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  • Entretien (Partie 2/2)

Bruno Genesio : « Moi, je ramasse même quand ça va bien »

PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS ROSTAGNI À DÉCINES-CHARPIEU
Bruno Genesio : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Moi, je ramasse même quand ça va bien<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Bruno Genesio évoque en longueur son quotidien d'entraîneur, la gestion de son groupe, son caractère et le club pour lequel il a une licence pour la 38e saison. Entretien.

Comment expliquez-vous l’incompréhension entre vous et une partie des supporters ?D’abord, je n’ai pas été un grand joueur. On associe souvent un entraîneur à sa carrière de joueur. Il y a eu une sorte de défiance, au début. Le public lyonnais attendait un entraîneur de renom avec un palmarès au moment d’entrer dans le nouveau stade. Le fait que ce soit moi a été perçu comme une déception et ils sont restés là-dessus parce qu’on ne veut pas changer d’avis, parfois. J’en ai souffert un moment parce que je trouvais ça plutôt injuste. Je reconnais qu’il peut y avoir, de temps à autre, matière à griefs concernant ce que je fais, comme lors de l’élimination contre le CSKA Moscou en Europe l’an dernier (victoire de l’OL à l’aller 1-0 et défaite à domicile 2-3 en 8es de finale au retour, N.D.L.R.). Aujourd’hui, ça ne me perturbe pas plus que ça. J’ai l’impression d’avoir progressé, plutôt bien fait mon travail. Mon gros regret, c’est de ne pas avoir atteint la finale de la Ligue Europa, lorsqu’on s’est fait éliminer par l’Ajax (demi-finale, 2017). On était tout près et c’est un match qui aurait pu faire tout basculer. Pour le reste, je fais mon autocritique, je me remets en question. Si le président Aulas m’a gardé depuis trois ans, c’est qu’il est plutôt satisfait. Ce n’est pas son genre de conserver quelqu’un s’il ne correspond pas à ce qu’il souhaite. Maintenant, j’aimerais gagner quelque chose avec l’OL…

La prochaine étape, c’est de rivaliser avec les six, huit plus grandes équipes continentales qui sont encore au-dessus de nous.

À quoi attribuez-vous l’irrégularité de votre équipe ?Il y a un ensemble de facteurs dans lesquels je m’englobe avec mon staff. On n’a pas encore réussi, du moins pas complètement, à se préparer de la même manière suivant qu’on joue Marseille, City, Paris ou une équipe moins ronflante. Là, je mets tout le monde dans le même sac ; pour moi, c’est le club en entier. On a un gros travail à faire là-dessus, le staff inclus, pour ne pas se laisser griser par de belles victoires. On doit bien se préparer, de la même manière, quel que soit l’adversaire, faire du mieux qu’on peut, avoir un discours, peut-être redondant, pour mettre les joueurs en garde, pour mieux les préparer mentalement pour ce qui nous attend, quel que soit l’adversaire… Les joueurs aussi ont besoin de ça et de se remettre en question afin de ne pas être négligent. C’est un ensemble.

Vos joueurs semblent proches de vous : comment communiquez-vous avec eux ?C’est un de mes chevaux de bataille avec mon staff de combattre cette image de footballeurs qui sauraient jouer au foot, mais qui n’auraient pas grand-chose dans la tête, qui seraient incapables de parler et n’auraient pas d’opinion. Ce n’est pas la réalité. J’ai de jeunes joueurs qui ne vivent pas comme nous à l’époque, mais plutôt que de dire que c’est débile, j’essaie d’appréhender pourquoi ils sont comme ça, de m’adapter parce que je considère que c’est à nous de nous adapter. Cela n’empêche pas d’avoir des règles, des valeurs, de leur imposer certaines choses. On doit être capable de capter leur fonctionnement, leur comportement. C’est primordial dans la relation qu’on peut avoir avec les joueurs, avec les enfants et j’ai envie de dire, avec tous les jeunes. Si on n’assimile pas ça, on fait fausse route et il y aura forcément une opposition, voire une scission à un moment donné. C’est à nous de nous adapter à leurs codes, sans subir, sans tout accepter. Au contraire. Alors, plutôt que de dire « ils écoutent de la musique de fous, leur rap, leur machin » , on se doit de les comprendre.

