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Irles : « Se faire virer, c'est prendre un uppercut »

Propos recueillis par Maxime Brigand
12 minutes

Écarté de son poste d’entraîneur principal à Troyes il y a plus d’un an, Bruno Irles est aujourd’hui à la recherche d’un nouveau projet, ce qui fait de lui un candidat parfait pour répondre à une question : que fait, au juste, un entraîneur entre deux postes ?

Irles : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Se faire virer, c'est prendre un uppercut<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a un peu plus d’un an, le 8 novembre 2022, l’ESTAC annonçait votre mise à pied et votre éviction du poste d’entraîneur du club. Comment l’aviez-vous appris et comment aviez-vous encaissé cette annonce ? 

Déjà, le moment est violent, car votre quotidien est chamboulé du jour au lendemain. Avec du recul, le contexte qui était le mien à Troyes n’était pas forcément favorable, mais bon, quand vous êtes entraîneur, vous le savez : la vie n’est pas rose. Ça peut être lié aux résultats, à des tensions en interne, mais tous les éléments ne roulent jamais parfaitement bien et on sait très bien qu’on ne signe pas un CDI. Maintenant, même si on a tout ça en tête, le moment où tout s’arrête reste violent. J’ai été convoqué dans la foulée d’un derby contre Auxerre (1-1), où on se fait rejoindre à cinq minutes de la fin, et j’avoue que je ne m’attendais pas deux jours plus tard à être reçu par le directeur sportif. Ce n’était pas un piège, mais il m’a dit quelque chose comme : « Tiens, rejoins-moi… » Et il y avait le président. Finalement, c’était un entretien avec les deux pour me dire que c’était terminé. Normalement, deux heures plus tard, je devais diriger une séance d’entraînement.

Comment on digère ça ? 

Au départ, on prend un uppercut, donc on est un peu groggy, mais il faut se relever et repartir. Le temps de digestion varie. Moi, cette fois, ça a été assez rapide. Quand je me suis fait virer du Sheriff Tiraspol en septembre 2016, c’était différent, car j’étais tout seul là-bas. Il avait fallu que je parte vite pour tourner la page. Là, j’étais en famille. Ce qui a été plus difficile à accepter, c’est que j’étais en plein dedans : je préparais notre match à Brest, la semaine d’entraînement était prête, ça allait s’enchaîner… Sauf que ça s’arrête, et d’un coup, tu deviens persona non grata. J’ai dû insister lourdement pour pouvoir parler aux joueurs avant de partir. Pour moi, c’était le minimum pour tourner la page, mais dans la tête des dirigeants, ce n’était pas quelque chose de naturel. Après, je n’étais pas malade, tout allait bien, la vie continuait, et c’est ce qu’il faut se dire.

J’ai dû insister lourdement pour pouvoir parler aux joueurs avant de partir. Pour moi, c’était le minimum pour tourner la page.

Bruno Irles

Est-ce que vous continuez quand même ensuite à suivre les prestations de l’équipe en vous disant, grossièrement, « tiens, on va voir s’ils sont vraiment meilleurs sans moi » ?

Il y a cette envie de voir évoluer certains joueurs, oui. Par contre, non, je ne regarde plus les matchs. C’est trop dur. Ce que je surveille, par exemple, c’est les temps de jeu, voir qui joue. À Troyes, par contre, je savais très bien ce qu’ils allaient faire. Du moins, ce qu’ils voulaient faire, car le style de jeu était l’un des points d’accroche au moment de mon départ. Après, il y a toujours l’entourage et les médias qui vous rappellent, comparent, donc on n’a même pas vraiment besoin d’aller regarder. J’avais, par exemple, certains collègues de Canal+ qui s’amusaient de ça, mais moi, j’avais tourné la page. Honnêtement, je suis plus triste de voir Troyes relégable en Ligue 2 aujourd’hui qu’autre chose. Je ne souhaite pas du mal au club. Le seul truc que la suite de la saison a montré, c’est que je ne faisais peut-être pas du si mauvais travail que ça avec cet effectif et que ce n’était pas évident d’en faire. (Au départ d’Irles de l’ESTAC, le club était 13e de Ligue 1, avec la cinquième attaque et la deuxième plus mauvaise défense, NDLR.)

Est-ce qu’il y a, en revanche, une phase d’analyse où vous revoyez vos matchs ? 

Cette analyse de matchs, je l’ai faite en direct. Il y a plutôt une analyse de la période et, par exemple, de ma gestion de l’effectif. J’ai cherché les moments où je me suis trompé, ce qui a pu amener des tensions avec ma direction et ce que je changerais s’il y avait quelque chose à changer… L’analyse est plutôt sur ces éléments-là que dans les matchs en eux-mêmes, car je passe énormément de temps au quotidien à analyser nos rencontres quand je suis en poste, donc je ne découvre pas beaucoup de choses en revisionnant.

