- Drame de Furiani
Broussard : « Bernard Tapie ne m’a jamais sauvé la vie »
Interrogé samedi soir sur France Info sur la catastrophe de Furiani, Bernard Tapie a affirmé avoir secouru un journaliste du journal Le Monde coincé dans les décombres. Problème, le seul journaliste du Monde présent ce jour-là se nomme Philippe Broussard. Et celui-ci n’a aucun souvenir de Bernard Tapie…
Philippe Broussard, comment avez-vous appris les propos que Bernard Tapie a tenus sur France Info ? Je ne les ai pas entendus directement. C’est un ami journaliste qui m’a alerté dans la journée de samedi pour me dire que l’ancien président de l’OM avait tenu de tels propos sur France Info. Après, je suis allé sur le site de la radio et j’en ai eu confirmation.
Que vous est-il exactement arrivé le 5 mai 1992 ? J’étais dans la tribune de presse, tout en haut des gradins. Et quand l’ensemble s’est effondré, je suis tombé à côté de mon confrère du Parisien Gilles Verdez. A aucun moment, nous n’avons perdu connaissance et à aucun moment nous n’avons été coincés dans les décombres de ferraille. Les personnes qui m’ont évacué étaient des CRS, et non Bernard Tapie. J’ai été assez vite transporté vers l’hôpital de Bastia où j’ai su, bien plus tard, que je souffrais d’un déplacement du bassin. J’insiste bien pour dire qu’à aucun moment, je n’ai vu Bernard Tapie autour de moi au moment du drame. Et, croyez-moi, je n’ai pas perdu connaissance. Gilles Verdez, que j’ai eu au téléphone hier pour évoquer ces souvenirs terribles, était aussi choqué par ces propos. Je ne dis pas que Bernard Tapie n’a rien fait ce soir-là, il faut être clair. Il a peut-être aidé quelqu’un, je suis prêt à le croire. Simplement, ce n’était pas moi !
Comment réagit-on lorsque l’on entend ces propos ? Je n’ai pas été si surpris que cela. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe de Furiani, Bernard Tapie avait déjà tenu de tels propos auprès d’une personne de mon propre journal de l’époque, c’est-à-dire Le Monde. Il avait dit : « Vous savez, je l’ai sauvé » . Vingt ans plus tard, il récidive. Alors certes, il ne cite pas mon nom. Mais il parle d’ « un journaliste du Monde » . Or, il n’en n’y avait pas d’autre ce jour-là, j’étais le seul envoyé spécial du journal à Bastia. J’en ai donc déduit que c’était moi.
Connaissiez-vous bien Bernard Tapie au moment de la catastrophe de Furiani ? A l’époque je le connaissais parce que j’avais eu l’occasion de le voir chez lui à deux reprises et d’autres fois de manière plus épisodique, dans le cadre des rencontres de Marseille. Nous avions longuement évoqué les affaires qui secouaient l’OM. Je ne peux pas dire qu’on se voyait tous les jours, mais nous nous connaissions. J’étais dans le paysage des journalistes parisiens qui fréquentaient souvent le club marseillais et son entourage.
Avez-vous revu l’ancien président de Marseille depuis la catastrophe de Furiani ? Par la suite, j’ai eu l’occasion de le croiser, notamment lors des différents procès de l’affaire VA/OM et des comptes de l’OM. Mais jamais de lui parler directement.
Comment Bernard Tapie a-t-il réagi lorsque votre collègue journaliste de L’Express lui a affirmé qu’il s’était trompé ? La première réponse qu’il a donné à mon collègue a été de dire : « Ecoutez, je n’ai jamais dit que c’était quelqu’un du Monde » . Or il suffit d’écouter France Info pour l’entendre parler du Monde, c’est très clair dans son esprit. Après, je ne me prononce pas sur le « pourquoi » de ces déclarations… Il y a deux hypothèses. Soit c’est une manière de refaire l’histoire et c’est indéfendable à mes yeux. Soit il se trompe de bonne foi. Mais à ce moment-là, qu’il le dise clairement et qu’il s’excuse. Parce que de mon point de vue, et du point de vue des victimes, c’est blessant.
A votre avis, pourquoi a-t-il tenu de tels propos ? Je ne sais pas, il faut le lui demander ! Je ne suis pas dans sa tête. Soit il a des problèmes de mémoire, soit il se trompe encore une fois et m’a pris pour quelqu’un d’autre. En tout cas, je peux vous assurer que Bernard Tapie ne m’a jamais sauvé la vie.
Revenons un peu sur le drame de Furiani, étiez-vous à Bastia samedi pour les commémorations ? Non, j’étais à Paris. J’ai, à ma manière, participé à cette commémoration en écrivant, comme d’autres confrères, un petit texte de souvenir sur cette soirée dans le livre « Furiani 20 ans » .
Est-ce toujours aussi dur de repenser à cette funeste soirée ?Ça a été particulièrement dur. Tout au long du week-end il y a eu des sujets à la télévision, dans les journaux… Et je n’ai rien vu et rien lu. Il a fallu que l’on m’appelle pour me signaler le sujet sur France Info avec Bernard Tapie. De moi-même, j’ai « zappé » cette actualité. Je ne voulais pas revivre ça, replonger dans quoi que ce soit qui me rappelle ces heures là.
Les supporters bastiais ont réussi à obtenir le décalage de la 36ème journée de Ligue 1 pour qu’aucun match ne soit joué le 5 mai. Est-ce la bonne solution pour l’avenir ?J’étais pour le décalage de la 36ème journée cette année parce qu’un vingtième anniversaire est, par définition, marquant. Il fallait faire quelque chose. Maintenant, je n’ai pas de certitudes absolues sur la suite. Est-ce qu’il faudra à tout prix décréter le fait ne pas avoir de matches ce jour-là ? Honnêtement je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que cette année, ça devait être comme ça. Et ça s’est vraiment très bien passé. Une sorte d’anniversaire très sobre et très digne.
Propos recueillis par Antoine Aubry