Gère-t-on tous les joueurs de la même façon ?Là aussi, on doit s’adapter. On ne peut pas se comporter avec 25 joueurs de la même manière. Chaque joueur a un caractère différent, une personnalité distincte et derrière chaque joueur, il y a un homme, et chacun a une histoire particulière. C’est peut-être à ce niveau-là qu’on doit le plus progresser dans les clubs aujourd’hui. Connaître l’histoire du joueur, sa vie familiale, son parcours depuis l’enfance, ce qu’il a vécu, est primordial. On doit complètement intégrer le profil du joueur dans notre réflexion et dans notre gestion aujourd’hui. C’est souvent notre enfance qui façonne notre vie à l’âge adulte. Manager tout l’effectif de la même façon, vous n’y arriverez pas, chaque individu est singulier. Cela ne veut pas dire qu’il y a des passe-droits ; ça ne veut pas dire qu’un joueur qui a une personnalité différente peut n’en faire qu’à sa tête ou arriver en retard. Non. Il y a des règles de groupe qui sont indispensables à la vie d’un collectif, parce que sinon, c’est le bordel en clair. En revanche, dans le management des hommes, des hommes (il répète), faut faire du cas par cas, suivant les gens à qui on a affaire. C’est comme ça que je vois mon travail en tout cas.

En France, on aime bien coller des étiquettes aux gens : moi, je suis l’entraîneur gentil qui n’a pas de principes de jeu.

Vous imaginez-vous coacher ailleurs qu’à Lyon ?Sincèrement, oui, je l’envisage. Sinon, il faudrait que je change de métier, à moins de faire une carrière à la Ferguson ou à la Wenger. Ce qui est possible, ce que j’aimerais… (Il cherche ses mots) Je sais aussi que le jour où ça arrivera, parce que je pense que ça arrivera un jour, ça sera, comment dire, quelque chose de particulier, je vais en quelque sorte couper le cordon. Je suis prêt à ça, je m’y prépare. Je ne suis pas un rêveur.

Cela veut-il dire que vous avez pris un agent ? (Il rit.)Oui. Je ne vous pas dirai pas son identité (il a annoncé ce dimanche à Téléfoot vouloir travailler avec Pini Zahavi, sauf en cas de négociations avec l’OL, qu’il mènerait lui-même), puisque je ne l’ai pas encore donnée à mon président et aux gens concernés (1).

Souvent, le destin d’un entraîneur est une affaire de timing : être dans le bon club au bon moment. Robert Herbin, le technicien mythique des Verts, qui vous a fait débuter en pro à l’OL en 1985, n’a jamais eu de grands résultats ailleurs que dans le Forez. Cet éventuel saut dans l’inconnu vous fait-il peur ?Non. Ma priorité, c’est de continuer ici. Pour ça, il faut que j’aie des résultats, que mon président prenne sa décision en son temps de collaborer de nouveau avec moi. Quand je dis que je me prépare à la possibilité d’un jour entraîner ailleurs, se préparer c’est aussi se préparer à choisir le club – sans faire trop le malin, je ne suis pas Guardiola ou Zizou – qui me corresponde le mieux, d’essayer de trouver un projet qui colle au mieux à ce que je suis aujourd’hui comme entraîneur et comme personne. Je ne vais pas faire du copié-collé avec Lyon, je cherche un club qui soit conforme avec ce que j’ai envie de vivre et de transmettre. Je crois que c’est comme ça qu’on peut réussir.