Vous ne rediscutez jamais, quelques semaines plus tard, avec certains joueurs ? 

Ça, c’est plus facile à faire quand on est resté longtemps à un poste ou quand on a choisi des joueurs. Moi, à Troyes, je n’ai quasiment pas choisi de joueurs (il était arrivé à Troyes le 3 janvier de la même année, NDLR). Par contre, j’ai pu avoir des échanges avec des joueurs que j’ai eus à QRM (juin 2020-janvier 2022), où j’avais choisi tous les joueurs du projet. Là, je peux avoir ce retour, demander : alors, qu’est-ce que tu as aimé ? Qu’est-ce que tu n’as pas aimé ? J’ai notamment ces discussions avec Romain Padovani, qui a été mon capitaine et qui passe aujourd’hui ses diplômes d’entraîneur à côté de chez moi, à Villefranche-sur-Mer. Malgré ça, j’ai quand même reçu des messages de certains joueurs à Troyes.

« Tu as un extincteur de ce côté-ci, et un autre juste là. »
« Tu as un extincteur de ce côté-ci, et un autre juste là. »

Quand rebranche-t-on avec le foot après une fin d’histoire ?

Je n’ai jamais déconnecté, au contraire. Je pense même que j’ai eu très, très vite une période où j’ai mangé énormément de foot et où j’ai travaillé sur mon projet de jeu. En décembre, j’ai notamment passé beaucoup d’heures dessus. Le vécu était très frais, et j’ai souhaité profiter de cette fraîcheur pour changer ce que j’avais le temps de changer. J’ai aussi regardé des équipes que je n’avais plus le temps de suivre : l’Arsenal d’Arteta, le Barça de Xavi, City, le Napoli. Quand tu es entraîneur, tu es souvent concentré à 100% sur ton championnat, ta division, et tu n’as pas le temps de regarder le reste, alors que le haut niveau reste une énorme source pour nos réflexions. Finalement, je n’ai donc pas coupé et je n’ai pas ressenti le besoin de le faire. Les périodes d’attente me permettent d’ailleurs, à travers mon boulot de consultant à Canal, de rester connecté au haut niveau et j’adore ça.

Ce que je veux, c’est une vision grand angle, et je ne peux l’avoir qu’au stade. La dernière fois, par exemple, je suis allé voir Nice-Rennes uniquement pour me concentrer sur Matić.

Bruno Irles

Comment restez-vous connecté au-delà du travail de consultant ? En allant au stade ? 

Comme je vis dans le Sud, oui, je vais parfois voir jouer Monaco, Nice… Ça me manque un petit peu qu’il n’y ait pas de club de Ligue 2 parce que j’aimerais aussi bien en voir en live. Je ne vais pas au stade pour me faire voir, montrer que je suis encore dans le circuit, mais pour voir ce que je veux. À la télé, c’est impossible. Moi, ce que je veux, c’est une vision grand angle et je ne peux l’avoir qu’au stade ou quand je suis en club, où on peut avoir accès aux caméras de la Ligue. La dernière fois, par exemple, je suis allé voir Nice-Rennes uniquement pour me concentrer sur Matić. Être au stade, ça me permet de me focaliser sur un joueur.

Être consultant à la télé, en revanche, c’est une façon de rester « visible », non ? 

Entièrement. Je vais même aller un peu plus loin : quand je suis revenu de Moldavie, je me suis retrouvé au chômage, et le constat que j’ai fait, c’est que les dirigeants de clubs français ne me connaissaient pas. La démarche d’aller discuter avec Grégory Nowak de Canal+ pour lui proposer mes services, ce n’était pas par amour de la télé, mais par volonté de visibilité, même si ensuite, j’ai pris de plus en plus plaisir à travailler à la télé. Je sais que ça peut être à double tranchant, mais de me voir à la télé, je pense que ça a pu faire comprendre à certains que je comprenais un peu le foot, que j’étais capable d’avoir une analyse en direct, un avis. Il y a donc un double objectif : être visible, mais être visible comme un entraîneur. Après, ce que je veux, c’est aller sur le terrain, et avec Canal, j’ai trouvé une forme d’équilibre. Les équipes de la chaîne me voient comme un homme de terrain, ils viennent discuter avec un technicien et si ça parle un peu extra-football, ils savent que je lâche, que je n’irai pas dans la polémique. Aujourd’hui, j’y vais deux, trois fois par mois, mais ça me convient.

Au-delà des deux, trois jours à Canal et des matchs, comment occupez-vous votre temps ? 

