3, il fait un peu moins la gueule que s’il devait jouer contre la DH du coin. Et puis ça offre à nos jeunes une passerelle.
C’est un gros bol d’air financier pour un club comme le vôtre d’aller loin en Coupe de France ?Pas tant que ça. Vous savez, il faut redistribuer les primes. À chaque tour, les joueurs vous attendent ! Pour l’instant, ça n’a pas été un gros bol d’air parce qu’on a surtout rencontré des CFA ou CFA 2. Châteauroux, chez lui, en semaine, c’était pas un gros public. Granville, chez nous, ça n’a pas fait de super recettes non plus. Or, c’est aussi là-dessus que se joue un bol d’air. Si vous faites un stade plein, vous avez beau donner des primes aux joueurs, il reste la recette du match qui engendre des bénéfices. Pour l’instant, on est certainement rentré dans nos sous, peut-être même qu’on a fait un peu de bénéfices, mais pas plus que ça.
Vous préférez vous maintenir en National ou aller en demi-finale de Coupe de France ?Je préfère le maintien et la demi-finale ! (Rires.)
Propos recueillis par Chris Diamantaire