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Brozović, poumon fumeur
Véritable caution de l’entrejeu croate, la sentinelle Marcelo Brozović surpasse en toute discrétion les attentes autour de lui dans ce Mondial. Marathonien impénitent et fumeur invétéré, celui qui assure les arrières de Luka Modrić sera en première ligne dans le combat de tranchée face à l’Argentine.
Si Luka Modrić est un Benjamin Button en puissance, c’est aussi parce que le triangle des Bermudes qu’il constitue avec Mateo Kovačić et Marcelo Brozović au milieu est une formidable fontaine de jouvence. Une ligne resserrée, qui dissèque l’influence des stars adverses et fait disparaître le cuir pendant de longues minutes. Il s’agit même du « meilleur milieu de terrain au monde » à en croire Zlatko Dalić, le sélectionneur des Vatreni. Il est en tout cas très certainement le plus équilibré. Comme en 2018, la Croatie fait durer le plaisir et achève ses adversaires aux tirs au but. Comme en 2018, la Croatie a la possession, et dicte le tempo. Sa pointe basse, Brozović, en est le joueur de synthèse, et mérite au moins autant d’éloges que le Ballon d’or 2018. D’autant plus que ce dernier est arrivé pratiquement sans rythme au Qatar, la faute à des ischios grinçants et à un mois et demi de compétition manqué avec l’Inter.
Brozo, pas le clown
Avec la liquette à damier sur les épaules, en effet, c’est comme si la routine des très fournis week-ends italiens n’avait jamais été bousculée. Parfois nonchalant lors de ses premiers contacts avec le Calcio, le natif de Zagreb est irremplaçable avec les Vatreni, et laisse encore ses pieds parler pour lui dans cette Coupe du monde. Deuxième meilleur récupérateur du Mondial (39 ballons), Brozović a comme à son habitude fait dérailler les heatmaps, avec ses 72 kilomètres parcourus en 503 minutes sur les prés (loin devant Sofyan Amrabat, son dauphin, qui est un des joueurs du tournoi). Souffler ? Très peu pour lui, sauf quand il s’agit de céder sa place à Mislav Oršić sur le gong, afin que celui-ci caviarde Bruno Petković face au Brésil. La suite est connue de tous.
Dans son rôle de harceleur, « Brozo » a justement été central pour annihiler les offensives brésiliennes, et les rendre téléphonées. Quand il a fallu coincer Neymar ou Richarlison, en assurant la prise à deux avant de se projeter ou d’orienter rapidement, il était là. Même topo pour ratisser sur toute la largeur du terrain, tacler, prendre sa chance de loin, alterner le jeu court et le jeu long (et ainsi l’aérer), ou encore calmer le rythme, pour laisser ses coéquipiers se replacer avant d’attaquer l’espace. Crucial aussi au niveau des redoublements de passes en une touche et des constructions en triangle, Marcelo Brozović a livré une prestation de classe mondiale à la relance. Encore une. L’avantage d’être un 6 box to box avec une vision de numéro 10, pour libérer son leader, Modrić, et son autre complément, Kovačić, lui aussi friand de décalages.
Crocodile Dundee
Le plus impressionnant pour le très combatif élément élevé par le Hrvatski Dragovoljac (petit club nommé en l’honneur des volontaires durant la guerre d’indépendance), c’est de se rappeler que son hygiène de vie n’est pas forcément un modèle du genre. Parfois ivre au volant de sa Jeep, « le Crocodile » , comme il est surnommé depuis son enfance, ne s’est jamais caché, non plus, d’être un grand amateur de clopes et de cigares. Quitte à s’afficher en pleine action, avec un T-shirt frappé de l’emblème de la Fédération, la HNS, sur le dos. Des vices dont Brozo n’a pourtant pas besoin de se détacher, tant sa formidable capacité d’efforts et sa débauche d’énergie l’ont toujours tenu à l’écart des sanctions disciplinaires.
Voilà un destin que doivent sûrement regarder avec fierté Marco Verratti (Italie), Radja Nainggolan (Belgique) et Ben Payal (Luxembourg), trois autres n°6 trentenaires qui ont été aussi importants pour leur sélection que pour leur marchand de tabac. Reste que contre l’Albiceleste, l’ancien défenseur international Josip Šimunić s’attend à « beaucoup de provocation, limite sauvage, de la part des Argentins », ainsi qu’à un arbitrage « plus partial qu’à l’accoutumée ». Dans un contexte tendu, avec des airs de revanche compte tenu du découpage à sens unique de 2018, l’influence de Marcelo Brozović sera scrutée, tant les Vatreni devront rendre les coups, sans tomber dans le piège de la Scaloneta. Et qu’importe si la bombe tatouée sur son cou ne ressemble à rien d’autre qu’à un tatouage éphémère caché sous une blague Carambar, les crocodiles des milieux marins poseront toujours problème aux humanoïdes.
Par Alexandre Lazar