Avec beaucoup de vidéos. Je regarde beaucoup de matchs sur Wyscout. L’UNECATEF nous donne un accès. La plupart du temps, je préfère même regarder les matchs en différé. Ce n’est pas le côté émotionnel du match qui m’intéresse. Par exemple, le récent Lens-Marseille, ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’ambiance du moment, c’est de comprendre pourquoi il y a eu 1-0, pourquoi l’OM n’a pas marqué, comment les deux coachs ont géré le post-Europe, et ça, je peux le faire le lendemain. Ensuite, oui, au quotidien, j’ai plus de temps, et ce temps-là, il est pour la famille. J’ai la chance d’avoir une grande famille et je sais très bien que je ne m’en occupe pas comme un bon père devrait le faire lorsque je suis en poste, donc quand je suis sans poste, j’en profite. Là, j’accompagne mon fils au stade Louis-II où il fait de l’athlé. Ce matin, je suis allé avec mon autre fils au tennis. Je mange du temps en famille.

Y a de quoi râler, avec une telle chemisette.
Y a de quoi râler, avec une telle chemisette.

Est-ce qu’on utilise aussi ce temps pour échanger avec des collègues, des membres de staff, pour construire sa future équipe ? 

Oui, même si certains ont retrouvé des clubs, comme mon préparateur physique, Aurélien Quesnel, qui était avec moi à QRM et à Troyes et qui est très bon. Il a été viré de l’ESTAC en même temps que moi, alors qu’il n’y était pour rien, et aujourd’hui, il est au Havre, et je suis très content pour lui. J’échange avec lui, avec d’autres personnes avec qui j’ai collaboré. Je discute aussi beaucoup avec Fabien Lefèvre, un ami proche, qui était avec Thierry Laurey au Paris FC et qui est aujourd’hui sans club. Récemment, il est venu, on a regardé beaucoup de matchs ensemble, dont le Strasbourg-Monaco. On a débattu de ce qu’on aurait fait, comment on aurait joué, on a fait travailler nos têtes… Je vois aussi beaucoup Dado Pršo (ex-coéquipier à Monaco et dans son staff à Pau, NDLR), avec qui on parle beaucoup de foot, de ses évolutions.

Un projet de jeu n’est pas comme un chargeur universel. C’est-à-dire que mon approche à Troyes a été complétement différente qu’au Sheriff Tiraspol.

Bruno Irles

Quand on est dans votre situation, aujourd’hui, est-ce qu’on a un dossier prêt au cas où un club vous contacte ?

Oui, même si un projet de jeu n’est pas comme un chargeur universel. C’est-à-dire que mon approche à Troyes a été complétement différente qu’au Sheriff Tiraspol. Au Sheriff Tiraspol, j’étais très dominateur, j’avais d’autres joueurs, c’était un autre contexte… L’idée, selon moi, c’est que le projet de jeu que vous pouvez potentiellement présenter demain à l’OM est différent de celui que vous pouvez potentiellement présenter à l’OL, à Strasbourg ou au PSG. Il y a l’ADN du club, la place du club dans son championnat, ses moyens, le profil des joueurs de l’effectif, et le projet de jeu doit, à mes yeux, découler de ça. Dans mon projet, j’ai donc un panel très large et en fonction du club rencontré, je vais présenter quelque chose qui est adapté à ce que je ressens du club. Ton métier n’est pas le même en fonction du contexte. Je ne suis, par exemple, pas le même coach aujourd’hui que j’étais chez les jeunes à Monaco.

Comment se passe concrètement l’approche avec les clubs ?

J’ai confiance en plusieurs agents qui sont très bien implantés dans différents championnats, en France et à l’étranger. Je travaille avec plusieurs qui peuvent m’avertir d’un poste qui se libère, d’une opportunité qui pourrait me correspondre, qui peuvent me placer… Après, pour que ça marche, il faut connaître la bonne porte d’entrée. Si on regarde, on est énormément de coachs sur le marché, et le plus dur, c’est vraiment de trouver cette porte pour être reçu par un dirigeant. Le reste, j’ai la réponse. Je peux entraîner en Ligue 1, entraîner en Ligue 2, mais est-ce que je peux convaincre le président de tel club ? Ça, c’est l’enjeu, et il faut connaître la porte pour arriver jusqu’à son oreille. C’est limite plus important que le projet de jeu. (Rires.)

Est-ce que vous essayez aussi de bosser les langues ?

Là-dessus, j’ai la chance d’être plutôt bien placé parce que j’ai toujours travaillé en anglais. À Tiraspol, j’ai aussi appris le russe, et derrière, j’ai pris deux ans de cours d’espagnol, ce qui m’a permis, à Troyes, d’échanger avec Jackson Porozo et Marlos Moreno, par exemple. J’ai pas mal de points faibles, mais pour moi, c’est plutôt un point fort de pouvoir jongler avec trois-quatre langues, ce qui pourra me permettre de m’exporter à l’étranger si je n’arrive pas à trouver de projet en France. Ça reste la priorité. Aujourd’hui, entre mon travail à QRM et à l’ESTAC, je pense que j’ai quand même montré des choses positives et j’aimerais bien continuer cette progression en France. Maintenant, c’est compliqué, et si j’avais pu repartir, je l’aurais déjà fait, mais je continue de travailler, de me préparer.

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Propos recueillis par Maxime Brigand

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