À Lyon, peut-on être prophète en son pays ?Je me demande si ça sera plus difficile ailleurs qu’ici. Je ne suis pas sûr. Quand j’ai été nommé, Rémi Garde (coach de l’OL entre 2011 et 2014) m’a dit : « Tu verras, c’est très, très difficile d’être entraîneur dans ta ville et dans ton club. » Je pense qu’il a raison. Le jour où dans un club, je ne serai plus perçu comme l’enfant du club, l’ancien adjoint ou l’ex-joueur moyen, je serai uniquement évalué sur ce que je fais.

Certains de vos détracteurs se sont mis à vous surnommer « Pep » …(Il coupe.) Ce n’est pas ce que j’ai le plus mal vécu, ça me faisait même plutôt marrer. Il y en a d’autres qui me font moins rire, comme des attaques que je juge infondées, sur lesquelles aucun argument ne repose. J’ai l’impression qu’en France, on aime bien coller des étiquettes aux gens, quels qu’ils soient. Moi, je suis l’entraîneur gentil qui n’a pas de principes de jeu, qui a réussi les six premiers mois, seulement parce que je suis copain avec les joueurs. Tout juste si on ne se saoulait pas tous les jours ici et du coup, on a battu le Monaco du grand Jardim (6-1) uniquement parce qu’on a pris une cuite la veille, entre potes. On m’a mis dans cette case-là, et du coup, aujourd’hui, on ne veut pas m’en sortir parce que c’est con de changer d’avis. Ça fait partie de notre métier de ramasser quand ça va mal, mais, moi, je ramasse même quand ça va bien. (Sourire.) Les critiques font partie de notre métier. Je les accepte. Je sais que parfois je n’ai pas fait les bons choix… Quel entraîneur ne fait que des bons choix ?

Vous confessez être colérique, parfois. Est-ce que ça s’exerce vis-à-vis du staff ou des joueurs ?Ça peut, mais je me soigne. (Il rit.)Il faut que je fasse attention. J’essaie de me corriger parce que ce n’est jamais bon. Colérique, ça veut dire épidermique, réagir à chaud. Cela ne m’arrive pas tous les jours, j’ai tendance à prendre un peu de recul. Après coup, je me dis : « T’es con, ça ne sert à rien, c’est débile. »

Ma priorité, c’est de continuer à l’OL. Pour ça, il faut que j’aie des résultats.

Entre votre première licence à l’âge de cinq ans en 1971 et aujourd’hui, vous avez passé trente-huit saisons à l’OL. Comment appréciez-vous la trajectoire de l’OL sur près d’un demi-siècle, de la D2 à la Ligue des champions ?On se fait peu à peu à cette montée en puissance, car c’est plus valorisant. Il y a deux aspects bien distincts : le sportif qui a progressé au fil des ans et les infrastructures. Ce n’est pas simplement un budget qui a augmenté, de l’argent qui a été investi sur des joueurs pour finir dans les quatre premiers du championnat. C’est tout ce qu’on voit ici : un stade qui appartient au club, les structures du camp d’entraînement, ce qui n’est pas dans la culture française. Les clubs anglais ou allemands savent que c’est déterminant pour qu’un club progresse, accède et reste au plus haut niveau. Avoir toutes les bases, de beaux terrains d’entraînement, un stade accueillant qui autorise de fidéliser le public, c’est ce qui est beau, c’est ce qui favorise la progression sportive, c’est ce qui permet d’atteindre l’élite européenne, d’y rester et de grandir à tous les niveaux. La prochaine étape, c’est de rivaliser avec les six, huit plus grandes équipes continentales qui sont encore au-dessus de nous. L’objectif suivant et peut-être final, c’est de venir régulièrement titiller ces grands clubs dans l’avenir, afin de gagner la Ligue des champions. Je pense que ça, c’est dans la tête du président.

Dans cet article :
Cheick Diabaté : « Ça faisait trop mal »
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(1) : l'entretien a eu lieu il y a dix jours.

C1 - 8es - Lyon-Barcelone
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